Capitale revendiquée de l’État de Palestine, alors qu’elle devait être sous un statut spécial (corpus separatum selon le plan de partage de 1947), elle a été occupée puis annexée en deux temps par Israël. Elle a vu lors de la Nakba 80 000 Palestiniens, chassés de leurs terres et de leurs propriétés, poussés à l’Est de la ligne verte qui la partage depuis 1949. Dans le même temps 2 000 Juifs durent passer de l’Est à l’Ouest. Alors que les propriétés des Palestiniens de l’Ouest leur furent offertes, pour les Palestiniens commencèrent l’exode et la vie de réfugiés, la précarité, le retour empêché par l’État d’Israël.
Emblématique de la situation des réfugiés à Jérusalem, le quartier de Sheikh Jarrah borné par la ligne verte. Y vivent dans une grande précarité une trentaine de familles palestiniennes, réfugiées, qui ne peuvent retourner dans leurs propriétés en Israël bien qu’elles en possèdent les titres. Les violences des colons et le harcèlement de la police israélienne sont leur quotidien ; les batailles juridiques contre les organisations de colons rythment leur vie depuis 20 ans. Pour leur plus grand malheur, ces familles ont trouvé refuge dans une zone stratégique dont la confiscation donnerait une continuité territoriale à Israël entre l’ouest de la ville et ses colonies de l’est. Des organisations de colons en revendiquent la propriété pour y installer des colons fanatiques, racistes et suprémacistes. Les familles palestiniennes refusent de partir et vivent un enfer au quotidien, ponctué d’expulsions et de destruction de maisons.
Prendre la terre et se débarrasser d’une population dont on ne reconnaît pas l’existence, éliminer et remplacer, tel était l’objectif initial du mouvement sioniste, le mythe fondateur de « la terre sans peuple pour le peuple sans terre », cet objectif n’a pas changé : le nettoyage ethnique est à l’œuvre, à Jérusalem comme dans toute la Palestine historique.
Les 7 km² que couvrait Jérusalem-Est lors de l’occupation en 1967 n’étaient pas du tout à la hauteur des projets d’annexion d’Israël : son premier acte a donc été d’en augmenter la superficie de 60 km². C’est ce territoire considérablement accru que l’occupant a annexé.
Les étapes suivantes consistent à sortir un maximum de Palestiniens de Jérusalem et d’y intégrer le maximum de colons : c’est l’objet du tracé du mur et du projet du « Grand Jérusalem » dont le plan intègre à la municipalité les grands blocs de colonies et en exclut les quartiers palestiniens les plus densément peuplés. Doubler le territoire annexé, tel est l’objectif du « Grand Jérusalem » : 125 km², c’est mieux que 64 ! Il répond également à l’obsession d’un équilibre démographique défini au fil de l’eau par la municipalité de Jérusalem.
Les villages qui entouraient Jérusalem-Est en 1967 sont maintenant des quartiers surpeuplés dont aucune infrastructure n’a été rénovée. Ils sont enclavés et totalement asphyxiés par les colonies israéliennes.
Se côtoient sur ce territoire illégalement annexé par Israël deux populations, qui dépendent d’une même administration et d’une même autorité, qui paient le même niveau de taxes mais qui ne reçoivent pas du tout le même niveau de redistribution et qui ne vivent pas dans le même monde :
– Les colons vivent dans des quartiers modernes, bénéficiant de tous les services sociaux, économiques, culturels, urbains.
– Les Palestiniens regardent les bennes à ordure déborder, les rues se dégrader, leurs écoles dans l’incapacité d’accueillir leurs enfants, les centres de santés inopérants. C’est seulement sur 13 % de la superficie de Jérusalem-Est que les Palestiniens ont la possibilité de vivre. Et c’est encore trop !
– Les colons toujours plus nombreux s’approprient des maisons palestiniennes tant dans la vielle ville de Jérusalem que dans le quartier de Silwan au pied de l’Esplanade des mosquées ou à Sheikh Jarrah.
– Ils construisent de grosses unités d’habitation au cœur des quartiers populaires de Ras al-Amoud ou de Jabal al-Mukaber.
– Des centres commerciaux israéliens, des zones économiques, chassent toujours plus de familles et d’artisans palestiniens et réduisent leur espace vital tel une peau de chagrin.
Tout cela est au cœur des plans d’urbanismes successifs qui visent à vider la ville de sa population palestinienne et à en faire disparaître l’identité arabe.
Tour à tour, ou simultanément, certains quartiers palestiniens sont plus violemment ciblés :
– Al-Issawiya pour tenter d’en briser la résistance,
– Le camp de réfugiés de Shu’fat, enfermé derrière le mur et verrouillé par un check point dont les habitants vivent dans une misère noire.
Cela ne suffit cependant pas à vider la ville de sa population palestinienne : Israël n’est pas en mal d’imagination pour rendre la vie des Palestiniens impossible et espérer les forcer à partir :
– L’accès à l’habitat empêché : obtenir un permis de construire pour un Palestinien coûte extrêmement cher et reste exceptionnel. C’est pour cette raison que des dizaines de milliers de familles vivent dans des logements construits sans permis et sont sous la menace permanente de la destruction.
– Le statut de résident sur sa propre terre qui peut être révoqué par l’occupant selon son bon vouloir.
– L’obligation de prouver que son « centre de vie » se situe bien à Jérusalem.
– Le regroupement familial empêché : Israël n’octroie qu’exceptionnellement l’autorisation au conjoint d’un ou une Jérusalémite l’autorisation de vivre à Jérusalem : les couples sont donc condamnés à vivre séparés, ou dans l’illégalité et leurs enfants à n’avoir aucune existence légale.
– La répression, le harcèlement, l’oppression.
Les jeunes Palestiniens de Jérusalem paient le prix fort de l’oppression : exécutions sommaires, arrestations, humiliation…
Et malgré tout cela, les Palestiniens et les Palestiniennes de Jérusalem restent ! Nous pensons tous à Salah Hammouri, victime de 20 ans de harcèlement sadique destiné à le pousser à partir de son propre chef et à quitter sa terre natale. Israël n’a pas réussi et a donc utilisé une loi scélérate pour lui retirer sa carte de résident pour « défaut d’allégeance » puis l’a expulsé de force contre son gré hors de Palestine. Ceci est constitutif d’un crime de guerre. Ce très grave précédent risque d’être suivi d’autres.
Ils restent, ils vivent et ils se soulèvent régulièrement. Rappelons et citons :
– Le mouvement de masse de l’été 2017 quand pendant des dizaines de jours, la jeunesse de Jérusalem s’est dressée autour de la vieille ville jusqu’à ce que Netanyahou enlève ses portiques aux entrées de l’esplanade des mosquées.
– La mobilisation autour de Sheikh Jarrah en mai 2021, mobilisation qui a vu la mobilisation croisée des quartiers en résistance.
– L’occupation quotidienne malgré la répression et les intimidations de leurs espaces collectifs comme la porte de Damas.
– La défense de l’esplanade des mosquées, cible permanente des colons, de la droite et de l’extrême droite israélienne.
Plus discrets et moins connus, mais omniprésents, n’oublions pas :
– Les centres sociaux, les centres culturels, les centres communautaires, les associations de femmes qui structurent la vie sociale des Palestiniens de Jérusalem
– Le théâtre national palestinien, le centre culturel Yabous, le conservatoire Edouard Saïd
– Les comités populaires qui structurent la résistance dans les quartiers et apportent aide et soutien aux populations
Ils sont le cœur et l’âme de cette ville. C’est grâce à elles et à eux tous que nous pouvons en approcher les contours, la découvrir, comprendre son histoire et sa géopolitique.
Une mention spéciale de la Coalition civique pour les droits des Palestiniens à Jérusalem sans laquelle les connaissances sur Jérusalem de l’AFPS et particulièrement de ses groupes locauxet des élus qui découvrent Jérusalem avec eux, ne seraient pas ce qu’elles sont. Elle conteste toutes les tentatives visant à priver les Palestiniens de leurs droits, elles les accompagnent dans leurs démarches contre toute forme de dépossession. Elle accompagne les comités populaires des différents quartiers dans leurs démarches et structure leur coordination.
Jérusalem est un symbole autour duquel tous les Palestiniens se retrouvent et pour laquelle ils se lèvent quand il faut la défendre, quand il faut rappeler son caractère palestinien. Ce fut particulièrement le cas en mai 2021 quand de Gaza à Jaffa, de Ramallah à Nazareth, du Naqab aux camps de réfugiés du Liban, le peuple palestinien dans son ensemble s’est levé et a protesté contre les attaques tous azimuts de l’occupation.
Soutenir et accompagner ces mouvements, faire connaître et comprendre la réalité du terrain, aller à la rencontre de nos partenaires, les accueillir en France pour qu’ils puissent témoigner auprès de nos concitoyens mais aussi de celles et ceux qui pourraient être de réels acteurs s’ils mettaient fin à l’impunité d’Israël.
Voilà ce que l’AFPS fait avec les moyens qui sont les siens.
Anne Tuaillon
>> Consulter et télécharger l’ensemble du n°83 de la Revue PalSol