Sous bien des aspects les deux élections sont très différentes. Mais sous quelques autres elles se ressemblent de façon frappante.
Il peut être intéressant de faire quelques comparaisons.
AUX ÉTATS-UNIS les élections sont beaucoup plus entachées de corruption que les nôtres. C’est inévitable.
Depuis l’avènement de la télévision elles sont devenues extrêmement coûteuses. Les publicités à la télévision demandent beaucoup d’argent. L’argent en quantité suffisante ne peut venir que de grosses sociétés et de milliardaires. Les deux candidats, fortement redevables à des groupes de pression et à des intérêts commerciaux, devront se mettre à leur service dès le premier jour de leur entrée en fonction.
Le pouvoir immense du lobby pro-israélien aux États-Unis tient à cette réalité. Cela ne concerne pas tant les votes juifs. Cela concerne l’argent juif.
La seule façon de changer cela serait d’accorder aux deux parties des temps d’antenne gratuits et de limiter la publicité politique à la télévision. Cela est hautement improbable parce que les milliardaires des deux bords n’abandonneront pas leur maîtrise du système. Pourquoi le feraient-ils ?
En Israël, tous les partis bénéficient de temps gratuits de télévision et de radio, en fonction de leur taille au sein de la Knesset sortante (avec la garantie d’un minimum pour de nouveaux arrivants). Les dépenses sont rigoureusement contrôlées. Cela n’empêche pas le même type de corruption. Le même Sheldon Adelson finance à la fois Mitt Romney et Benjamin Nétanyahou. Mais le montant d’argent de corruption levé et dépensé en Israël est beaucoup plus faible.
D’un autre côté, nous n’avons pas de débats présidentiels. Aucun Premier ministre israélien ne serait assez fou pour y consentir. Dans les débats des États-Unis, lorsqu’un challenger affronte le sortant, le challenger obtient un prix important dès le début du premier débat. Jusqu’à ce moment, il n’est qu’un simple homme politique, très éloigné de la Maison Blanche. Il est soudainement élevé au statut de président potentiel qui apparaît et parle en président. Nétanyahou n’y consentirait jamais.
(À ce propos, la mauvaise performance de Barack Obama (tout est affaire de performance après tout) au cours du premier débat était tout à fait évidente lorsque Romney a raillé les donateurs “verts” d’Obama. Cela aurait dû être le signal pour Obama de bondir pour attaquer les donateurs de Romney. Je suppose qu’Obama n’était tout simplement pas en train d’écouter son adversaire mais qu’il pensait à sa prochaine argumentation – une erreur toujours fatale dans un débat.)
LA PRINCIPALE différence entre les deux élections correspond à la différence entre les deux systèmes politiques.
Aux États-Unis, les élections présidentielles sont des compétitions entre deux personnes dans lesquelles le vainqueur remporte tout. Cela signifie, en pratique, que la bataille a pour enjeu les suffrages d’une étroite minorité d’“indépendants” (ou “électeurs indécis”) dans un petit nombre d’États. Tous les autres ont déjà une opinion arrêtée avant que ne soit dépensé le premier dollar des élections.
Qui sont ces électeurs indécis ? Il serait agréable de penser qu’il s’agit de citoyens indépendants d’esprit, qui pèsent soigneusement les arguments pour se construire une décision responsable. Absurde. Ce sont des gens qui ne lisent pas de journaux, qui s’en foutent, qu’il faut traîner au bureau de vote. Si l’on en juge par les publicités à leur intention, beaucoup d’entre eux doivent être débiles.
Pourtant ces gens là décident de qui sera le prochain Président des États-Unis d’Amérique.
Et les choses ne s’arrêtent pas là. Il ne faudrait pas oublier que l’élection peut décider de la composition de la toute puissante Cour Suprême et de beaucoup d’autres centres de pouvoir.
EN ISRAËL, les élections se déroulent à la proportionnelle intégrale. Pour les dernières élections, il y avait 33 partis en présence dont 12 ont passé le seuil de 2% des suffrages.
Le prochain Premier ministre ne sera pas nécessairement le chef du parti ayant obtenu le plus de suffrages, mais le candidat qui peut monter une coalition d’au moins 61 des 120 membres de la Knesset.
La bataille réelle en Israël ne se déroule pas entre des partis mais entre des blocs. La gauche (ou « le centre gauche » comme ils aiment s’appeler désormais) peut-elle atteindre le nombre magique de 61 ?
En pratique, Nétanyahou n’a pas de réel compétiteur en ce moment. Non seulement il n’y a pas d’autre dirigeant qui paraisse éligible avant longtemps, mais la coalition gouvernementale actuelle est composée de forces qui vont très vraisemblablement continuer à déterminer une majorité dans un avenir prévisible. Il s’agit du Likoud, des orthodoxes et de tous les autres partis religieux, des colons et de divers fascistes du même acabit.
Avec l’énorme taux de natalité chez les juifs orthodoxes, cette majorité va croître inévitablement. Il est vrai que le taux de natalité chez les Arabes musulmans pourrait préserver l’équilibre démographique, mais les électeurs arabes ne comptent pas. On n’en fait guère mention dans les sondages et pas du tout dans une quelconque spéculation sur les coalitions futures. Leur incapacité chronique à s’unir pour former une force politique viable est un élément de ce triste tableau.
Cependant les Membres arabes de la Knesset peuvent jouer un rôle important en refusant une majorité à Nétanyahou, dans le cas improbable d’égalité des forces.
ALORS QU’EN EST-IL des membres du bloc de gauche ?
Pour le moment ils apparaissent sous un jour triste. Jusqu’à présent ils se réunissaient au moins une fois l’an, lorsque le vaste rassemblement à la mémoire de Yitzhak Rabin se tenait à l’endroit où il fut assassiné, qui s’appelle aujourd’hui Place Rabin.
Cette année, il y aura deux manifestations de commémoration au même endroit, à une semaine d’intervalle.
L’une est le rassemblement traditionnel. En général, cent mille personnes se rassemblent pour pleurer Rabin et la paix. Le rassemblement est strictement “non-politique” et indépendant de tout parti, les discours sont fades, les paroles “extrémistes” ne sont pas admises, les assassins et leurs supporters sont évoqués en termes prudents, il y a beaucoup de paroles (et de chants) sur la paix, sans grand contenu. Les questions sociales ne sont absolument pas abordées.
L’autre manifestation est tenue par des supporters officieux du parti travailliste, dirigé actuellement par Shelly Yachimovich. On y parlera beaucoup d’injustice sociale et d’ “affreux capitalisme ”, mais les propos sur l’occupation et les colons sont interdits. La paix sera évoquée, si c’est le cas, comme un slogan vide de sens.
Yachimovich, une ancienne journaliste radio de 52 ans, a vu, au cours de son mandat, son parti se développer d’un reste misérable à un score prévisionnel de 20 sièges selon les sondages. Elle a obtenu ce résultat en évitant soigneusement tout propos sur la paix, parce que la paix est devenue un mot de quatre lettres (en hébreu). Elle a exprimé de la sympathie pour les colons et les orthodoxes, acceptant l’occupation comme une réalité de la vie. Sous la pression, elle a prononcé quelques paroles en faveur de la solution à deux États, tout en faisant voir clairement que des choses utopiques de ce genre ne l’intéressaient pas vraiment.
Son seul objectif est de lutter pour la justice sociale. Ses ennemis sont les grands patrons, son drapeau est celui de la social-démocratie. Elle ne mentionne pas le fait que les sommes considérables nécessaires pour un changement social significatif sont dépensées pour l’énorme budget militaire, les colonies et les parasites orthodoxes qui ne travaillent pas.
Dans le passé, les Israéliens de gauche avaient l’habitude de se vanter de porter deux drapeaux : celui de la paix et celui de la justice sociale. Maintenant il nous reste deux gauches : une qui porte le drapeau de la paix sans la justice sociale et une qui porte le drapeau de la justice sociale sans la paix.
Je n’aime pas la stratégie de Yachimovich, mais au moins elle en a une. Celle-ci peut se défendre sur des bases purement pragmatiques. Si, en se concentrant uniquement sur les questions sociales tout en ignorant l’occupation, elle peut récupérer des voix du bloc de droite pour renforcer celui de gauche, cela pourrait représenter une manœuvre justifiable.
Mais s’agit-il d’une tactique ? Ou cela ne reflète-t-il pas ses convictions réelles ? On ne peut pas mettre en doute sa sincérité dans son engagement résolu pour la justice sociale, ses activités à la Knesset en témoignent. Peut-on en dire autant de son engagement pour la paix, qu’elle n’exprime que sous la pression ?
YACHIMOVICH EST loin d’être la seule prétendante au trône de gauche. Chacun peut voir qu’il y a un énorme trou noir sur le côté gauche de la carte politique, et beaucoup aspirent à le remplir.
Ehoud Olmert, qui vient d’être reconnu coupable dans une affaire mineure et encore sous le coup de plusieurs mises en accusation pour corruption, laisse entendre qu’il brûle de revenir aux affaires. C’est aussi le cas d’Aryeh Deri qui a déjà effectué sa peine de prison pour corruption et qui veut supplanter le raciste Eli Yishai. Tsipi Livni, l’ancienne dirigeante lamentable de Kadima, veut aussi faire un retour. Ya’ir, l’élégante star de la télévision, qui a le talent de paraître convaincante tout en ne disant rien, a fondé un nouveau parti, appelé “Il y a un avenir”, et voit l’avenir en rose – pour elle-même. Daphni Leaf, l’héroïne de la révolte sociale de l’an dernier, parle d’un nouveau soulèvement extra-parlementaire, mais pourrait après tout se laisser convaincre de devenir parlementaire. Et ainsi de suite.
Un rêveur invétéré peut espérer voir toutes ces forces s’unir pour arracher le pouvoir à Nétanyahou, en référence à la fameuse maxime de Helmut von Moltke : “Marcher séparément, combattre unis”. Pourtant, je ne parierais pas là-dessus. Les chances du casino de Sheldon Adelson à Macao semblent meilleures.
ALORS QU’EN sera-t-il au printemps prochain ? Obama avec Nétanyahou, Romney avec Nétanyahou, chacun d’eux avec quelqu’un d’autre ?
Pour reprendre la vieille expression : “Qui vivra verra.”