Le 12 aout 2020
Les organisations palestiniennes pour la défense des droits de l’humain observent, avec inquiétude, les évolutions rapides au sein du pouvoir judiciaire palestinien, coïncidant avec l’arrivée de nouveaux défis auxquels le peuple palestinien doit faire face. En plus du soi-disant « deal du siècle », les autorités d’occupation israéliennes continuent leur avancée et renforcent leur annexion, enhardies et soutenues par les États-Unis, en violation flagrante avec les lois humanitaires internationales des droits de l’homme. La situation requiert la restauration urgente du système politique palestinien et la consolidation des institutions et autorités publiques, particulièrement celle du pouvoir judiciaire. Cette restauration devra être fondée sur la compétence, l’impartialité et la transparence, afin de promouvoir la séparation des pouvoirs et l’état de droit comme base de gouvernance et renforcer les institutions palestiniennes qui doivent faire face à des défis imminents.
Depuis 2007, la division politique palestinienne a accru les difficultés et les risques pesant sur son système politique. L’inaction, et la dissolution qui s’en est suivie du Conseil Législatif Palestinien (PLC) a exacerbé la crise actuelle. C’est flagrant lorsque l’exécutif exerce le pouvoir législatif, majoritairement sans participation ni publique ni politique et promulgue des lois sous forme de « décrets exceptionnels », contrevenant ainsi aux règles de l’article 43 de la Loi Fondamentale Palestinienne, qui les limite aux cas d’extrême nécessité qui ne peuvent attendre. Dans la bande de Gaza le groupe des Réformes et Changements du PLC continue d’organiser des sessions et approuve des régulations contraires à la Loi Fondamentale et au mandat du PLC. Les abus de pouvoir ont de fait érodé les droits publics et les libertés, ce qui a ébranlé tout ce qui restait du système politique et normalisé la division politique.
Le pouvoir judiciaire subit les conséquences de la division politique palestinienne. Au lieu d’opérer comme un corps unique contribuant à l’unité du peuple palestinien, le système judiciaire est devenu lui-même partie de la division politique interne et nécessite d’être consolidé. Deux conseils judiciaires existent désormais, un en Cisjordanie et un dans la bande de Gaza. De même pour le Ministère Public qui a deux procureurs généraux en place. De fait, le pouvoir judiciaire a été entrainé dans les rivalités et divisions politiques, ouvrant une voie royale et fournissant de nouveaux outils pour entériner la division et renforcer l’emprise sur les autorités. Depuis 13 ans, les tentatives de réconciliation nationale voulant mettre fin à la division politique palestinienne sont restées au point mort, permettant à un environnement non démocratique d’exister au travers de toutes les composantes du système politique palestinien. Les élections législatives et présidentielles n’ont pas été tenues et font grandement défaut depuis 2010, érodant ainsi la légitimité de toutes les autorités en raison de l’absence de pratiques démocratiques. Cela a débouché sur les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires qui fonctionnent de façon contraire à la Loi Fondamentale Palestinienne. En conséquence, une génération entière est privée de l’exercice de ses droits à la participation politique et à l’accès aux cercles de prise de décisions. Pendant ce temps, des privilèges ont été fournis à certains groupes qui perçoivent la fin de la division politique comme une menace à leur statut.
La structure du système politique palestinien a montré que la Haute Cour Palestinienne est capable d’endosser les charges et pouvoirs d’une Cour Suprême Constitutionnelle (SCC). En cette capacité elle s’est réunie et a rendu des jugements pendant plus de 15 ans sans montrer signe d’une urgence à l’établissement d’une Cour Suprême Constitutionnelle. La composition de la SCC actuelle a été déterminée par les considérations politiques, et ses décisions ont provoqué de nombreuses controverses dans la société palestinienne, nécessitant que sa composition et ses prérogatives soient reconsidérées.
L’absence prolongée de réconciliation nationale a favorisé le déclin du système judiciaire. Les interventions de l’exécutif dans le domaine judiciaire sont la clé de son absence d’indépendance et une violation du principe d’état de droit. Les nominations des membres du Haut Conseil Judiciaire (HJC), par exemple, contreviennent aux dispositions de la loi n°1 du pouvoir judiciaire de 2002. De plus, exiger des membres du HJC de signer une lettre de démission avant qu’ils ne soient nommés contrevient sérieusement aux principes d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire. Cela a donné lieu à une augmentation des interventions dans les affaires judiciaires avec des ramifications sur l’état interne du pouvoir judiciaire et la création d’une division entre le pouvoir judiciaire et les juges. Cela a eu un impact négatif sur l’image et l’intégrité du pouvoir judiciaire et sapé la confiance publique, au-delà des sérieux effets négatifs sur les droits et libertés, ainsi que les droits individuels des plaignants. L’interférence de la branche exécutive dans le domaine judiciaire comprend la mise en place d’un Comité Présidentiel pour le Développement du Secteur de la Justice et plus tard la dissolution du HJC Permanent. Cela inclut également la formation d’un HJC de transition, la mise à la retraite forcée de plusieurs juges et le détachement de juges à des postes gouvernementaux non judiciaires tout en préservant leur pouvoirs et privilèges judiciaires, contrairement aux détachements habituels. Ces mesures n’ont pas débouché sur un système judiciaire palestinien indépendant et compétent qui aurait rendu au peuple une justice rapide, efficace et impartiale, basée sur un fonctionnement financier et administratif indépendant, et qui aurait restauré le respect et la confiance dans le système judiciaire, tout en permettant de contribuer à la résilience palestinienne comme pilier principal du système politique.
La loi n°1 de 2002 du pouvoir judiciaire n’a jamais entravé le développement du système judiciaire palestinien. A l’opposé, l’interférence dans les affaires judicaires, le contournement des lois du pouvoir judiciaire et l’absence de volonté politique pour empêcher ces interventions sont toutes des facteurs clés du déclin des performances et du manque de confiance publique dans le domaine judiciaire. A cette fin, les dispositions des lois du pouvoir judiciaire devraient être scrupuleusement respectées et défendues.
Un système judiciaire juste, indépendant et impartial nécessite des juges expérimentés et compétents, du professionnalisme et des pratiques irréprochables. Il nécessite également des outils de contrôles efficaces, ancrés dans la loi et épousant les principes d’équité et de non-discrimination, tout en garantissant responsabilité et le droit à un procès juste – basés sur le respect des droits de l’humain, l’application équitable des lois et la lutte contre la corruption. Des évaluations professionnelles transparentes et responsables devraient être organisées pour promouvoir des opportunités équitables et une compétition juste à la fois aux niveaux judiciaire et administratif. Cela nécessitera également la garantie de fournir un niveau de vie décent aux juges, de façon à maintenir l’intégrité du système judiciaire.
Ayant accédé aux conventions internationales des droits de l’humain, l’État de Palestine se doit d’aligner le fonctionnement de ses institutions aux standards d’indépendance et d’impartialité du système judiciaire, particulièrement ceux dictés par les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature (adoptés par l’Assemblée Générale des Nations Unis en 1985) et le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques. La conformité avec ces normes renforcerait le statut international de la Palestine, les efforts de leadership politique et encouragerait la communauté internationale et le Conseil de Sécurité à reconnaitre la Palestine comme État membre des Nations Unies.
Considérant les conséquences des développements récent du pouvoir judiciaire et l’impact négatif des interférences dans les affaires judiciaires sur les droits et libertés, les organisations pour les droits humains soussignées insistent sur les demandes suivantes :
- Appliquer la Loi Fondamentale n°1 du pouvoir judiciaire scrupuleusement au lieu d’amender ses articles et ce jusqu’à la tenue d’élections nationales et l’établissement d’un parlement élu.
- Restaurer le Haut Conseil Judiciaire Permanent sans délai, conformément à la loi n°1 du pouvoir judiciaire de 2002, tout en garantissant la non-intervention dans les affaires judiciaires.
- Lancer des consultations par le Haut Conseil Judiciaire Permanent avec tous les corps officiels et non-officiels pour présenter leurs doléances et préparer un plan avec un calendrier précis pour promouvoir et améliorer le système judiciaire palestinien.
- Réviser la composition et les pouvoirs de la Cour Suprême Constitutionnelle, en garantissant son indépendance, impartialité et non-politisation.
- Prendre des mesures sérieuses pour restaurer la vie démocratique, principalement pour mettre un terme à la division interne du système politique palestinien et organiser la tenue rapide d’élections législatives et présidentielles. Cela garantira le droit de chacun à participer au processus national démocratique et renforcera les institutions, les droits, les libertés et l’état de droit.
Organisations signataires :
- Palestinian Center for Human Rights
- Al-Haq
- Mezan Center for Human Rights
- Palestinian Center for the Independence of the Judiciary and the Legal Profession (MUSAWA)
- Addameer Prisoner Support and Human Rights Association
- Palestinian Working Women Society for Development
- Human Rights and Democracy Media Center (SHAMS)
- Defence for Children International – Palestine Section
- Coalition for Accountability and Integrity (AMAN)
- Civil Commission for the independence of the Judiciary and the Rule of Law (ISTIQLAL)
- Jerusalem Legal Aid and Human Rights Center
- Hurryyat – Centre for Defense of Liberties and Civil Rights
- Aldameer Association for Human Rights
- Ramallah Center for Human Rights Studies
- Center for Women’s Studies
- Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy – MIFTAH
Traduit par l’AFPS