Ce n’est pas tous les jours que François Zimeray, Ambassadeur pour les droits de l’Homme de la France et candidat au poste similaire nouvellement créé au sein de la Commission européenne, est auditionné par la Commission. L’évènement est d’autant plus important qu’il survient peu après le changement de gouvernement.
L’objectif de l’audition était clair [1]. Il s’agissait, tout d’abord, de réfléchir aux moyens d’action de la diplomatie française et à la manière dont les parlementaires peuvent accomplir leur devoir d’alerte de l’opinion publique lorsque les droits de l’Homme sont menacés. Elle devait aussi permettre de discuter de la visibilité de l’action de l’UE dans ce domaine et de la conciliation de ces droits avec les autres buts de la politique étrangère et de sécurité européenne.
Au cours de l’audition, François Zimeray a du également répondre à des questions précises concernant le sort de plusieurs personnes emprisonnées dans divers pays européens ou asiatiques.
Toutefois, la plus longue grève de la faim dans le monde suivie, à un moment donné, par près de 2 000 prisonniers palestiniens a été ignorée. Pas de mention de cette action et de ses motifs [2]. Partout dans le monde pourtant, des citoyens, des ONG et des personnalités politiques se sont mobilisés pour obtenir le respect par Israël des droits des détenus palestiniens, à commencer par ceux des enfants et des personnes arrêtées, tel le franco palestinien Salah Hamouri, dans le cadre du régime moyenâgeux de la détention administrative [3].
Pas de question sur le système judiciaire et carcéral mis en place par les Israéliens pour continuer à dominer les Palestinien et à s’emparer de leurs terres et de leurs ressources.
Rien sur la répression féroce de la résistance populaire non violente et les exactions de l’armée, qui n’épargnent même pas les enfants, comme l’indiquent les témoignages d’ex soldats israéliens recueillis par l’ONG israélienne Breaking the Silence.
Rien sur les attaques perpétrés par les colons violents, qui s’en prennent tous les jours aux personnes et aux biens des Palestiniens. Leurs agissements ont été dénoncés par le Secrétaire général de l’ONU et l’OCHA [4], les Consuls des 27 Etats membres de l’UE, les chefs de mission de l’UE en poste dans ces mêmes villes et les 20 ONG qui ont publié un communiqué commun fin 2011 [5]. Parmi les signataires figurent : Amnesty International, la FIDH et Human Rights Watch, ONG, dont le sérieux et la crédibilité ont été salués par l’ambassadeur Zimeray lors de cette même audition. Tous ces acteurs demandent qu’il soit mis fin à l’impunité de fait accordée aux colons violents, les diplomates européens suggérant d’interdire l’entrée sur le territoire de l’UE aux leaders, une centaine de personnes bien connues des services de sécurité israéliens, précisent-ils.
Pas de mention, enfin, des atteintes aux droits fondamentaux des Palestiniens. Les démolitions de maisons, l’expropriation des terres, le blocus de Gaza, le Mur et les checks points, les obstacles à la liberté de se marier (Jérusalem-Est), entreprendre, circuler, étudier.... ne sont-ils pas autant de violations des droits de l’Homme ? Des violations, tellement généralisées, systématiques et quotidiennes que l’on pourrait appliquer aux Palestiniens la boutade rapportée lors de son audition par François Zimeray à propos du Turkménistan et du Kirghizstan : « Ici il n’y a pas de violations de droits de l’Homme parce qu’il n’y a pas de droits de l’Homme. » !
Une seule question à François Zimeray, et une réponse qui est un modèle à étudier
Tout au long de la rencontre, l’ambassadeur a eu l’occasion d’exposer sa conception des droits de l’Homme qu’il définit comme « une aspiration universelle à goûter les fruits de la liberté, à accéder aux libertés fondamentales dont jouit une grande partie du monde » . Il a aussi parlé des efforts qu’il déploie pour faire sortir certains pays de « l’angle mort des médias » ainsi que des tortures, souffrances et exactions dont il a pris connaissance en allant sur le terrain, partout dans le monde. Ce n’est qu’à la toute fin que le député François Rochebloine l’a interpellé au sujet de Gaza ainsi que des mines antipersonnel et des bombes à sous munitions.
La réponse de François Zimeray est un modèle à étudier , modèle de botter en touche en chargeant :
• les Palestiniens, dont les querelles sont causes « de violations des droits de l’Homme assez féroces » ;
• le Hamas non « respectueux des droits fondamentaux, comme l’attestent certains cas d’exécution, de torture, de disparitions forcées, de détention arbitraire ou de procès inéquitable » ;
• cela sans oublier les atteintes aux droits des femmes, surtout à Gaza, et des homosexuels.
Côté israélien, il lui suffit de quatre lignes pour faire le tour de la question. Deux lignes dans lesquelles il exprime sa préoccupation au sujet du traitement réservé aux migrants. Et deux autres consacrées au « conflit » avec Israël et à l’occupation. Celles-ci sont insérées tout de suite après la longue charge contre les représentants des Palestiniens et le Hamas : « Sur la détention arbitraires, notamment la détention administrative, nous avons aussi fait des remarques au gouvernement israélien ». Silence sur le reste ; point à la ligne.
Quant à la lutte contre les mines antipersonnel et les bombes à sous munitions, il estime qu’elle « relève plus du droit humanitaire, du droit de la guerre et de la direction des affaires stratégiques que de la direction des droits de l’Homme » . Autre point à la ligne.
Et bien évidemment, rien sur les sanctions envisageables, telles la sanction économique prises à l’encontre du Turkménistan (la Commission des Affaires étrangères a bloqué la ratification de l’accord de partenariat et de coopération entre l’UE et ce pays) ou celle politique à l’égard de l’Ukraine (François Zimeray évoque « notre boycott politique de l’Euro de football 2012 » .
Plus tôt, Monsieur François Zimeray, ambassadeur pour les droits de l’Homme de la France, possible futur ambassadeur pour les droits de l’Homme de l’UE, avait affirmé : « Les droits de l’Homme, ce n’est pas de la morale. Ce sont des droits qui existent ou qui n’existent pas, qui sont appliqués ou qui sont violés – le droit de ne pas être torturé, le droit à l’enfance, le droit à un procès équitable- et au bout du compte, ce sont des hommes, des femmes et des enfants. »
Monsieur François Zimeray, si les droits de l’Homme sont universels comme vous le soutenez, quid des droits des hommes, des femmes et des enfants de Palestine ?
Et votre silence au sujet des violations par Israël de toutes les libertés et droits fondamentaux des Palestiniens suggère-t-il que vous considérez que des progrès ont été effectuées depuis avril 2002 ? A cette date, en effet, le Parlement européen s’était prononcé en faveur de la suspension de l’accord d’association UE-Israël pour non respect par cet Etat des droits de l’Homme en Palestine occupée. Dans l’affirmative, pouvez-vous nous donner plus d’information sur les dits progrès ?
Olivia Elias et Taoufiq Tahani