L’Assemblée nationale discutera, le 28 novembre, d’un projet de résolution du groupe socialiste invitant le gouvernement à reconnaître l’Etat palestinien. Ce débat est prévu sous réserve du dépôt du texte et de la disponibilité du gouvernement. Elisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée, expose au Monde les grandes lignes de ce projet, qu’elle pilote au nom du groupe socialiste.
Quelle est l’initiative à l’origine de ce projet de résolution ?
Elisabeth Guigou : Elle est née de l’interrogation de députés socialistes de la commission des affaires étrangères face à la recrudescence des violences, au blocage total des négociations de paix et à la proposition de résolution palestinienne au Conseil de sécurité des Nations unies. Cette préoccupation est revenue avec insistance dans le contexte de vote au Parlement britannique et de la décision suédoise par décret.
Le blocage total des négociations sert de prétexte aux violences extrémistes. La poursuite de la colonisation israélienne menace la viabilité de l’Etat palestinien et le principe même de son existence. Notre démarche se situe dans la droite ligne de la position historique et équilibrée de la France, depuis l’appel lancé par le président François Mitterrand aux Israéliens à la tribune de la Knesset, en 1982, d’accepter la création d’un Etat palestinien assortie de garanties pour la sécurité d’Israël.
Quels sont les principes inscrits dans ce projet de résolution ?
Nous souhaitons d’abord agir pour la paix et non pas contre Israël. Nous nous appuyons d’ailleurs sur les appels de plus en plus fréquents de citoyens israéliens. Voyez la pétition signée par 700 personnalités, dont l’ancien ambassadeur d’Israël en France, Eli Barnavi, et l’ancien président de la Knesset, Avraham Burg. Ecoutez les propos tenus récemment par l’ancien président israélien Shimon Pérès qui a appelé, avec force, le gouvernement de son pays à ne plus se contenter de gérer le conflit et à reprendre les négociations de paix.
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La voie de la paix, nous le savons depuis les accords d’Oslo de 1993, c’est deux Etats dans les frontières de 1967 avec la reconnaissance d’un Etat palestinien, mais aussi les garanties de sécurité données à Israël et la renonciation de la violence des deux côtés. L’impasse des négociations affecte dangereusement les deux parties et la stabilité dans la région. Nous avons conscience que ce n’est facile ni pour les dirigeants israéliens ni pour les dirigeants palestiniens, mais le statu quo est intenable et dangereux.
Nous tenons compte du contexte très difficile marqué par une recrudescence des violences avec, de part et d’autre, les extrêmes qui se déchaînent. Nous condamnons ces violences d’où qu’elles viennent, ainsi que les expressions de haine, y compris chez nous. Il y a eu ces derniers mois de terribles déchaînements d’antisémitisme que nous condamnons avec force. Nous avons voulu aussi exprimer notre attachement à la position de la France qui a toujours manifesté son amitié pour les deux peuples et l’équilibre entre les exigences des uns et des autres. Nous invoquons la reconnaissance réciproque des deux Etats.
Votre démarche, tout comme le projet de résolution du président palestinien Mahmoud Abbas auprès du Conseil de sécurité des Nations unies, est dénoncée par le gouvernement israélien comme unilatérale et « contre-productive » pour une solution négociée.
Nous soutenons l’idée et le principe d’une résolution palestinienne devant le Conseil de sécurité. En même temps, il faut que ce soit le résultat d’un consensus. Nous ne souhaitons pas que le texte de la résolution de Mahmoud Abbas s’expose à un veto, des Etats-Unis par exemple. Nous essayons d’apporter notre contribution et nous appuyons la démarche de notre diplomatie pour qu’il puisse y avoir un consensus autour de cette résolution, qui vise à consolider les paramètres bien connus de la négociation, à fixer une date butoir et à se placer dans la perspective d’une conférence internationale, souhaitée par la France.
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Quel peut-être l’effet de cette résolution ?
Il ne s’agit pas de voter une résolution pour se donner bonne conscience. Les députés qui signeront ce texte pensent pouvoir apporter une contribution modeste à la relance des négociations, dans le but d’aboutir à la paix. Est-ce que ce sera le cas ? Il est évident qu’il y a des arguments contraires. Je crois, tout de même, que cela s’inscrit dans un mouvement et intervient à un moment crucial où les choses peuvent basculer. Nous espérons que notre texte puisse participer d’un mouvement plus large pour amener le gouvernement israélien à accepter de rouvrir les négociations de paix.
J’espère que la diplomatie française prendra le leadership, mais c’est au gouvernement de savoir comment et quand il souhaite agir pour obtenir une reconnaissance internationale de l’Etat palestinien. Nous ne voulons pas gêner notre diplomatie, le gouvernement et le président dans leurs efforts pour y parvenir. Nous restons donc strictement dans le cadre constitutionnel qui est le nôtre d’une expression parlementaire qui invite le gouvernement, celui-ci restant libre de son choix. Il semble que le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, ait l’intention d’effectuer une nouvelle tentative de négociations. Il faut en tenir compte. S’il y arrive, tant mieux.
Cette démarche doit s’inscrire dans une dimension européenne. La France est l’un des pays les plus écoutés, mais ne peut être seule à s’engager. Les propos tenus par la haute représentante de l’Union européenne aux affaires étrangères, Federica Mogherini, sont encourageants car, depuis plusieurs années, on n’entendait plus l’Europe alors qu’elle est le premier donateur d’aides au territoire palestinien. Il faut qu’il y ait une amplification de ce mouvement parlementaire, que cela incite d’autres Parlements à s’interroger.
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Vous avez rencontré, le 5 novembre, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius. Soutient-il votre démarche ?
Laurent Fabius nous a indiqué qu’il appréciait notre initiative. Il nous a également rappelé des éléments de contexte : les violences extrémistes des deux côtés ; peut-être une nouvelle initiative de John Kerry ; et, le 24 novembre, l’échéance fixée pour les négociations nucléaires avec l’Iran. Il a souligné sa préoccupation de voir le processus bloqué durablement. J’ai compris que le ministre souhaitait que la proposition de M. Abbas puisse rencontrer une approbation large au sein du Conseil de sécurité. Le souhait de notre diplomatie semble être de pouvoir aider les Palestiniens à obtenir une résolution rappelant les paramètres et la nécessité d’aboutir, tout en les mettant en garde contre un texte qui pourrait faire l’objet d’un veto.
Quel soutien votre proposition recueille-t-elle parmi les députés ?
Le texte est le résultat d’un travail collectif interne au groupe socialiste que Bruno Leroux m’a demandé de piloter. Il est en voie d’être finalisé, certainement d’ici la fin de la semaine. Il devrait rassembler le plus grand nombre de nos députés. A gauche et chez les Verts, c’est une position commune depuis bien longtemps. Certains députés ont des craintes, notamment sur la question de la réciprocité et de l’équilibre entre les parties, que nous affirmons dans le texte. Nous avons aussi veillé à ce que soient condamnées les expressions de haine et les violences des deux côtés. Je ne peux pas préjuger de l’attitude des membres de l’opposition. Nous aurons des discussions pour les informer de notre démarche et de son esprit, et les inviter à s’y associer.
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