Le génocide des juifs par les nazis puis la création de l’État d’Israël le 14 mai 1948 ont pu figer la perception de ce qui est un processus colonial de longue date, une « catastrophe » commencée des décennies plus tôt et qui se poursuit actuellement.
Un peu d’histoire…
Entamée à la fin du xixe siècle avec le mouvement sioniste de Herzl qui se glorifiait d’avoir, en 1897, « fondé l’État juif », la colonisation de peuplement juive en Palestine historique connaîtra différentes étapes.
D’abord la répartition de la région en 1916 entre la France et l’Angleterre – qui reçut de la Société des Nations un mandat sur la Palestine en 1920 –, puis la déclaration Balfour, antisémite notoire qui ne voulait pas de juifs en Grande-Bretagne et qui, en 1917, leur octroya le droit d’avoir un « foyer juif » en Palestine. Les colons s’y installèrent, achetèrent des terres aux grands propriétaires absents ou les dérobèrent. Le Fonds national juif gérait l’appropriation des terres. Dans les années 1930, l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne précipita l’émigration des juifs, d’autant que les pays où ils souhaitaient s’installer, comme les USA, leur refusaient l’accueil. Le mandat britannique permit « des vagues d’émigrations, principalement de Russie, de Pologne et d’Allemagne. Les colons juifs mettent en place des structures étatiques : une armée juive, une radio nationale, une université hébraïque, un système de santé, etc. »
La colonisation anglaise – et juive – déclencha en 1929 et 1936-39 des révoltes palestiniennes violemment réprimées par les troupes anglaises. L’identité palestinienne s’affirmait, face aux deux occupations de la terre.
Puis vint la funeste résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, le 29 novembre 1947, sous pression sioniste et des USA, qui décréta la partition de la Palestine [1].
En 1948, la Grande-Bretagne décida de remettre son mandat à l’ONU et, dès le départ des forces britanniques, le 14 mai, Ben Gourion, dirigeant du mouvement sioniste, déclara unilatéralement l’indépendance d’Israël sur la partie de la Palestine lui étant attribuée, déclenchant la réaction militaire de plusieurs pays arabes. La guerre, gagnée par Israël, prendra fin en 1949. Les gains territoriaux d’Israël laissèrent la Palestine dépecée.
Pendant cette période, de nombreux massacres furent commis par les milices Haganah, Irgoun, Lehi, qui deviendront l’armée israélienne, puis par les troupes israéliennes qui faisaient régner la terreur afin de chasser les Palestiniens pour s’emparer de la terre et des ressources. Quelque 600 villes, villages et quartiers furent rasés ou partiellement détruits, et environ 800 000 personnes sur 1,5 million furent déplacées de force, réduites à l’état de réfugié·es. Entreprise d’effacement de la mémoire palestinienne, les noms de lieux furent modifiés et « des villages juifs ont été construits à la place des villages arabes. […] Il n’y a pas un seul endroit construit dans ce pays qui n’ait eu auparavant une population arabe. » [2]
Le 10 mars 1948 les sionistes finalisèrent le plan Daleth qui visait à expulser les Palestiniens : « intimidations massives, siège et pilonnage de villages et de quartiers, incendie des biens immobiliers, expulsions, démolitions, pose de mines dans les décombres pour empêcher les retours » [3]. Selon Ilan Pappé, « À vingt-neuf heures de la fin du mandat, presque tous les villages du nord-ouest de la Galilée – qui se trouvaient tous sur le territoire dévolu aux Arabes – avaient été détruits » [4].
Les Palestiniens poussés à l’exil se réfugièrent dans des camps disséminés en Palestine et dans les pays voisins. Partis précipitamment, avec l’idée de revenir vite, ils emportèrent la clé de leur foyer, devenue symbole du retour.
Un autre événement majeur dans ce processus colonial fut la guerre de 1967 qui scella l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie, dont Jérusalem, et qui mena à nouveau environ 300 000 Palestiniens vers l’exil, parfois pour la deuxième fois, et vers les camps de réfugiés. D’autres subirent le déplacement interne, sur le territoire occupé.
Les camps et le droit au retour
En décembre 1949, les Nations unies créèrent – pour un an – l’UNWRA [5], organisme dévolu aux réfugiés de Palestine afin de leur fournir des services de base, éducation, santé, aide financière. Soixante-quinze ans plus tard, l’UNWRA continue, malgré de nombreux obstacles, à jouer un rôle clé dans l’aide à une population très souvent paupérisée, vivant dans des conditions insalubres, frappée par le chômage dans des camps surpeuplés et souvent victime de discrimination dans les pays hôtes.
On compte aujourd’hui 58 camps de l’UNWRA et quelque 8 millions de réfugiés sur les 12 millions de Palestiniens dans le monde. Plus de 5 600 000 sont enregistrés par l’UNWRA, qui les définit comme « les personnes dont le lieu de résidence normal était la Palestine durant la période du 1er juin 1946 au 15 mai 1948, et qui ont perdu leur maison et leurs moyens de subsistance en raison du conflit de 1948 », ainsi que leurs descendants.
Le droit au retour, inscrit dans le droit international [6], garantit aux réfugiés qu’ils pourront rentrer chez eux ou recevoir compensation. Israël a toujours refusé ce droit dont la reconnaissance implique d’accepter la responsabilité de la situation, du crime initial. Les réfugiés continuent d’exiger leur dû, alors que le processus colonial continue.
L’offensive coloniale actuelle
Tous les gouvernements israéliens ont fait de la colonisation leur priorité avec une constante : il faut le plus de terre possible avec le moins de Palestiniens. Aujourd’hui, en Cisjordanie occupée, on compte près de 600 000 colons dont environ 200 000 à Jérusalem. Leurs exactions sont quotidiennes : provocations à Jérusalem, violence intense contre les civils palestiniens, destruction des arbres etc., à quoi s’ajoutent les attaques récurrentes de l’armée d’occupation, bénéficiant d’une totale impunité. Le gouvernement vient en outre de légaliser des colonies « sauvages ». Pire encore, l’arrivée au pouvoir en Israël de l’extrême droite fascisante renforce cette violence, surtout à l’encontre des jeunes et des camps. Les raids militaires se multiplient, à Jénine, Naplouse, Shu’fat, dans la vallée du Jourdain, au sud d’Hébron (Masafer Yatta…) et les arrestations et les morts s’accumulent. À Jérusalem-Est aussi il faut faire taire toute résistance à l’occupation, faire plier et partir les Palestiniens par la terreur, les priver de leurs maisons et outils de travail, les priver de leur droit de résidence, empêcher leur mobilité, l’accès aux soins et à l’éducation. Il faut « finir ce qui ne l’a pas été en 48 » comme disait Sharon.
La colonisation et l’apartheid qui l’accompagnent sont des crimes de guerre et même contre l’humanité, les criminels israéliens relèvent de la Cour pénale internationale. Pour mettre fin à cette Nakba qui continue, les États garants du droit, dont la France, doivent agir au lieu d’être « consternés ». Ils se déshonorent à déplorer des morts israéliens sans jamais un mot pour les dizaines de Palestiniens que l’occupation assassine quotidiennement. Ils se déshonorent à appuyer par leur silence la colonisation et les crimes qu’elle engendre.
Claude Léostic, GT Refugié.es
Commémorer la Nakba, 75 ans après
Il y a 75 ans, la catastrophe était enclenchée, 800 000 Palestiniens allaient être chassés, dépossédés de leur terre et de leurs biens pour laisser la place à l’État juif prévu par le plan de partage du 29 novembre 1947.
Au mois de mai, l’AFPS commémorera les 75 ans de la Nakba au niveau national et local.
Il s’agira de rappeler 1948 et la planification du nettoyage ethnique, mais aussi de montrer que le processus de dépossession, entre mer Méditerranée et Jourdain n’a jamais cessé.
Ce sera l’occasion de montrer comment l’apartheid – ce régime d’oppression et de domination systématique du peuple palestinien dans son ensemble – est un outil du colonialisme de peuplement.
Mais aussi d’alerter sur la nouvelle Nakba qui se profile et bien sûr de rendre hommage à la résistance palestinienne.
75 ans après la Nakba, que faire pour mettre fin à ce processus ? Quel rôle pour le mouvement de solidarité ?
Sur le site de l’AFPS et les réseaux sociaux ce qui s’est passé il y a 75 ans sera mis en lumière, mais aussi ce qui se passe maintenant, 75 après.
Un événement politique et culturel aura lieu le 14 mai à la Marbrerie de Montreuil. La parole y sera donnée aux Palestiniennes et aux Palestiniens. Il se déroulera en deux temps, une table ronde politique avec des invité·es palestinien·nes suivi d’un concert avec Nafar Tamer du groupe de hip-hop palestinien DAM et la chanteuse palestinienne Samah Mustafa.
De nombreux groupes locaux envisagent des initiatives pour commémorer la Nakba au mois de mai. Partout des manifestations et rassemblements seront organisés autour du 15 mai.
Des ressources culturelles du GT culture (documents, expos, films etc.) seront mutualisées, dont le film Tantura d’Alon Schwartz qui relate le meurtre de 200 Palestiniens en mai 1948.
La dernière brochure de Badil, traduite par le GT réfugié·es, actualise nos connaissances sur leurs situations. Un bulletin « spécial Nakba » sera aussi proposé par le GT réfugié·es.
Une grande mobilisation en perspective pour envoyer un message clair : 1948 n’est pas soldé contrairement à ce que certains affirment : il faut rendre justice au peuple palestinien et en finir avec l’apartheid israélien.
Anne Tuaillon