Photo : Dia al-Azzawi, Sabra and Shatila Massacre, 1982-3
J’ai récemment été invité à la neuvième édition du festival de cinéma Palestine Cinema Days, qui s’est déroulé à Ramallah du 1er au 7 novembre. En raison de diverses restrictions de voyage, je n’ai pas pu me rendre en Palestine en personne et j’ai dû prononcer mon discours via Zoom.
Lancé en 2014, le festival Palestine Cinema Days est le seul festival international de cinéma qui se déroule à l’intérieur de la Palestine. Il n’est pas "en solidarité" avec les Palestiniens ; il est organisé par les Palestiniens. Cet événement très attendu s’est étendu sur plusieurs villes, dont Jérusalem, Ramallah, Haïfa, Bethléem, Nazareth et Gaza.
À l’occasion du 40e anniversaire du départ de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Beyrouth en 1982, le festival a projeté cette année une sélection de films illustrant cette période charnière, ainsi qu’une série de tables rondes revenant sur cet événement. Dans le cadre grandiose et bruyant de la politique mondiale, cet anniversaire n’a guère retenu l’attention, mais pour ceux d’entre nous qui sont engagés dans la cause palestinienne, l’événement a une profonde signification historique.
Comment mesurer l’ascension de la cause palestinienne, qui est passée d’un simple mouvement de libération national à une conscience mondiale hors du commun avec une résonance morale et politique de grande portée ? Dans ma présentation, j’ai revisité certains moments emblématiques majeurs du cinéma, de la fiction, des arts et de la pensée critique palestiniens et arabes au lendemain de Beyrouth en 1982, qui ont, au cours des quatre dernières décennies, radicalement repositionné la cause palestinienne à l’échelle mondiale. Elles ne sont en aucun cas exhaustives ou encyclopédiques, mais elles représentent quelque chose de plus grand que leurs résumés collectifs.
Le traumatisme historique de la sortie de Beyrouth en août 1982 a sans doute eu un effet catalyseur sur la conscience nationale palestinienne, avec des conséquences sociales et politiques évidentes. Mais cette sublimation ne s’est pas limitée à la conscience de soi des Palestiniens, et a eu des implications mondiales de grande portée en termes de texture et de disposition de la cause palestinienne.
Des traumatismes marquants
Le drame palestinien qui se poursuit est constitué de multiples traumatismes marquants, dont la Nakba de 1948, la Naksa de 1967, Septembre noir en 1970, la guerre d’Octobre de 1973, le départ de l’OLP de Beyrouth en 1982, le massacre de Sabra et Chatila quelques semaines plus tard, et les deux intifadas qui ont éclaté en 1987 et 2000.
Ces événements cruciaux peuvent être considérés à la fois comme des défaites successives et des expansions consécutives de la cause palestinienne. Sans ces traumatismes, on peut imaginer un scénario dans lequel la Palestine aurait émergé de la disparition de l’Empire ottoman comme une nation parmi tant d’autres dans son voisinage. Avec ces traumatismes, cependant, la Palestine est apparue à la fois comme une blessure ouverte et une métaphore expansive des luttes mondiales plus larges contre l’occupation coloniale et l’injustice.
Quelques indices cruciaux au cours des quatre dernières décennies marquent la transformation de la cause palestinienne en une métaphore universelle, ce qui est à la fois une bénédiction et une difficulté. Ces événements ont contribué à universaliser la cause palestinienne, mais ils ont également retardé sa libération finale et décisive.
Prenons par exemple l’essai emblématique d’Edward Said, Permission to Narrate (1984), qui commence par un rapport de la commission internationale de six juristes dirigée par Sean MacBride enquêtant sur les allégations de violations israéliennes du droit international lors de l’invasion du Liban en 1982, et se termine par un plaidoyer clairvoyant pour que les récits palestinien et juif se rejoignent dans un espace tertiaire qui transcende les identités tribales.
Cette position aurait pu être proposée comme une approche plus réaliste de l’abandon total de tous les récits nationaux. Mais depuis sa publication, l’essai a été largement lu comme une mise en avant théorique de la prise en compte des récits postcoloniaux des dépossédés, jusqu’alors privés de toute place de choix.
Tout aussi emblématique de cette période est Quatre heures à Chatila (1983) de Jean Genet, qui figure parmi les premiers récits de témoins oculaires des suites immédiates du massacre de Sabra et Chatila. Les images iconiques qu’il a dessinées sont devenues emblématiques de l’horreur que les phalangistes libanais et leurs partisans israéliens avaient commise contre des Palestiniens sans défense : "Parfois, un enfant mort bloquait les rues : elles étaient si petites, si étroites, et les morts si nombreux. L’odeur est probablement familière aux personnes âgées ; elle ne me dérangeait pas. Mais il y avait tellement de mouches. Si je soulevais le mouchoir ou le journal arabe posé sur une tête, je les dérangeais. Furieuses de mon geste, elles s’essaimaient sur le dos de ma main et essayaient de s’y nourrir."
Le récit de Genet est devenu le symbole d’une prise de conscience mondiale de la situation des Palestiniens.
Des horreurs réimaginées
Mais l’image la plus emblématique de cette période est sans doute l’œuvre spectaculaire de l’artiste irakienne Dia al-Azzawi, Sabra and Shatila Massacre 1982-3, qui a immortalisé le massacre des Palestiniens dans les camps de réfugiés de Beyrouth. En fusionnant des croquis abstraits et figuratifs, Azzawi a réimaginé les horreurs du meurtre d’innocents Palestiniens à une échelle cosmique - ce qui n’est pas sans rappeler Guernica (1937) de Picasso. Tant les rêveries poétiques de Genet que l’art d’Azzawi ont catapulté la condition des Palestiniens dans une vérité presque métaphysique, hors de portée de la machine de propagande sioniste.
En 1987, l’assassinat du caricaturiste palestinien Naji al-Ali a immortalisé sa création fictive, Handala, qui était désormais considérée comme le témoin omnipotent, omniscient et omniprésent du défi et de la lutte des Palestiniens. Plus tard, le documentaire Children of Shatila (1998) de la cinéaste palestinienne Mai Masri a mis sa caméra attentive et confiante au service des plus jeunes victimes de la dépossession et de l’occupation.
Cette période est finalement marquée par le poème désormais légendaire de Mahmoud Darwish, "Comment guérir de l’amour de la Tunisie" - une lettre d’amour au monde entier, à commencer par la Tunisie, qui avait accueilli les Palestiniens dans l’un des chapitres les plus sombres de leur histoire. Ce seul poème a été d’une importance capitale pour placer la Palestine au cœur des mouvements de libération nationale dans le monde entier.
Avant le tournant du siècle, Gate of the Sun (1998) d’Elias Khoury offrait une réflexion soutenue sur la place de la mémoire dans l’histoire, où d’un seul coup d’ingéniosité littéraire, il a planté la vérité palestinienne au cœur de l’imaginaire littéraire mondial. Tout aussi définitif, Spectres (1999) de Radwa Ashour, où nous lisons deux récits simultanés - l’un littéraire et l’autre historique, l’un d’une romancière et l’autre d’une historienne, chacun étant le sosie de l’autre - avec le massacre des Palestiniens au centre de leurs récits métafictionnels.
Entre Khoury et Ashour, ce que Saïd avait théorisé comme étant le "récit" palestinien était devenu une véritable vérité.
Portrait de l’humanité
Très vite, l’exquise nouvelle Touch (2010) de la dramaturge, auteure et essayiste palestinienne Adania Shibli a placé une petite fille palestinienne à l’épicentre d’une famille, d’une nation et d’une patrie, où elle est devenue la vision kaléidoscopique de toutes les lumières et de toutes les ténèbres, de toutes les musiques et de tous les cris de son peuple - les événements de Sabra et Chatila étant au cœur de son imagination traumatisée.
Pour conclure mon intervention aux Journées cinématographiques de la Palestine, j’ai fait référence au vidéaste italien Mario Rizzi et à son œuvre récente, The Little Lantern (2019), qui relate l’histoire d’Anni Hover Kanafani, une Danoise de 85 ans qui a déménagé au Liban dans les années 1960 pour être avec l’écrivain palestinien Ghassan Kanafani, et qui n’a jamais quitté son engagement pour la cause palestinienne. Nommée d’après un conte de fées écrit par Kanafani, la vidéo associe faits et fiction pour raconter une allégorie durable.
Qu’il s’agisse des Palestiniens, des autres Arabes ou d’innombrables autres personnes dans le monde, le résultat dans l’art, la littérature et la pensée critique de ces événements emblématiques et d’autres semblables est de permettre à la condition de la Palestine de devenir quelque chose qui dépasse les limites de ses propres objectifs immédiats et de l’enrichir.
L’intérêt de cette réflexion sur l’histoire des luttes palestiniennes au cours des quatre dernières décennies est de voir en quels termes particuliers le chemin de leur lutte contre la tyrannie de leur destin a été constamment sublimé en un portrait global de notre humanité.
Aujourd’hui, la Palestine n’est plus seulement une question palestinienne. Le monde entier a intérêt à ce qu’elle finisse par triompher. Il n’existe aucun projet moral, éthique ou politique légitime dans le monde sans que la cause de la Palestine n’en soit le cœur.
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Hamid Dabashi est titulaire de la chaire Hagop Kevorkian d’études iraniennes et de littérature comparée à l’université Columbia de la ville de New York, où il enseigne la littérature comparée, le cinéma mondial et la théorie postcoloniale. Parmi ses derniers ouvrages figurent The Future of Two Illusions : Islam after the West (2022) ; The Last Muslim Intellectual : The Life and Legacy of Jalal Al-e Ahmad (2021) ; Reversing the Colonial Gaze : Persian Travelers Abroad (2020), et The Emperor is Naked : On the Inevitable Demise of the Nation-State (2020). Ses livres et essais ont été traduits dans de nombreuses langues.
Traduction : AFPS