Mercredi 13 juin : Pour la 3e journée consécutive, Rami s’abrite dans son appartement avec sa maman et son frère. Ils habitent le quartier d’Al-Remal, tout près de la zone sécuritaire où se déroulent des accrochages entre le Hamas et le Fatah. Un couvre-feu non officiel est imposé. Les tireurs embusqués sont sur les toits guettant le moindre mouvement. Vers 13h, il arrive quand même à sortir pour joindre les journalistes étrangers avec qui il va travailler. Des cagoulés crient : stop, stop. Au début de la rue des fatahistes, à son bout des hamassis. On tire sur le taxi. De quel camp viennent les balles ?. Rami ne sait pas.
Jeudi 14 : Rami part à 9h, il va chercher ses journalistes à l’hôtel. Tous se dirigent à Radio Al-Chabab (radio jeunesse), qui dépend du Fatah. Là-bas, il voit sur la chaîne de télé Al-Aqsa du Hamas, les informations. La sécurité préventive est tombée. La peur gagne la radio. Rami quitte avec ses compagnons en direction de l’hôtel. Il est de nouveau à l’abri pendant au moins une heure. Il reprend le travail et ne rentre qu’à 20h30, bizarrement en sécurité. En fait, la moindre balle tirée viendrait maintenant du Hamas.
Vendredi 15 : Jour férié. Les rues sont normalement désertées, mais ce vendredi est particulier. Des foules envahissent les rues. Les Palestiniens, confinés dans leur maison depuis des jours, s’empressent de voir les résultats des choses. Ils se déplacent librement et vont s’approvisionner en eau.
Samedi 16 : Longue journée de travail. Rami se dirige avec son équipe vers Al-Montada. Il voit les cagoulés assis, les jambes croisées, dans le bureau d’Abou-Mazen. Plus loin, de simples citoyens arrivent avec des camions et emportent tout ce qui se trouve dans la maison de Dahlane. La maison de Arafat n’est pas épargnée. Ses vêtements, ses photos, tout ce qui restait de lui. Déplorable pour Rami, même le symbole est touché.
Dimanche 17 : Les magasins sont ouverts. On achète tout. On se sent en sécurité mais on a peur de la perdre. Un vent de panique souffle. La situation ressemble au lendemain de la prise du pouvoir par le Hamas après les élections. Rami ne veut pas quitter Gaza. Son destin, il le voit semblable à celui des autres Palestiniens qui se demandent de quoi demain sera fait.
C’est la question qui préoccupe tout le monde et non seulement les Palestiniens au comble du déchirement. En ce jour, la situation est complexe. En moins d’un an, les Palestiniens ont vu défiler trois gouvernements. Un du Hamas seul, un deuxième de coalition et un plus récent, duquel le mouvement de résistance est écarté. On est sous le signe des équations ?
Deux gouvernements palestiniens : un à Gaza dirigé par Ismaïl Haniyeh et un autre en Cisjordanie administré par Salam Fayyad, dit le chouchou de l’Occident. Et chacun déclare l’autre hors-la-loi. Ce qui semble d’ailleurs vrai.
L’Autorité palestinienne que représente Mahmoud Abbass est une institution légitime et le Conseil législatif que domine le Hamas n’en est pas moins légitime. Impossible donc de déterminer laquelle des deux parties a mené un putsch contre la légitimité. « Sauf si nous considérons les services de sécurité, qui sont à la base de ce conflit, comme la seule institution légitime en Palestine », explique le politologue Diaa Rachwan. « Mais lorsque des hommes armés remplacent le drapeau national palestinien par celui jaune du Hamas, n’est-ce pas là un coup d’Etat ? », se demande Emad Gad, rédacteur en chef de la revue Israeli Digest. Le contexte est difficilement lisible. Les Palestiniens s’enfoncent davantage dans la division.
La scène, désormais calme, qui règne depuis quelques jours contraste avec un sentiment de chaos qui s’est emparé des Palestiniens. On retient encore une seule image : une femme, son enfant sur une main et ses bagages dans l’autre. Cela dure depuis longtemps, se dit-elle. D’abord avec la Nakba de 1948, des Palestiniens sont massacrés et d’autre forcés à l’exode. La société palestinienne s’enfonce alors davantage encore dans la division. La tragédie se poursuit en 1967 avec l’occupation des territoires par Israël et des Palestiniens sont de nouveau jetés sur la route de l’exode. Aujourd’hui, des scènes presque semblables. Des Palestiniens s’empressent de fuir.
Fuir le bon frère ennemi
Des habitants de Gaza passent la nuit près du point de passage d’Erez avec Israël dans l’espoir de pouvoir arriver en Cisjordanie. Ils fuient leurs confrères et non l’oppression israélienne, comme ceci a été toujours le cas depuis une soixantaine d’années. Leur pays, la bande de Gaza, est coupé du monde. Israël a fermé tous les points de passage, l’acheminement des carburants est bloqué.
Mais la bande de Gaza n’était-elle pas déjà une enclave ? Au moins depuis les élections démocratiques qui ont amené les Hamassis au pouvoir. Depuis, on s’attendait à tout. Du désordre à la guerre civile. Les événements récents se situent dans la continuité de cette dispute autour du pouvoir.
Le Hamas, qui ne cesse de subir des pressions intenables, veut tirer les choses au clair avec le Fatah et aussi avec le reste de la communauté internationale qui depuis plus d’un an s’efforce d’éliminer « l’obstacle issu d’un scrutin démocratique ». Personne n’imaginait cependant un tel scénario. « Mais le Hamas a été piégé et a réagi de façon absurde et aujourd’hui, il se trouve obligé à lui seul de trouver une issue à la situation », explique Gad, selon lequel la seule lecture actuelle de la situation est la suivante : une entité à Gaza, dirigée par le Hamas et ne regroupant que des sympathisants de ce mouvement, coupée du monde, une partie de l’enfer qui préparerait le propre cercueil des Hamassis. [1]
Un tel scénario consiste à dire que les Israéliens encercleront davantage la bande de Gaza, l’Egypte, inquiète de ce « putsch islamiste potentiellement contagieux », fermera sine die le passage de Rafah, seul contact de Gaza avec le monde extérieur. Les Israéliens négocieront par la suite avec Mahmoud Abbass le sort d’un Etat palestinien, une version de Camp David II, « probablement 95 % de la Cisjordanie et quelques quartiers de Jérusalem-Est avec un renoncement au droit de retour des réfugiés », précise Gad.
Preuve en est cette précipitation internationale de fournir une aide financière exceptionnelle à l’Autorité palestinienne pour renforcer Abbass, alors que depuis son élection rien n’a été fait pour tenter de construire avec lui un processus de paix. En revanche, tout comme Yasser Arafat, il a été mis hors-jeu.
Oui, mais peut-on désigner le Hamas comme perdant d’avance ? « Il serait extrêmement dangereux de prendre des mesures politiques, économiques et sécuritaires en pensant que la dernière heure du Hamas a sonné et qu’il faudrait ne pas la rater. Ceci engendrera davantage de complications qui dépasseront les frontières de la petite bande de Gaza », explique Rachwan. D’ailleurs, les signes ne sont qu’inquiétants.
Il est difficile aussi de concevoir un Hamas prenant conscience de sa bavure croyant qu’il pourra gouverner indépendamment de l’OLP et de la Cisjordanie, juste « pour protéger les principes de la cause palestinienne » : c’est-à-dire voir ce mouvement renoncer à l’action politique et s’orienter uniquement vers la résistance.
Aussi difficile, voir le Fatah prôner une réconciliation nationale pour protéger cette même cause et renonçant au monopole du pouvoir et à une stratégie qui dépend surtout du gré des Israéliens. Ces Israéliens qui ont tout fait pour créer une situation de chaos susceptible de justifier une intervention répressive brutale. Par leurs abus et leurs faits accomplis, n’ont-ils pas favorisé cette division ?
Un statu quo semble également impossible. Le statu quo anté aussi ... Avec des calculs aussi embrouillés, les Palestiniens vivent dans la peur. Celle de l’inconnu au cœur duquel ils se trouvent maintenant.
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2007/6/20/leve1.htm
L’Etat hébreu profite de la situation actuelle et voit son rêve d’enterrer la cause palestinienne près de se réaliser. Toutefois, d’autres scénarios, y compris une opération militaire israélienne à Gaza, ne sont pas à écarter.
Ce déchirement interpalestinien est-il de bon augure pour Israël ? Sans trop plonger dans une théorie du complot et dire que Tel-Aviv aurait orchestré ces affrontements et sans non plus aller trop loin et dire que les Palestiniens n’y sont pour rien, la réponse est Oui. Aujourd’hui encore plus, la prise de contrôle par le Hamas des institutions sécuritaires dans la bande de Gaza aurait bouleversé la situation en Israël. Mais dans un sens plutôt favorable.
Certes, les commentaires au premier degré sont dans un contexte négatif. « Bonjour l’enfer », c’est ainsi que les médias israéliens évoquent un « scénario-catastrophe devenu une réalité ». C’est la première vision qui domine en Israël, parce qu’il y en a deux, selon le politologue égyptien Saïd Okacha. Un camp qui voit le Hamas à Gaza comme les Talibans en Afghanistan et craint donc de voir les Hamassis se renforcer avec l’aide financière et militaire de pays comme l’Iran, l’ennemi juré d’Israël.
L’autre vision consiste à dire que le danger sécuritaire présenté par les attaques contre les territoires israéliens va en quelque sorte diminuer. « La confrontation interpalestinienne est vouée à se poursuivre. Le Fatah vaincu va riposter et le Hamas va économiser chaque balle pour protéger sa sécurité au lieu de faire des attaques contre Israël sa priorité », dit Okacha. Mais dans un cas ou dans l’autre, « ce conflit entre le Fatah et le Hamas aujourd’hui arrivé au point du non-retour satisfait les Israéliens », précise Emad Gad, rédacteur en chef de la revue Israeli Digest.
Lorsqu’Israël parle de l’absence d’un partenaire palestinien pour la paix, il serait « plus que crédible aux yeux de la communauté internationale », dit-il. Les photos du drapeau national palestinien mis en berne par les militants du Hamas et remplacé par leur drapeau vert, aussi bien que les images de Yasser Arafat et Abbass jetées par terre par ces même militants, serviront bien à Israël pour diaboliser l’image des Palestiniens. Mais au-delà d’une satisfaction ou d’une déception en Israël, il y a tendance à croire que le Hamas s’est creusé son propre piège.
En fait, l’Etat hébreu a la haute main sur le ravitaillement de la bande de Gaza. Ce territoire mesurant 360 km2 est le plus dense et le plus pauvre au monde. Il est dépourvu de toutes sources naturelles, même de l’eau. Son économie est liée à l’économie israélienne. 70 % de l’électricité et 40 % de l’eau lui proviennent d’Israël. Ce dernier contrôle en outre tous ses points de passage.
Selon Gad, une simple attaque contre Israël poussera Tsahal à se déchaîner contre Gaza, en y coupant et eau et électricité.
Le gouvernement de Tel-Aviv n’a en effet pas tardé à isoler Gaza. Tous les points de passage entre la bande et Israël ont été immédiatement bloqués, la fourniture de carburants a été aussi gelée. Selon les estimations du ministère israélien des Infrastructures, les stations-service de la bande de Gaza ne disposent que de deux semaines de réserves.
Et ce n’est pas tout. Une possible intervention militaire israélienne à Gaza se profile à l’horizon. « Pas une offensive dans l’immédiat », affirme cependant Tzahi Hanegbi, président de la Commission de la défense et des affaires étrangères à la Knesset. Mais selon lui, « tôt ou tard, Israël devrait mener une offensive dans la bande de Gaza qui est devenue une base iranienne ». Dans un premier temps, les responsables israéliens ont exclu une telle intervention en qualifiant la situation actuelle « d’affaire palestinienne intérieure ». « Notre présence militaire à Gaza ne ferait que créer des problèmes plutôt que de les résoudre », avait dit Miri Eisin, porte-parole du premier ministre, Ehud Olmert.
Mais la nomination d’Ehud Barak, nouveau numéro un du Parti travailliste à la tête du ministère de la Défense, « qui a été prise plus rapidement que prévue comme les Israéliens eux-mêmes l’affirment, va bien dans le sens d’une opération ou d’une réoccupation de Gaza », dit Okacha. Barak, cet homme le plus décoré de l’armée israélienne et ancien chef du « commando de l’état-major » auteur du retrait du Sud-Liban, serait le sauveur d’Israël après la défaite au Liban, l’an dernier.
Aujourd’hui, « les Israéliens attendent de Barak de corriger son erreur du retrait du Liban en 2000, qui a renforcé le Hezbollah, selon eux, en empêchant le Hamas de se procurer le pouvoir à Gaza », dit Okacha. Un plan d’offensive israélienne a en effet été dévoilé par le Sunday Times qui en général tient ses excellentes sources « d’amis israéliens ». Selon le journal, « l’offensive d’envergure préconisée par Barak dans la bande de Gaza devrait avoir lieu dans les prochaines semaines et viserait à détruire le Hamas. Et Quelque 20 000 soldats seraient mobilisés pour l’opération ».
Dans le même temps, Tel-Aviv encouragera la dissension Fatah-Hamas. Le ministre des Infrastructures, Benyamin Ben Eliezer, a affirmé qu’Israël devait « aider au maximum Abou-Mazen. (...) Il faut lever des barrages routiers en Cisjordanie et débloquer l’argent que nous devons aux Palestiniens ».
Israël serait-il proche de réaliser son rêve, comme l’a dit Saoud Al-Fayçal, chef de la diplomatie saoudienne ? Ce rêve d’enterrer la cause palestinienne.
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2007/6/20/leve3.htm