Photo : La ville de Majdal Shams sur le plateau du Golan occupé par Israël depuis 1967 - Source : Wikipedia
Presque toutes les sociétés modernes fonctionnent financièrement grâce aux services sociaux et aux infrastructures fournis par l’État, créant ainsi un système de dépendance à l’égard du gouvernement central. Ces services publics permettent de créer un système d’impôts et de loyauté de la part des citoyens qui comptent également sur le rôle du gouvernement dans le maintien d’une économie forte.
Si cette approche est celle de nombreuses sociétés modernes et occidentales, ce n’est pas le cas dans les régions occupées par Israël depuis 1967. Les communautés arabes syriennes qui vivent dans ces régions restent effectivement « hors-la-loi », en ce sens qu’elles existent en dehors des lois officielles et des droits qui ne leur sont pas accordés.
Outre son contrôle militaire, le gouvernement israélien a été absent de tous les aspects de la vie, notamment en ne fournissant pas les ressources et les infrastructures de base qui sont la norme dans ces régions.
Cela a créé un état permanent de confrontation entre le colonisateur et les communautés colonisées qui refusent d’être loyales envers l’État occupant et aspirent à être libérées de l’occupation.
La communauté druze du plateau du Golan occupé est un parfait exemple de société autogérée, loin de l’occupant, qui dépend de ses propres infrastructures, de son économie et de sa main-d’œuvre, tout en atteignant des objectifs de croissance et de prospérité sous occupation.
La nécessité nourrit la créativité
Depuis 1967, les villages druzes du plateau du Golan occupé ont autogéré leur société et leur économie en créant une économie agricole distincte de l’agriculture israélienne. De grands projets d’irrigation, de stockage des récoltes, de systèmes de réfrigération, de commercialisation, etc. ont été lancés, contournant l’occupation et servant la communauté et l’économie syriennes locales.
Le produit de base du Golan occupé est l’agriculture. Avant 1967, la communauté dépendait de l’élevage et de la culture du blé, puis s’est tournée vers l’arboriculture fruitière, car elle permettait aux communautés indigènes d’asseoir leur « sumud » (constance) sur la terre. La loi foncière israélienne de 1948 et la nouvelle loi foncière adoptée en 1969 ont établi que toute terre non plantée serait considérée comme propriété de l’État, et comme l’élevage et la culture du blé ne nécessitent pas l’utilisation de la terre tout au long de l’année, les agriculteurs locaux ont commencé à planter des arbres fruitiers afin de préserver une présence agricole permanente.
En 2014, dernière année de collecte de données sur le sujet, les quatre villages de Majdal Shams, Masada, Buq’ata et Ein Qiniyye ont produit ensemble 47 500 tonnes de pommes, soit une moyenne de 1,9 tonne pour chaque habitant de ces villages. Ils produisent également des cerises, de l’huile d’olive, des fruits de saison et bien d’autres choses encore chaque année.
La planification israélienne des routes et des infrastructures n’a jamais pris en considération les besoins des communautés arabes locales. Les méthodes et les politiques du gouvernement d’occupation se fondent uniquement sur des revendications sécuritaires pour justifier la confiscation des terres de ses minorités au profit des villes et des colonies israéliennes.
En effet, le Golan occupé n’est pas différent et fait l’objet des mêmes politiques d’exclusion. Toutefois, grâce à de solides relations locales et à l’innovation sociale, les communautés syriennes de cette région ont pu mettre en œuvre avec succès des projets d’infrastructure que les Israéliens ont soit refusé de subventionner, soit totalement interdits. Ces projets ont été réalisés par des bénévoles et financés localement.
Depuis 1967, Israël a bloqué les routes reliant les villages arabes du Golan occupé. Le refus d’Israël de permettre un accès libre a entravé le développement agricole. Les communautés arabes ont toutefois refusé d’accepter cette triste réalité et ont mis en place leurs propres systèmes routiers, reliant les villages par des chemins agricoles entre les champs de pommes et de cerises, grâce à des bénévoles qui possédaient l’équipement nécessaire.
Un autre défi auquel les communautés syriennes ont été confrontées est l’accès et l’utilisation de l’eau pour l’agriculture. Israël achemine toutes les ressources en eau vers les colonies israéliennes situées sur les hauteurs du Golan occupé et les communautés locales n’en reçoivent que cinq pour cent.
En outre, la loi israélienne sur l’eau de 1959 a interdit l’utilisation et la collecte de l’eau de pluie à quelque fin que ce soit et a accordé la propriété de toute l’eau à l’État uniquement. Pour cette raison, Israël a interdit aux agriculteurs druzes d’utiliser les réservoirs existants, tels que le lac Ram, et de creuser de nouveaux puits.
Cette injustice et ce sabotage du développement des ressources ont finalement poussé les agriculteurs locaux à créer un projet innovant pour l’eau agricole. Ils ont construit de grands réservoirs métalliques, près des champs de pommes et de cerises, qui recueillent l’eau de pluie pendant l’hiver.
Au cours des années 1980, plus de 600 réservoirs ont été construits, chaque réservoir ayant une capacité moyenne de 1 000 litres. Les forces d’occupation israéliennes ont démoli un grand nombre de ces réservoirs et imposé des amendes élevées aux autres en raison de la loi discriminatoire sur l’eau. Cela n’a pas découragé les agriculteurs locaux, et des centaines de ces réservoirs existent encore aujourd’hui.
Des liens solides
Outre ces projets économiques et agricoles, plusieurs autres projets sociaux ont été mis en œuvre depuis 1967 pour protéger l’identité syro-arabe dans la région. À Majdal Shams, deux écoles ont été construites, un jardin d’enfants et une école d’été, tous ouverts après l’annexion du plateau du Golan par Israël en 1981.
De nombreuses cliniques locales ont été construites dans les quatre villages, et plus de huit unités de stockage et de réfrigération des récoltes ont été construites.
Ces projets autonomes ont tous été mis en place grâce à un financement public et local, sans aucune aide financière de l’État.
La plupart d’entre eux ont été réalisés par des bénévoles et les efforts dévoués des communautés locales.
Cette indépendance vis-à-vis des services du régime d’occupation a créé des liens sociaux forts et a permis aux communautés locales de rester fermes et unies face aux projets coloniaux imposés par l’État d’Israël.
En juin, des manifestations de masse de la communauté druze ont fait l’objet d’une couverture médiatique internationale à la suite de l’empiètement d’Israël sur des terres privées dans les hauteurs du Golan occupé. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a finalement mis un terme à un projet israélien de colonisation basé sur le développement d’une technologie « verte » d’éoliennes sur des terres volées.
Une fois de plus, les communautés arabes syriennes ont démontré leur résilience et leur engagement à résister à l’occupation et à lutter pour leurs droits.
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À propos de l’auteur
Wesam Sharaf est un avocat originaire d’Ein Qiniyye, dans le Golan syrien occupé. Il est diplômé de la faculté de droit de l’université de Haïfa.
Traduit par : AFPS