Atelier AFPS mené à Bil’in
Lundi 20 février 2006, de 15H à 16H30 puis de 16h50 à 18H
2 animateurs : A., coordinateur du comité villageois de Bil’in et M., coordinateur palestienien d’ISM à Biddu.
Pourquoi le choix de la non-violence ? avez-vous été influencés par Gandhi, Martin Luther King ... ?
Beaucoup de lutte ont été menées, certaines avec des actions violentes, d’autres sans violence et nous avons observé qu’il y a une différence entre les 2. A Bil’in, nous avons opté pour la non-violence pour plusieurs raisons. En cas de violences, la répression de l’armée israélienne est encore plus dure, l’utilisation de la violence leur donne une excuse pour durcir la répression.
Une stratégie adaptée à notre village, car nous n’avons que 1600 habitants ; dans un rapport de force classique, nous n’avons aucune chance.
Au début de notre lutte en 2004, il y avait un espoir de paix, un appel au cessez-le-feu : notre choix était en cohérence avec le contexte.
Actuellement, la non-violence gagne du terrain en Palestine alors qu’elle est plutôt en recul en Israël. Pour continuer notre lutte, nous avons demandé un soutien aux pacifistes israéliens ; il y a eu évolution en Israël : dans la presse, il y a eu des articles dénonçant l’illégalité du Mur.
En ce qui concerne Gandhi, j’en ai entendu parler à l’école ; il m’arrive d’en parler à mes étudiants ( Abdallah est professeur d’université à Jérusalem) mais, à Bil’in, nous ne le prenons pas en référence. Notre démarche est naturelle : quand nous nous trouvons face aux soldats, nous leur disons que nous sommes tous des êtres humains, eux et nous, que nous ne sommes pas contre les Juifs mais que nous sommes contre ceux qui prennent et qui occupent notre terre. On nous appelle « les petits Gandhi » ; nous sommes très honorés mais cela n’a rien à voir.
A R. qui demande si cependant il n’y a rien à apprendre de Gandhi et d’autres leaders non-violents, Abdallah précise : nous Palestiniens, nous avons une histoire très particulière ; la grève de 1936 était non-violente ; la 1ère intifada était non-violente ; la non-violence est une tradition palestinienne.
Comment s’organise votre lutte ? quelle est la place des différents partis politiques ?
Au-début, il y a eu une réunion dans le village ; on a fait appel aux volontaires pour créer un comité villageois. Aujourd’hui, le comité se compose de 15 personnes. Toutes les décisions sont prises à l’unanimité. Chacun laisse son étiquette politique à la porte.
Quel est l’impact de la non-violence sur la société palestinienne ?
La non-violence à Bil’in ne date pas d’aujourd’hui ; dans notre village, pour régler les différends, nous le faisons par la discussion.
A l’intérieur du comité, là aussi, on règle les différends par la non-violence ; je suis le plus « vieux » et c’est souvent moi qui de fait essaye de réguler ; et surtout, il est clair pour tous que nous avons beaucoup à perdre si nous nous affrontons.
Le choix de la non-violence a eu pour première conséquence au niveau de notre village de mieux respecter la démocratie ; je suis « coordinateur » et non « président » ; tout le monde peut être leader.
Pour les autres villages, si nous gagnons à la Cour Suprême, d’autres villages s’engageront dans la lutte, comme à Bil’in. Si nous perdons, nous resterons un modèle en Europe mais pas en Palestine !
Y-a-t-il eu des problèmes entre Palestiniens d’une part et Israéliens et Internationaux d’autre part ?
Dans l’ensemble, il n’y a pas eu de problèmes entre nous. Nous remercions tout particulièrement M. qui assurent les contacts avec les Internationaux. Il y a une formation pour prendre conscience d’éventuelles frictions entre musulmans et non-musulmans, entre hommes et femmes...
Il y a eu quelques problèmes pour certaines tenues ; les choses ont été dites ; en fait, le respect mutuel existe.
Par contre, il y a eu une méfiance de la part de la population palestinienne des autres villages quant à la venue des Israéliens ? « Pourquoi des Israéliens à Bil’in ? ce sont des soldats ! ».
Réponse : ils nous aident, ils sont de notre côté. La méfiance a été totalement levée après une action particulière : une nuit, l’armée est venue arrêter 20 villageois ; les nuits suivantes, des Internationaux et des Israéliens sont venus dormir chez un certain nombre d’habitants. L’armée n’effectue pas d’arrestation dans ces conditions à cause des caméras. Depuis, nous formons une seule famille ; on fait des fêtes ensemble, on chante, on danse.
Comment s’effectue les contacts entre vous, les Internationaux et les Israéliens ?
Il y a 1 coordinateur à Bil’in, 1 à ISM et 1 chez les Israéliens. Les contacts sont rapides.
Comment faites-vous pour maîtriser les manifestations ? en cas de jets de pierres, que faites-vous ?
Avant une manifestation, il y a une formation par l’ISM qui aborde plusieurs points : les traditions des villages, les armes employées par les Israéliens, les problèmes juridiques, les contacts avec les médias ; on décide aussi de qui porte la caméra, la banderole, etc...
Une représentante d’Anarchistes contre le Mur intervient pour dire qu’ils ont une autre préparation, sans plus de précisions.
En France, la non-violence sous-entend aucune violence ; un jet de pierres est considéré comme de la violence ; lors d’une agression de l’armée israélienne, s’il y a des jets de pierres, comment le comité réagit-il ?
Le comité empêche les gens d’envoyer des pierres. Mais si l’armée envoie des gaz lacrymogènes ou tire avec des balles en caoutchouc, alors tout le monde lance des pierres. Dans ce cas, on se défend ; ce n’est pas de la violence.
La non-violence est quelque chose de très difficile à faire. Vis à vis des enfants surtout, comment leur apprendre à ne pas rendre la violence qu’ils reçoivent ?
Avec les enfants, c’est très difficile.
La présence des médias peut servir d’exutoire lorsque les reportages montrent la violence israélienne.
Nous leur apprenons à ne pas répondre aux provocations des soldats ou à avoir une réponse proportionnée.
Je ne le souhaite pas mais que se passera-t-il si la Cour Suprême (israélienne) ne vous donne pas raison ? avez-vous préparé les gens à un échec ?
Au début de notre lutte, il y avait une majorité de sceptiques ; nous nous donnions 10% de chance de réussite ; aujourd’hui, nous estimons que nous avons de 70 à 80% de chance.
Si nous échouons, les autres villages ne suivront pas.
Si nous échouons, nous ne regretterons rien ; nous n’avons pas le choix ; notre terre, ce n’est pas pour faire des opérations immobilières, c’est pour faire manger nos familles, nos enfants ; nous nous battons pour nos enfants, pour leur avenir. Nous pourrons nous regarder dans les yeux.
Y-a-t-il d’autres villages engagés dans la non violence ? des villes ?
Il y a 2 autres villages : Abud et Beit Sira ; ils sont aussi en contact avec les Israéliens et les Internationaux.
Les récentes déclarations d’Abou Mazen vont dans ce sens.
En ce qui concerne les villes, Kalkylia, Tulkarem, Jénine ont eu des expériences similaires, mais le contexte était différent : c’était en 2002, au moment de l’opération « rempart » contre les villes ; les médias ont focalisé sur ces interventions et n’ont pas « vu » ces actions.
A la manifestation de Bil’in de vendredi dernier (le 17/02/06), il y avait beaucoup de femmes ; ce matin à la conférence, peu de femmes du village et une seule femme a parlé, une « internationale ». Pourquoi ?
Vendredi dernier, les femmes n’avaient pas beaucoup de travail ; par contre, aujourd’hui, elles en ont beaucoup car il faut préparer à manger pour 400 personnes ! ! !
La dernière partie de l’atelier a été consacrée à proposer des modalités d’action pour continuer la lutte.
L’achat par des internationaux d’une parcelle de terres et construction d’une maison par ces nouveaux propriétaires : serait-ce plus difficile à détruire pour les Israéliens ?
Réponse de M. : les Palestiniens refusent de vendre leur terre car ils craignent toujours que des Israéliens peuvent être derrière l’opération. Par contre, on pourrait envisager que des Internationaux achètent des lots d’arbres ( des oliviers !) pour les replanter derrière le Mur : sans doute, cela risquerait d’avoir plus de poids devant les tribunaux israéliens ; en plus cela contribuerait à la reforestation de la Palestine.
En ce qui concerne la construction, le permis dépend des Israéliens...si pas de permis, « construction illégale »...
L’extension de Modi’in illit se fait par une société « la cie Métrix », une société canadienne ; il faudrait envisager une action contre cette société.
Les permis de construire ne dépendent pas de l’armée mais d’un autre organisme de l’Etat : action contre cet organisme.
Proposition des anarchistes contre le Mur : des Israéliens et des Internationaux démolissent une partie du Mur ; pas de Palestiniens car ils risquent vraiment gros. Une bonne idée mais il faut du monde.
A. souhaite des actions qui puissent se faire en même temps à Bili’in et ailleurs dans le monde : une action chaque vendredi (ou samedi) avec des photos de Bili’in.
Une réunion d’organisations juives a eu lieu en République Sud Africaine la veille (le 19/02/06) où a été décidée une action spectaculaire dans le monde entier de soutien à Bil’in.