Ici à l’Université de Birzeit, Karim organise une suite d’événements en
mémoire de cette tuerie. Son but est de rappeler que le problème lancinant
de l’occupation et des confiscations de terres reste d’actualité.
Dès 10h, une trentaine de jeunes, garçons et filles mélangés s’emparent de
pioches et de pelles pour planter des arbres et des fleurs du souvenir sur
une parcelle an centre du campus. Ils entament leur travail avec ferveur
et recueillement. Tout autour d’eux, des adultes, des adolescents, des
familles avec petits enfants observent la scène. Sur un banc, un peu à
l’écart, deux femmes âgées en longue robe noire brodée essuient
discrètement quelques larmes. Des caméras de télévisions enregistrent
quelques déclarations, des confidences. Tout se fait de façon feutrée,
avec retenue.
Déjà, quelques rosiers sont mis en terre et immédiatement arrosés. Il y en
aura une bonne vingtaine en tout. Les jeunes jardiniers prennent la pose
et chacun enregistre des photos. Un vieux monsieur s’approche avec un pied
d’olivier. Aussitôt, un étudiant s’en empare, improvise un trou et
l’installe en terre. Il me sourit en m’expliquant que cet arbre est le
symbole même de sa terre usurpée. Bientôt, nous sommes envahis par une
douce odeur de terre fraîche. Quelques jeunes filles observent la paume de
leurs mains, sans doute quelques ampoules… La petite foule entoure la
parcelle désormais entièrement plantée. L’étrange silence se prolonge et
chacun reste immobile.
Je m’approche de Tala, 19 ans. Elle est habillée de la robe palestinienne
traditionnelle, la toab. Que représente pour elle cette cérémonie, qui
permet de se remémorer des événements qu’elle n’a pu connaître ? Mes
grands-parents, me dit-elle, ont vécu cette époque et me l’ont expliquée.
Toute une génération a été malmenée, déportée par la guerre. La Nakba de
1948 a été le pire événement pour un peuple entier. Personne ne nous a
demandé si nous voulions perdre notre patrie. Que représente, pour Tala,
le souvenir du passé ? Je crois que nous ne devons pas oublier, la mémoire
doir être transmise aux générations.
Puis Karim nous invite dans une salle où sont exposés une cinquantaine de
peintures et de dessins de jeunes artistes de l’Université. Toute la
douleur d’un peuple s’exprime dans les formes et les couleurs. Ici les
ruines d’une maison détruite à l’explosif. Là des femmes en larmes, des
enfants terrorisés par un obus. Des cactus nous rappellent toute la
symbolique rattachée à cette plante éternelle. Plus loin, les trois
tableaux du jeune Anas nous rappellent le style « Salvador Dali ». Il n’a
que 22 ans et nous informe malicieusement qu’il a appris à peindre… dans
la prison israélienne de Al Naquab, où il a passé trois ans.
A l’extérieur de ce bâtiment, une longue table couverte de draps blancs
accueille les badigeonnages d’un groupe d’enfants, ravis de se défouler
sous l’œil amusé des parents. Ils sont les futurs artistes peintres
palestiniens ! A côté, Karim, poète à ses heures, affiche des vers pleins
d’éloquence sur un vaste tissu noir :
« Et la terre chuchotte à ses fils que je suis toujours là
« Et que les ossements et les paroles gisent dans mon cœur
« Et que les chemins vont toujours au loin et encore au loin
« Mais malgré toutes ces tyrannies, ici je reste
« Ici la branche de la vie va en croissant et en fleurissant
« Ici est le chant des bergers, ici vivent mon cœur et mon âme
« Ici je danse à mon retour vers la noce de la vie.
Puis nous sommes invités dans un vaste amphithéâtre, où des orateurs nous
rappellent ce que furent les dures journées d’expulsions, la dépossession
des terres, les destructions de villages. Soixante ans après, alors que le
monde occidental célèbre Israël, « la seule démocratie au Proche-Orient »,
rares sont ceux qui pensent encore aux malheurs du peuple palestinien. Le
devoir de mémoire, serait-il à sens unique ?
Les discours sont suivis de chants et de danses. Lorsque tout s’achève, on
se salue, on s’embrasse. La dure vie sous occupation continue.
Dominique Ballereau (CVPR)