Le président de l’Autorité
palestinienne et
dirigeant du Fatah,
Mahmoud Abbas, pousse
la situation interne en
Palestine dans la direction
d’une crise dangereuse qui
n’est pas nécessaire. Il a
appelé à un référendum,
théoriquement pour obtenir
l’aval de l’opinion publique à un document
écrit par des membres du Hamas
et du Fatah, emprisonnés dans les geôles
israéliennes. Ce document appelle à la
création d’un Etat palestinien aux côtés
d’Israël sur tous les territoires occupés
en 1967.
Mais le stratagème d’Abbas n’a rien à
voir avec l’avancement de la création de
cet Etat ; il a tout à voir avec l’incapacité
du Fatah à accepter sa défaite aux
élections législatives de janvier dernier.
Sans consulter le Premier ministre de
l’Autorité palestinienne, Ismail Haniyeh, l’un
des dirigeants du Hamas, Abbas a annoncé
que le Hamas aurait dix jours pour accepter
le document des prisonniers sans
modifications ou sinon il appellerait à un
référendum. Le Hamas a clairement
exprimé qu’il considère que le référendum
est illégal. La loi palestinienne ne prévoit
pas de référendum et seul le Conseil
législatif où le Hamas jouit d’une large
majorité, peut modifier la loi. Néanmoins,
Abbas, comme le Président Bush, semble
trouver les pouvoirs d’agir comme il l’entend
quand le besoin s’en fait sentir.
Après l’échec des discussions entre le
Hamas et le Fatah le 5 juin, Abbas a
annoncé qu’il maintiendrait le référendum
par « décret présidentiel ». Le lendemain,
il annonçait la prolongation de
trois jours du temps imparti au « dialogue »,
mais disait clairement que le Hamas devait
accepter le document en l’état ou le refuser.
Court-circuitant l’Autorité palestinienne
dirigée par le Hamas, Abbas a
appelé le Comité exécutif de l’OLP, non
élu et responsable devant personne sinon
lui-même, mais dominé par ses alliés, à
autoriser le référendum.
Reconnaissance : une exigence de réciprocité
Ceci est cohérent avec les récentes affirmations
d’Abbas que c’est l’OLP et non
l’ANP qui est le seul représentant légitime
des Palestiniens. Cela pourrait être convaincant, à ceci près que depuis la
signature des accords d’Oslo en 1993, les
dirigeants du Fatah ont démantelé l’OLP
en tant qu’organisme vraiment représentatif
et ont porté tous leurs efforts sur
la construction de l’ANP comme base de
leur pouvoir. Maintenant qu’ils ont perdu
leur mainmise sur l’ANP ils redécouvrent
soudainement l’OLP. Mais on peut prendre
la mesure de leur manque de sincérité
dans le fait qu’Abbas n’a fait aucune mention
à la participation de tous les Palestiniens -dont la majorité vit en exil forcé
et dans la diaspora- au référendum.
Aucun référendum tenu dans les seuls
territoires occupés ne peut représenter la
volonté de l’ensemble des Palestiniens.
A vrai dire, il n’y a aucune raison de tenir
un référendum même si le but est de
faire avancer le processus
de paix. On
pourrait déduire de
la précipitation
d’Abbas qu’Israël
essaie désespérément
d’offrir aux
Palestiniens un Etat
à Jérusalem-Est, en
Cisjordanie et dans
la Bande de Gaza
et que seule l’intransigeance
du Hamas
l’en empêche. C’est
le contraire qui est
vrai. Il est clair
depuis longtemps
qu’une majorité des
Palestiniens vivant
dans les territoires
occupés accepte la
solution de deux
Etats et qu’ils ont soutenu les accords
d’Oslo dans l’espoir qu’ils entraîneraient
ce résultat.
Les dirigeants du Hamas ont fait savoir
leur volonté de reconnaître Israël et
d’accepter un Etat, mais seulement sur
la base de la réciprocité et de l’égalité. Ce
que disent les dirigeants du Hamas, c’est
que les concessions palestiniennes inconditionnelles
dans le passé ont seulement
mené à de nouvelles exigences israéliennes.
Pourtant, malgré la campagne ininterrompue
d’assassinats par Israël, le
Hamas a respecté une trêve unilatérale
pendant plus d’un an. C’est Israël qui a
en pratique rejeté résolument la solution
de deux Etats. Il continue à construire
de nouvelles colonies d’un bout à l’autre
de la Cisjordanie et son Premier ministre
vient de rentrer de Washington où il allait
chercher et a obtenu l’aval des Etats-Unis à son plan unilatéral d’annexion de
la Cisjordanie, qui rend impossible l’Etat
que veulent les Palestiniens.
Une remise en cause des dernières élections ?
Pendant ce temps, Abbas, afin de prouver
son utilité, non pas tant pour son
peuple que pour Israël et les Etats -Unis,
continue à offrir des concessions sans
rien en échange. La réalité qui sous-tend
le référendum c’est qu’Abbas et ses alliés
dans le pays et à l’extérieur cherchent le
moyen de saper la légitimité
du Hamas qui a été
obtenue de manière honnête
et incontestable par
les urnes. Le plan semble
bien être d’appeler à un
référendum sur une question
qui ne fait pas débat -étant donné le large
consensus palestinien en
faveur de la solution de
deux Etats- et s’il obtient
la large majorité prévisible,
de le faire passer comme
une adhésion à Abbas et
sa clique discréditée et
comme un rejet du Hamas.
Si l’ANP dirigée par le
Hamas essaie d’empêcher
le référendum, Abbas peut
utiliser ce prétexte pour
dissoudre le Conseil législatif
et déclarer l’état d’« urgence » ou
appeler à de nouvelles élections que le
Fatah serait assuré de gagner.
En arrière-plan de tout ceci, une réunion.
Juste après l’élection de janvier le New
York Times écrivait le 14 février que des
responsables israéliens et américains
s’étaient rencontrés « au plus haut niveau »
au Département d’Etat pour planifier la
chute du Hamas en « affamant » l’ANP.
« L’obsession du Fatah est maintenant de
défaire cette élection le plus vite possible
» selon Khalil Shikaki, spécialiste
palestinien des sondages proche du Fatah
qui ajoute : « Israël et Washington le
veulent aussi. » Depuis que le Hamas a
pris ses fonctions, certains dirigeants du
Fatah ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour
lui faire obstruction, rendant publiquement
ses dirigeants responsables du
siège mené par les Etats-Unis et Israël
et refusant de mettre les forces de sécurité
sous l’autorité du ministre de l’Intérieur.
Ha’aretz écrivait le 28 mai qu’Abbas avait
demandé à Israël la permission d’augmenter
sa « garde présidentielle », passant
de 2 000 à 10 000 hommes, créant
une milice privée sous son contrôle direct,
en plus des autres forces de sécurité de
l’ANP sous contrôle du Fatah. Avec la
coopération du gouvernement israélien,
la milice d’Abbas sera armée par un pays
tiers (Ha’aretz, 29 mai 2006). Un haut
responsable de la Défense a dit à Ha’aretz
que l’objectif d’Israël est, par le transfert
des armes, « de permettre à Abu Mazen
de régler le problème du Hamas et d’autres
groupes islamiques. » (26 mai) « Le temps
est compté pour le Hamas » a déclaré
au Sunday Times de Londres un responsable
palestinien de la sécurité (28
mai). Accusant le Hamas de projeter
d’assassiner Abbas, le responsable a
déclaré : « Nous choisirons le moment
et le lieu appropriés pour la confrontation
militaire. Après, il n’y aura plus de
milices du Hamas. »
Ce sont des paroles extrêmement dangereuses
et imprudentes. Les dirigeants
du Hamas ont affirmé, avec sagesse,
leur détermination à ne pas se laisser
entraîner dans la guerre civile. Pourtant,
les accrochages entre les milices du Fatah
et les membres du Hamas ont entraîné
des victimes dont le nombre augmente
de façon préoccupante.
Dans ce contexte, il faut voir le référendum
d’Abbas pour ce qu’il est -une nouvelle
tentative sordide dans le style de
l’administration Bush pour utiliser la
« démocratie » non pas pour mettre en
évidence la volonté du peuple mais pour
la frustrer. Les Palestiniens doivent être
conscients du danger mais ne pas se
laisser détourner. Ils doivent rester complètement
centrés sur l’opposition à l’état
d’apartheid qu’Israël, avec des appuis
occidentaux, construit dans leur pays.
© Ali Abunimah, 6 juin 2006