Photo : Un exercice militaire dans un village de Masafer Yatta en 2021 - Crédit : Active Stills
Chaque année, les élèves du monde entier accueillent la rentrée scolaire avec enthousiasme. Ce n’est pas le cas des écoliers de Masafer Yatta.
Situé au sud des collines d’Hébron, en Cisjordanie, Masafer Yatta abrite 215 foyers palestiniens, soit environ 1 150 personnes, dont 569 enfants. Avec le début de la nouvelle année scolaire, les enfants ont dû se préparer non seulement à l’école, mais aussi à la terreur qui les suivrait inévitablement pendant leur long trajet à pied jusqu’à la classe.
Cette terreur, c’est le harcèlement de l’armée israélienne et des violents colons israéliens.
En novembre de l’année dernière, les forces israéliennes ont démoli l’école élémentaire Isfey al-Fauqa, ainsi que les ambitions de ses élèves, sous prétexte que l’établissement se trouvait au milieu d’une « zone de tir ». Les autorités israéliennes ont prétendu que l’école, comme le reste des villages pastoraux palestiniens de la région, ne remplissait pas les conditions de « résidence permanente ». Pourtant, les familles de Masafer Yatta ont produit des documents attestant qu’elles étaient propriétaires des terres avant 1967.
Les habitants de Masafer Yatta font l’objet de menaces d’expulsion et d’ordres de démolition de la part de l’occupant israélien depuis 1981, date à laquelle la notion de « zone de tir » a été introduite pour la première fois. Puis, en 1999, les autorités d’occupation ont émis des ordres d’expulsion à l’encontre d’environ 700 résidents palestiniens de Masafer Yatta, expulsant de force la plupart d’entre eux et détruisant ou confisquant leurs maisons et leurs biens.
Depuis, les autorités israéliennes ont progressivement resserré l’étau sur la présence palestinienne à Masafer Yatta. La démolition de l’école d’Isfey al-Fauqa a été précédée par une décision de la Cour suprême israélienne en mai 2022, qui a autorisé l’expulsion forcée de huit communautés d’éleveurs installées dans la région.
« La décision israélienne de mai d’expulser huit villages palestiniens de la région pour ouvrir la voie à des exercices militaires est une nouvelle tentative de nettoyage ethnique des Palestiniens », explique Nasir Nawaj’a, un militant local, à Mondoweiss.
Selon l’OCHA, cette expulsion est en contradiction avec un ordre militaire israélien existant qui « stipulait que les restrictions concernant la zone de tir ne s’appliqueraient pas aux résidents actuels de la région ».
L’école d’Isfey al-Fauqa accueillait des dizaines d’élèves des villages voisins. Selon les enseignants, les forces israéliennes ont agressé les enfants et confisqué le matériel scolaire, notamment les fournitures, les tables, les chaises et les sacs, avant de raser l’école.
Après la démolition de l’établissement par les forces israéliennes, les habitants ont érigé deux tentes sur les décombres, ce qui a permis aux enfants de s’y installer pour poursuivre leurs études au milieu des ruines. Comme si cela ne suffisait pas, les élèves doivent marcher 10 km jusqu’à cette école de fortune, car l’armée israélienne empêche tout type de véhicule de passer par la « zone de tir 918 ».
Une épuration ethnique lente
Cette année, les étudiants sont de retour à Isfey al-Fauqa pour suivre les cours. Ils apprennent toujours sous des tentes, mais cette fois-ci dans la chaleur étouffante du mois d’août.
Sanad Makhamreh, 13 ans, est assis dans une tente sur le terrain de l’école. « Il fait très chaud et parfois j’entends à peine la voix du professeur », se plaint-il. « Nous arrivons à l’école épuisés parce qu’il n’y a pas de moyens de transport et que la marche est longue. »
« Chaque jour, je rentre chez moi et je dis à ma mère que demain je n’irai pas à l’école », raconte-t-il à Mondoweiss. « Il fait une chaleur étouffante sous les tentes. » Sanad me dit que la plupart des familles des élèves n’ont pas les moyens d’acheter de nouveaux vêtements ou des sacs à dos pour l’école.
Endurer la chaleur de l’été est cependant le cadet des soucis des élèves. Nawaj’a explique que l’occupant israélien a récemment installé plusieurs points de contrôle militaires entre les villages et a confisqué toutes les voitures palestiniennes en état de marche trouvées sur place. « Les enseignants ont peur de se rendre à l’école en voiture. Même les élèves ayant des besoins particuliers doivent y aller à pied », explique Nawaj’a à Mondoweiss.
Bisan al-Khaldy, récemment diplômée de l’enseignement secondaire, décrit les politiques israéliennes discriminatoires qu’elle doit subir en tant qu’élève de l’école secondaire de Masafer Yatta, qui est menacée de démolition.
« J’ai obtenu mon diplôme avec une excellente moyenne de 89 %, et seulement après avoir surmonté plusieurs obstacles », explique-t-elle à Mondoweiss. « Je ressens toujours un sentiment d’inquiétude. À tout moment, l’armée peut prendre d’assaut mon école et la démolir sur nos têtes. Elle a déjà menacé de le faire à plusieurs reprises ».
Bisan rapporte que cette incertitude a un impact négatif sur la santé mentale des élèves, dont l’avenir reste flou. À cela s’ajoute la terreur qu’ils subissent de la part des soldats et des colons, qui les agressent ou les intimident régulièrement. Les soldats stationnés aux points de contrôle militaire retiennent souvent les élèves ou les enseignants de passage pendant plusieurs heures sous le soleil, sans raison.
Bisan se souvient d’un garçon de 7 ans que les soldats ont forcé à rester debout au poste de contrôle pendant plus d’une heure, jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Les soldats ont même empêché l’ambulance d’arriver jusqu’à lui, retardant ainsi son arrivée à l’hôpital.
Pourtant, Bisan fait preuve de courage, affirmant qu’elle poursuivra ses études et qu’elle fera face à ces atrocités, tout en s’interrogeant sur l’attitude de la communauté internationale face à ces violations systématiques du droit humanitaire international.
Un enseignant de l’école primaire et secondaire d’al-Fakhit, qui a parlé à Mondoweiss sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles de la part de l’occupation, a déclaré que les enseignants luttent pour faire face aux conséquences psychologiques que le simple fait d’aller à l’école a sur leurs élèves. L’armée israélienne organise délibérément des exercices militaires pendant les cours, notamment des explosions et des vols d’avions à basse altitude qui planent constamment au-dessus de nos têtes, a déclaré l’enseignant.
Les parents sont souvent obligés de demander une aide psychologique pour leurs enfants afin de les aider à surmonter le traumatisme, indiquant qu’ils ont beaucoup de mal à les persuader d’aller à l’école. Ils disent généralement qu’ils ont peur d’être exposés aux agressions des forces d’occupation et des colons.
Quant au harcèlement des colons, de nombreux élèves arrivent en retard à l’école parce qu’ils sont abordés et régulièrement agressés par les colons activistes de la région. Ils finissent par manquer des cours. Pourtant, malgré ces difficultés, les résultats aux examens de fin d’études secondaires de ces dernières années ont été plus élevés que jamais, et beaucoup d’entre eux poursuivent leurs études dans des universités de Cisjordanie. Avec l’augmentation de l’insécurité alimentaire et la baisse des revenus, de plus en plus de personnes dépendent de l’aide humanitaire. Rien dans le statu quo actuel ne semble viable à long terme.
L’exposition constante à la violence des colons et aux exercices militaires favorise un environnement de terreur permanente, façonnant la vie quotidienne des habitants de Masafer Yatta. Nawaj’a affirme que ces politiques israéliennes équivalent à un transfert forcé. « Les autorités d’occupation israéliennes exercent une pression extraordinaire sur les Palestiniens de Masafer Yatta pour qu’ils quittent la région », affirme-t-il. « Ces actes brutaux constituent des violations du droit humanitaire international ».
Pourtant, les habitants de Masafer Yatta ont choisi de répondre à cette situation en défiant les colons israéliens et l’armée.
« Le régime d’apartheid israélien se trompe s’il pense qu’en démolissant nos maisons et en agressant notre peuple, il nous découragera de rester dans notre patrie », déclare Nawaj’a. « Nous restons ici, nous gardons nos moutons et nous cultivons notre terre. Rien ne nous déracinera. »
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À propos de l’auteur
Asem al-Jerjawi est une journaliste et écrivaine palestinienne qui fait partie du groupe de médias du 16 octobre.
Traduit par : AFPS