Bête noire de certains juifs en France, Charles Enderlin rend lundi les clés du bureau de Jérusalem de la chaîne de télévision publique France 2, après trois décennies de correspondance en Israël et dans les territoires palestiniens.
À bientôt 70 ans, le reporter vétéran, qui connaît « tout le monde » au Proche-Orient, reste à jamais lié aux images du petit Mohammad al-Doura agonisant dans les bras de son père sur tous les écrans du monde. Dans son livre Un enfant est mort, publié en 2010, Enderlin est longuement revenu sur cet événement, le plus marquant de sa carrière, source d’une violente polémique et d’une décennie de procès : le décès, en 2000, de Mohammad al-Doura, un enfant palestinien de 12 ans, touché, affirme-t-il, par des balles israéliennes, et que ses images montrent, gisant dans les bras de son père, pris dans les feux croisés de soldats israéliens et de combattants palestiniens. Son reportage bouleverse l’opinion publique internationale et lance aussi une vive controverse sur l’origine des tirs mortels. Enderlin subit alors une campagne de déstabilisation, en France comme en Israël, doublée d’appels au meurtre du « collabo ». Des juifs français s’acharnent sur sa réputation, lui attribuant un « Prix Goebbels », du nom du chef de la propagande nazie, Joseph Goebbels. Mais l’un des opposants les plus acharnés, le fondateur de Media-Ratings, Philippe Karsenty, qui l’avait accusé de « supercherie », a été condamné en appel pour diffamation en 2013. « C’est une infamie absolue », juge la directrice de l’information de la chaîne à l’époque, Arlette Chabot. « Cette affaire a été douloureuse ; il n’aurait jamais dû être mis en cause, il a toujours travaillé avec honnêteté », insiste-t-elle.
Bête noire
Enderlin reste pourtant la bête noire d’une partie des juifs français, qui ne lui pardonnent pas l’affaire al-Doura. D’autant que l’enfant est devenu un « martyr », au Moyen-Orient, et que sa mort est volontiers brandie par les opposants à Israël ou aux politiques israéliennes comme emblématique. Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) à l’époque, le dit « trop orgueilleux » pour reconnaître « une erreur tragique et dramatique qui a eu des conséquences lourdes sur l’image du conflit israélo-palestinien ». En revanche, estime Boaz Bismuth, journaliste au quotidien de droite Israël Hayom, Charles Enderlin « a su être d’abord journaliste, avant d’être français et israélien. Ce qui lui a coûté cher ».
Ouvertement partisan de la création d’un État palestinien, même s’il s’avoue pessimiste sur le sujet, le reporter confie qu’il lui est même arrivé de prêter son bureau à Jérusalem « pour des rencontres secrètes » entre les négociateurs. « Les confrères du studio, ABC, BBC, AFP, les voyaient dans l’ascenseur puis rentrer chez moi, raconte-t-il. Ils croyaient qu’ils venaient pour une interview, mais, en fait, ils s’enfermaient, seuls, dans une pièce ! » « C’est un cas unique », assure Leïla Shahid, ex-ambassadrice de l’Autorité palestinienne à Bruxelles : « Il a une telle connaissance de la région que les diplomates le consultent pour comprendre. »
Élevé à Nancy, dans l’est de la France, par ses grands-parents maternels, des juifs autrichiens qui avaient fui l’Anschluss en 1938, il est arrivé en Israël en 1968 et en obtint la citoyenneté deux ans plus tard. « J’ai rempli toutes mes obligations envers mes deux pays », relève-t-il. Après quelques années, à la radio publique Kol Israël, la chaîne de télévision française, Antenne 2 à l’époque, l’embauche en 1988 pour couvrir « la première intifada, avec quasiment un sujet par jour pendant des mois ». À la retraite, Enderlin ne compte pas pour autant abandonner son sujet et sa terre d’Israël, ni l’écriture ou l’image, déclare-t-il : « Je vais continuer autrement, à un autre rythme, celui du documentaire. »