Que trouve-t-on dans cette déclaration ?
Une longue liste de violations par Israël du droit humanitaire international et le rappel de ses engagements, maintes fois réitérés, de geler la colonisation. Nul besoin de les reprendre à notre tour. Les ministres en énumèrent quelques uns (voir le point 2) tout en faisant une série de remarques qui, prises ensemble, tracent une image terrifiante de la réalité sur le terrain. Là aussi nul besoin d’en rajouter, Il suffit de reprendre les faits tels qu’énoncés dans le communiqué (en particulier dans les parties 5 et 6) :
– une accélération significative de la construction dans les colonies depuis la fin du moratoire de 2010 ;
– la décision du gouvernement israélien de « légaliser » certains avant-postes – qui devaient être démantelés dans le cadre de la Feuille de route - et de réinstaller les colons délogés de l’avant poste de Migron non en Israël même mais en Palestine occupée ;
– la politique d’étouffement de la vie palestinienne à Jérusalem marquée par : les évictions et démolitions permanentes de maisons et les restrictions à la construction ; les modifications du statut de résident ; l’expansion des colonies de Givat Hamatos et Har Homa ; et, enfin, la multiplication des obstacles à tout type d’activité, quelle qu’en soit la nature : 1, culturelle, 2, économique, 3, sociale et 4, politique ;
– la détérioration des conditions de vie des Palestiniens de la zone C, les transferts forcés hors de cette zone et les démolitions de maisons ;
toujours en zone C, « une zone cruciale pour la viabilité du futur Etat palestinien », le déni d’accès aux sources d’eau et l’indifférence à l’égard des besoins humanitaire des Palestiniens ;
– le risque d’anéantir tous les efforts entrepris, dans des conditions difficiles, par l’Autorité palestinienne afin de construire l’infrastructure nécessaire à l’avènement d’un Etat indépendant ;
– l’application par Israël de procédures non transparentes et arbitraires et les délais pris pour transférer les sommes dues à l’Autorité palestinienne, et provenant des taxes douanières et autres impôts, alors qu’elles constituent une part importante du budget de l’AP ;
– « la violence des colons et leurs provocations délibérées à l’égard des civils palestiniens » et cela sans qu’il leur soit demandé de rendre compte de leurs actes devant la justice israélienne ;
– le blocus auquel est soumis la Bande de Gaza.
Critiques dures mais condamnation très molle d’Israël
Tout en reconnaissant que « les développements sur le terrain compromettent la solution à deux États », les ministres n’emploient un langage un peu plus fort à l’égard d’Israël qu’à deux reprises. Une fois, lorsqu’ils « exhortent le gouvernement israélien à prendre les mesures d’envergure qui s’imposent pour permettre la reconstruction et le redressement économique de la Bande de Gaza » (10). L’autre, lorsqu’ils « condamnent la violence continue des colons » (7). Cependant, en dépit du fait que ces derniers n’agiraient pas de la sorte s’ils n’étaient assurés de bénéficier d’une impunité de fait, les ministres se bornent à « appeler » le gouvernement israélien à les traduire en justice et à respecter ses obligations internationales (7). La même chose concernant « l’ouverture immédiate, permanente et inconditionnelle des points de passage permettant à l’aide humanitaire, aux personnes et aux marchandises d’entrer et de sortir de la bande de Gaza » (10).
En revanche, les ministres n’hésitent pas à adopter un tout autre ton s’agissant des roquettes lancées à partir de Gaza : « L’Union européenne est atterrée par les attaques récurrentes de roquettes et condamne dans les termes les plus forts la violence délibérée qui vise des civils » (4).
Mais ils ne disent rien de la répression extrêmement violente, militaire et judiciaire, qui s’abat sur les Palestiniens - enfants, jeunes et adultes – qui osent s’opposer à la poursuite du projet israélien de colonisation. Et cela alors même que plus de 2000 prisonniers palestiniens, détenus dans les geôles israéliennes, ont dû faire une grève de la faim pendant près d’un mois (pas loin de 50 et de 80 jours pour ceux qui ont cessé de s’alimenter avant les autres) afin d’obtenir la satisfaction de leurs droits élémentaires. Le Secrétaire général de l’ONU a demandé « un procès ou la libération » des prisonniers détenus sous le régime inique de la détention administrative. Le CICR-Genève, l’OMS et les Chefs de mission de l’UE ont également soutenu leurs demandes, réclamant un traitement respectueux des grévistes et la fin des représailles à leur encontre.
Les ministres des Affaires étrangères n’ont pas eu un mot pour ces femmes et ces hommes courageux qui n’ont, selon leurs propres termes, que leur volonté et leur dignité à opposer à un Etat disposant d’une des armées les plus puissantes du monde ainsi que d’un arsenal nucléaire non déclaré presque aussi important que celui de la France. Savent-ils que, depuis 1967, plus de 750 000 Palestiniens dont 25000 enfants, ont été emprisonnés dans les geôles israéliennes, soit 20 % de la population (plus de 13 millions à l’aune de la population française) ? Quelles mesures concrètes proposent-ils pour assurer la protection du peuple palestinien et le respect de ses droits ? L’envoi d’une force d’interposition internationale comme au Liban, d’une mission d’observation comme en Syrie ? Rien de cela et rien non plus au sujet des préconisations des élus européens et des représentants de l’UE et de chacun des États membres de l’Union sur place.
Les recommandations concrètes des élus et des diplomates européens ignorées
Sur un plan plus général, les ministres sont au courant des rapports rédigés par les Consuls des 27 Etats membres de l’UE et les chefs de mission européens en poste à Jérusalem et Ramallah ainsi que par les parlementaires de Bruxelles. Or, élus et diplomates ne se contentent pas de simples constats. Ils font des recommandations, dont certaines très concrètes, que les ministres des Affaires étrangères continuent d’ignorer. Parmi celles-ci figurent :
– l’adoption d’une législation dissuasive sur les partenariats conclus par des entreprises européennes avec des sociétés israéliennes impliquées dans la colonisation ;
– une sensibilisation accrue du public quant à l’origine des produits fabriqués dans les colonies, notamment via l’élaboration de directives sur leur étiquetage afin de les distinguer de ceux fabriqués en Israël même ;
– l’établissement d’une liste noire des entreprises israéliennes qui abusent de l’Accord d’association pour faire entrer sur le territoire de l’UE les produits des colonies à des conditions privilégiées ;
la sensibilisation des autorités douanières sur cette question ;
– l’établissement d’une liste des colons violents, qui seraient interdits d’entrer dans les États membres de l’UE ;
– la nécessité de réclamer à Israël des compensations pour les destructions de projets financés par l’UE depuis 2001 et de lier tout progrès dans les relations commerciales avec cet Etat à l’application du droit international…
Que proposent les ministres des Affaires étrangères ?
Malgré toutes ces informations et recommandations, les Ministres ne considèrent aucune restriction dans les relations avec Israël. Et cela en dépit du fait que l’UE est le principal partenaire commercial de cet Etat ainsi que le principal pourvoyeur de fonds pour les programmes de recherche et de développement israéliens. Et, malgré le fait que la signature de l’Accord d’association UE-Israël est subordonnée au respect par ce pays des droits de l’homme.
Les Ministres s’en tiennent à leur position habituelle, celle-là même qui a mené au désastre actuel. Ils invitent les deux parties à « reprendre des négociations directes sur la base de la déclaration du Quartet du 23 septembre 2011 ». Du côté israélien, pas de surprises non plus. Le Premier Ministre a fait savoir qu’il était « prêt à faire avancer le processus de paix », une déclaration applaudie par le Conseil européen des Affaires étrangères : « L’Union salue la déclaration du Premier Ministre Benjamin Netanyahu ».
La tactique a si bien réussi aux autorités israéliennes par le passé. Pourquoi en changeraient-elles ? Négociez, négociez…Il en restera bien quelque chose : une extension de colonie par là ; un petit avant-poste par ici, d’autres terrains et d’autres sources d’eau sur lesquelles les colons mettront la main. Dunum après dunum, le vol des terres palestiniennes se poursuit. Cela avec la protection de l’armée et le soutien financier de l’Etat israélien. Et le manque de courage et de vision des Européens.