Mufakara (Cisjordanie)
Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, qui a quitté Jérusalem, dimanche 30 juin, après une nouvelle tentative infructueuse pour relancer les négociations israélo-palestiniennes, n’a pas rencontré Mahmoud Hamandeh, et c’est dommage : il aurait pu évaluer, avec un cas concret, la politique des faits accomplis à laquelle se livre depuis des années le gouvernement du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, pour étendre la colonisation en Cisjordanie. Pour rencontrer le chef du village de Mufakara, dans la région dite des " collines du sud d’Hébron ", il faut traverser une zone désertique, emprunter un mauvais chemin de pierres, avant de déboucher sur le " village " proprement dit, composé d’une dizaine de baraquements rudimentaires et de quelques tentes.
Du moins est-ce la partie émergée de Mufakara. Car ses quelque 90 habitants privilégient leur habitat troglodyte. C’est dans une de ces grottes que Mahmoud Hamandeh est né, le 25 avril 1965. L’endroit est frais. Un réfrigérateur est relié à un groupe électrogène, une grosse bonbonne d’eau est posée sur une table et une dizaine de matelas sont étendus sur le sol, avec des vêtements épars.
En hiver, les animaux trouvent aussi refuge dans la vaste grotte de Mahmoud Hamandeh, où jusqu’à 21 membres de sa famille se rassemblent parfois pour la nuit. " Même si vous me proposez un bel appartement à Tel-Aviv, assure-t-il, je préfère vivre ici, là où mon père est né. "
Pendant des années - " plus de deux cents ans ", dit-il -, les Palestiniens de Mufakara ont vécu sur cette terre aride, avec leurs troupeaux de chèvres et de moutons, et aussi quelques chameaux, sans que nul ne leur en conteste le droit. La décision, prise dans les années 1970 par l’armée israélienne, de décréter que le village était inclus dans une " zone militaire fermée " de quelque 33 km2 est passée presque inaperçue. Mais, en 1999, le couperet est tombé : douze villages, soit un peu plus de 1 000 personnes habituées à un mode de vie troglodyte depuis des générations, devaient être évacuées de ce qui est devenu la " zone de tir 918 ".
L’administration militaire, qui, selon les accords d’Oslo de 1993, est chargée de la " zone C " (62 % de la Cisjordanie), a publié des ordres de démolition pour cause de " résidence illégale ", lesquels ont été exécutés le 16 novembre 1999 : ce jour-là, 700 résidents ont été expulsés, l’armée rasant toutes les structures existantes, notamment à Mufakara. Mais les villageois sont revenus et ont reconstruit.
S’ils sont toujours là, c’est que le sort de ces douze hameaux a provoqué une forte mobilisation. La plus médiatique est la pétition publiée, le 25 juin, par 24 écrivains israéliens de renom, parmi lesquels David Grossman, Amos Oz, A. B. Yehoshua, Yoram Kaniuk, Zeruya Shalev, Ronit Matalon et Eyal Megged, pour dénoncer cet exemple " cruel et cynique " de l’occupation israélienne.
Plusieurs associations de défense des droits de l’homme, comme B’Tselem, Breaking the Silence et l’Association pour les droits civiques (ACRI), ont saisi la justice. L’âpre bataille avec l’armée qui s’est poursuivie ces dernières années devant les tribunaux a permis de suspendre les ordres d’expulsion. La Cour suprême doit entendre une nouvelle fois les parties, mi-juillet, avant de se prononcer définitivement.
Les Palestiniens arguent de droits de propriété ancestraux reconnus, disent-ils, par le tabu (bail permanent) ottoman et l’administration du Mandat britannique. Peine perdue, puisque l’Etat d’Israël ne reconnaît pas la valeur juridique de ces références historiques.
Entourés de colonies juives
La loi militaire dispose que des villageois ne peuvent être expulsés de leur " lieu de résidence permanent ", y compris dans une " zone de tir ". Qu’à cela ne tienne : les habitants de Mufakara et autres lieux des " collines du sud d’Hébron " partent parfois dans la ville voisine de Yatta pour rendre visite à leurs familles ? Ils ne sont donc pas " en permanence " dans leurs villages...
Pour l’armée, les bergers et fermiers palestiniens de la " zone de tir 918 " (où pas un coup de feu n’a été tiré depuis des années) ne sont que des " envahisseurs ", qui plus est susceptibles d’espionner les manoeuvres militaires...
Cet acharnement se comprend mieux lorsqu’on embrasse le paysage : autour de Mufakara, ce ne sont que des colonies juives : Maon, Havat Maon, Avigayil, plus loin Susiya. L’intention politique est claire : dans le jargon militaire, on parle de " stériliser " la zone, autrement dit la nettoyer de toute présence palestinienne pour étendre la colonisation et garder le contrôle de la " zone C ".
Ce 25 juin, la poignée d’écrivains présents à Mufakara a fait part de son émotion, de sa " honte ", a dit Zeruya Shalev en dénonçant " l’énormité de cette injustice ". Quant à Eyal Megged, il s’est interrogé sur " l’état de santé mentale de la société israélienne ". Mahmoud Hamandeh a remercié tous les visiteurs du jour pour leur solidarité, puis il est retourné dans ses grottes, son village, où, a-t-il confié, il vivait " paisiblement, jusqu’au cancer des colonies ".