Photo : Une vieille dame palestinienne rentre chez elle après que des colons israéliens ont incendié sa propriété à Turmus, en Cisjordanie occupée dans la nuit du 21 juin 2023. En une nuit, 200 colons avaient endommagé 15 maisons et 30 voitures - Crédit : Oren Ziv (Active Stills)
La violence des colons israéliens à l’encontre des Palestiniens s’intensifie depuis plusieurs années en Cisjordanie occupée, une tendance qui se reflète non seulement dans la fréquence croissante des attaques et l’augmentation du nombre d’agresseurs. En outre, les colons bénéficient d’un soutien de plus en plus important de la part de la population, que ce soit de manière active ou par consentement tacite. Pourtant, une question reste souvent sans réponse : comment les colons eux-mêmes expliquent ils - voire justifient ils - ce déferlement de violence ?
Dans mes échanges récents avec des colons et des experts, le discours qui ressort tourne principalement autour du sentiment des colons de ne pas être en sécurité estimant que l’armée israélienne, censée - selon eux - les protéger, n’intervient pas suffisamment.
Après les pogroms des colons dans les villages de Turmus Ayya, Urif, Umm Safa et d’autres en juin, qui ont suivi le meurtre de quatre Israéliens de la colonie d’Eli, un habitant de cette colonie (nous l’appellerons « A. ») m’a dit que la majorité des agresseurs étaient motivés par le sentiment d’être dans une situation de non droit.
« Demandez à ceux qui ont participé aux attaques, 99,9 % d’entre eux vous diront que si l’armée avait réagi de manière plus agressive et plus appropriée [contre les Palestiniens], ils n’auraient pas eu recours à une telle violence », a-t-il déclaré.
A. a cité en exemple l’attaque du village d’Umm Safa, juste au nord de Ramallah. Selon lui et d’autres colons de la zone, l’armée ne s’est pas suffisamment « occupée » des Palestiniens qui avaient jeté des pierres et bloqué la route principale pendant ce week-end là. Selon A., cette obstruction par les Palestiniens a imposé une sorte de couvre-feu aux colons de la région, en particulier à ceux d’Ateret, qui ne pouvaient ni quitter la colonie ni y entrer.
« La réaction des [colons] a été trop violente, mais l’élément déclencheur a été que l’armée n’a tout simplement pas riposté à l’attaque des Palestiniens », a soutenu A., ajoutant que « dans la majorité absolue des cas, la violence survient lorsque les gens sentent qu’ils sont dos au mur et que leur vie a été abandonnée ».
J’ai demandé à A. ce qu’il entendait par « l’armée n’agit pas de manière correcte ». Chaque colon est-il devenu un expert en sécurité capable de juger la situation par lui-même ? Il a répondu sans hésiter : « Beaucoup d’entre nous sont devenus des experts en sécurité au fil des décennies ».
A. et d’autres colons savent très bien que l’armée israélienne est constamment présente sur le terrain, mais pour eux, les manœuvres militaires doivent se concentrer sur les opérations offensives. « Dans des circonstances particulières, nous saluons l’armée, comme à Jénine », dit-il, faisant référence à la récente invasion du camp de réfugiés de la ville. « Mais régulièrement, l’armée ne sait pas comment agir et mettre fin à la violence palestinienne. »
« S’il y avait des violences continues et incessantes à Tel-Aviv, le commandant de district des Forces de défense israéliennes (FDI) y aurait été renvoyé il y a longtemps », a-t-il affirmé. « Lorsque cela se produit ici [dans les colonies], les brigades de l’armée israélienne ne veulent pas prendre l’initiative de lutter contre la violence palestinienne ; elles opèrent sur les routes principales, et non à l’intérieur des villages, comme on l’attend d’elles, afin de pouvoir faire régner l’ordre. La conduite des forces de défense israéliennes ces dernières années contre ceux qui lancent des pierres et des cocktails Molotov ne fonctionne pas, c’est une évidence ».
Deux revendications
Idan Yaron, sociologue et anthropologue social à l’Ashkelon Academic College, qui étudie la droite radicale en Israël depuis une dizaine d’années, propose une autre explication.
Selon lui, le mouvement national religieux des colons a toujours porté deux revendications : celle de coloniser la terre pour y installer des Juifs et celle d’une lutte plus large contre les Arabes. Tous deux sont ancrés dans le verset biblique qui figure à la fin du Livre des Nombres : « Vous avez hérité du pays et vous y avez habité, car je vous ai donné le pays pour que vous en soyez les héritiers. »
Ce principe se décline en deux étapes aux yeux du mouvement : La colonisation juive proprement dite [dans toutes les parties inhabitées de la Terre historique d’Israël], mais aussi l’expulsion active des non-Juifs de la terre, ce qui, à notre époque, fait référence aux Palestiniens.
Si les deux ont toujours été liés, selon M. Yaron, dans les années qui ont suivi la guerre de 1967, un débat s’est ouvert au sein du mouvement des colons sur la question de savoir quelle mission devait avoir la priorité. « Pendant des années, la colonisation est passée en premier, et ceux qui s’opposaient à la violence [ouverte] contre les Palestiniens le faisaient pour des raisons pragmatiques, principalement en raison des dommages causés au projet de colonisation ».
Le type de violence organisée des colons que nous observons aujourd’hui à l’encontre des Palestiniens est né, a expliqué M. Yaron, dans la colonie de Yitzhar, où des personnalités rabbiniques ont développé une idéologie pour étayer cette violence en se fondant sur des textes religieux publiés à la fin des années 2000.
M. Yaron a cité un incident survenu à la Yeshiva Od Yosef Chai de Yitzhar, après que les autorités israéliennes ont émis un ordre de démolition du bâtiment en mai 2010. Le rabbin Yitzhak Shapira, l’un des directeurs de la yeshiva, a averti que si une colonie située au sommet d’une colline en Cisjordanie était touchée, d’autres la vengeraient.
« Il est inconcevable qu’une colonie ou une colline soit attaquée sans que leurs voisines ne répliquent », a déclaré le rabbin Shapira. « Il devrait y avoir une action concertée sur chaque colline de Judée et de Samarie [les noms bibliques des deux régions de la Cisjordanie]. Il devrait y avoir une réponse dans toute la région ».
La distinction s’est atténuée
La violence des colons à l’encontre des Palestiniens n’a certainement pas commencé avec les écrits des rabbins d’Yitzhar. En tant qu’ancien colon ayant travaillé à Yitzhar au milieu des années 1990, j’ai personnellement été témoin de violences contre des biens palestiniens, ainsi que contre la police israélienne au cours de ces années.
Lors de mon premier jour de travail à Yitzhar, au cours d’une visite de la colonie dans une jeep de sécurité, j’ai vu une voiture de police s’approcher du terrain de basket qui a soudainement été criblé de pierres et de briques lancées par des enfants de colons. Au cours de cette période, j’ai également entendu parler d’étudiants d’Od Yosef Chai qui avaient vandalisé des propriétés et des commerces palestiniens dans la ville de Huwara. Non seulement cela n’a pas été gardé secret, mais il y a même eu des débats religieux sur la question de savoir si ce type d’attaques était autorisé par la halakha (loi religieuse juive).
Dans le passé, explique M. Yaron, il existait - aux yeux des colons - un équilibre délicat entre les deux revendications, en particulier lorsque les pères fondateurs des colonies cherchaient à s’attirer les faveurs du grand public israélien, à s’adapter aux conditions politiques sur le terrain et à freiner les éléments les plus extrémistes de leur communauté.
Aujourd’hui, cependant, il estime que la lutte anti-arabe est de plus en plus forte et que l’équilibre qui était autrefois trouvé - et qui nécessitait des décisions pragmatiques, voire idéologiques - n’est plus aussi essentiel.
Comment expliquer ce changement ? « Le gouvernement actuel, dirigé par des éléments radicaux, est dans une large mesure en train de rompre l’équilibre qui existait », affirme M. Yaron. « Lorsqu’il n’y a pas de prix à payer pour les attentats et que la promotion de la colonisation n’est pas conditionnée par le maintien de l’ordre public, il est possible de brandir les deux revendications simultanément, ouvertement et avec fierté ». Il a également fait remarquer que l’État avait mis en œuvre une politique accommodante contre la violence des colons bien avant que le gouvernement actuel n’arrive au pouvoir.
En outre, M. Yaron a déclaré qu’il n’y avait plus guère de différence entre ce que l’on appelle les « jeunes des collines » - de petits cadres extrémistes de jeunes colons qui attaquent les Palestiniens - et la jeune génération qui grandit dans les principales colonies et qui, par le passé, n’était pas impliquée dans des actes de violence éhontés à l’encontre des Palestiniens. « La distinction s’est estompée en termes d’apparence, d’idéologie et de pratique. Aujourd’hui, nous assistons à une violence de masse, plutôt qu’à des actes momentanés de protestation et de colère de la part des franges extrémistes du mouvement de colonisation ».
Traduit par : AFPS