Pour voir l’énorme structure de béton, en fait, il faut se trouver dans une zone palestinienne, à Jérusalem-est ou en Cisjordanie, c’est pourquoi il n’y a pas beaucoup d’Israéliens ni de leurs visiteurs politiques qui voient le mur couper un village de ses champs, passer au milieu d’une rue commerçante, la couper en deux ou slalomer au travers d’une zone d’habitation passant juste devant une porte d’entrée.
C’est pourquoi seuls les Palestiniens et leurs amis savent ce qu’est le mur. Lorsqu’il s’approche d’une colonie israélienne comme Gilo, les Israéliens peuvent le voir, mais habituellement seulement aux abords de la colonie. Dans les rares endroits où le mur court le long de la frontière israélienne, un espace paysager, côté israélien masque sa laideur au regard israélien.
Kalkiliya
Par exemple à Kalkiliya, principale ville du centre agricole de la Cisjordanie : le mur se voit à peine du côté israélien. Kalkiliya se trouve à la limite de la ligne verte côté palestinien, c’était le centre agricole et commercial de la zone, un lieu où Palestiniens et Israéliens venaient faire leurs achats et commercer.
Mais le mur, construit il y a presque trois ans, a enfermé la ville sur trois côtés et une grande partie du quatrième la coupant totalement d’Israël et plaçant 810 hectares de ses terres côté israélien, ne lui laissant qu’une route d’accès vers l’est.
Jusqu’à il y a environ un an il fallait un permis pour emprunter cette route. Aujourd’hui, elle est controlée par l’armée israélienne et les mouvements sont restreints. Les Israéliens ne peuvent plus y accéder pour faire leurs achats.
En février dernier, durant la saison pluvieuse, Kalkiliya
a été inondée après 7 jours consécutifs de pluie, le mur empêchait l’eau de s’écouler. Des refoulements d’égouts dus au mur ont agravé le problème.
Suivant l’accord d’armistice établissant en 1949 la ligne verte entre Israël et la Cisjordanie, Israël fournit un écoulement vers la mer de l’eau des égouts de la région de Kalkiliya. Parce que le mur a bloqué les circuits d’écoulement, un système de vannes a été établi pour faciliter l’écoulement. Elles sont controlées par les Israéliens, mais l’attention israélienne à ces vannes est au mieux « négligente » (comme l’est aussi l’ouverture des portes controlant l’accès des fermiers à leurs champs) et durant la période de fortes pluies, il n’y eut personne pour manœuvrer les vannes durant rois jours.
Ce qui fait que l’eau des égouts s’est mélangée à celle de l’inondation et qu’environ 80 hectares de terrain ont été pollués, entraînant des pertes dévastatrices pour le revenu de centaines de familles d’agriculteurs.
Lorsque nous avons rencontré, Hachim El-Masri, en septembre, il nous a décrit une situation économique catastrophique pour sa ville.
Kalkiliya,avait auparavant trois sources de revenu, maintenant taries ou sévèrement limitées par le mur. A peu près 12 000 habitants travaillaient en Israël, actuellement seulement 300 qui parviennent à se faufiler illégalement.
La ville était un centre agricole qui vendait des fruits et des légumes tant aux Israéliens qu’aux Palestiniens. Désormais, 80% de ce marché a été perdu parce que la plus grande partie des terrains se trouve du côté israélien du mur. Les produits des champs de Kalkiliya qui sont passés côté israélien sont maintenant vendus dans toute la Cisjordanie par des Israéliens, nous a dit H Al Masri, avec pour conséquence que les produits que Kalkiliya arrive encore à faire pousser sont vendus à bas prix.
D’après Al Masri, la ville était auparavant un centre commercial à la fois pour les Israéliens et les Palestiniens, avec une production trois fois supérieure à la satisfaction de ses besoins . Il ne lui reste aujourd’hui qu’à peine 25% de cette capacité, les magasins ont fermé, le commerce s’étiole.
Al Masri estime que Kalkiliya a perdu plus de 65 % de son économie. Environ 12% de ses habitants sont partis s’installer plus loin dans les Territoires occupés. La détresse de cette ville est évidente, les rues sont bordées de magasins fermés, la zone du marché atone, les carioles tirées par des ânes prédominent , utilisées par des gens qui n’ont plus les moyens d’avoir une voiture.
Stephen Erlanger, du New York Times est venu à Kalkiliya
en novembte, mais son souci principal n’était pas les conséquences du mur à Kalkiliya (il n’a mentionné la "barrière de séparation " qu’au passage pour dire qu’elle séparait Kalkilia de la ville israélienne de Kfar Sava).
Il était plus intéressé par le fait que Al Masri et ses 4 collègues du conseil municipal sont tous membres du Hamas et ce que cela signifie pour Israël. Le Hamas a tout remporté aux élections de juin, Al Masri fait fonction de maire, parce que le maire, membre du Hamas a été élu alors qu’il était en prison où il languit depuis trois ans sans mise en accusation.
"Beaucoup d’yeux sont fixés sur Kalkiliya car aussi bien le Fatah qu’Israël sont choqués par la victoire du Hamas", écrivit sérieusement Erlanger. Au marché, il se mit à la recherche de Kalkiliens ordinaires qui discuteraient des résultats d’Al Masri et il trouva assez d’insatisfaction concernant les règles restrictives mis en place par le Hamas pour faire un article.
Erlanger, inquiet de l’attitude du Hamas envers Israël rappela dès le début de son article que le Hamas se fait « l’avocat de la destruction d’Israël » puis interrogea Al Masri sur ce qu’il appelait « l’engagement « du Hamas à établir un Etat palestinien sur toute la Palestine et de ce fait à détruire Israël.
S’interroger sur le type de menaces que le Hamas pourrait poser à Israël depuis une petite ville assiégée et sans défense derrière un énorme mur en béton semble un sérieux renversement de la réalité, certainement disproportionné par rapport à quelque danger concret que ce soit pour Israël !. Mais c’était clairement la principale inquiétude d’Erlanger, il semblait incapable de percevoir la menace qu’Israël faisait peser sur les Palestiniens.
Il ne mentionna pas l’inondation de février, ni les emplois perdus à cause du mur, ni les champs laissés en jachère, ni l’énorme perte agricole ou l’étranglement économique général.
Encore un exemple, comme celui d’Hillary Clinton : ne pas voir le mur même face à lui et à ses conséquences.
Bilin ...
Nous avons écrit en septembre (Voyages en Palestine, Première partie : Histoire de l’horreur) avoir rencontré le maire du petit village de Bilin, Ahmad Issa Yassin. Bilin a perdu les trois quarts de ses terres à cause du mur de séparation et organise une protestation non violente chaque vendredi depuis février, avec la participation de centaines de Palestiniens de Bilin et des villages alentour, des pacifistes israéliens et internationaux.
Les protestations continuent bien que presque aucun occidental,ni média occidental ne voit ces protestations , pas plus que se qui se passe à Gilo ou à Kalkilyia. La répression violente par Israël de ces protestations continue également plus ou moins invisible.
Steven Erlanger a finalement fait part de ces protestations dans le New York Times, huit mois après qu’elles aient commencé, mais il a fait en sorte d’en minimiser la signification et les pertes de terres du fait du mur. Il a qualifié de « presque joyeuse » l’interaction entre les manifestants et les soldats israéliens la comparant même à une danse : le Kabuki.
Erlanger a bien insisté sur le fait que les militaires israéliens avaient abandonné leur précédent mode de confrontation et ne veulent plus désormais que « protéger » la « barrière » des manifestants. Il cita les paroles d’un commandant israélien lui affirmant : « nous ne voulons pas les déranger dans le village ou dans les champs (comme si le mur et la confiscation des terres agricoles du village qui en découle ne sont pas en eux mêmes un « dérangement »).
Dans une remarquable périphrase, Erlanger remarqua que les Israéliens s’inquiétaient de ce que l’utilisation qu’ils faisaient des bâtons, des grenades, balles à caoutchouc et gaz lacrymogènes contre les manifestants « pouvait donner à penser » qu’Israël réprimait une dissidence. Erlanger ne jugea pas à propos d’interviewer un Palestinien, pas même Yassin,le chef du village.
A peu près à la même époque qu’Erlanger les excusait, les Israéliens commencèrent à recourir aux arrestations de minuit pour intimider les villageois. Erlanger ne les vit pas non plus.
Depuis octobre, plusieurs jeunes hommes du village ont été arrêtés au cours de ces expéditions nocturnes et détenus pour des périodes de durée variable pour « dégradation des fondations du mur ». Deux des neuf enfants de Yassin ont été arrêtés en novembre. Tous les deux ont été condamnés à quatre mois de prison et à 165 euros d’amende comme une dizaine d’autres villageois. Un fils a 28 ans, il est marié, il a deux enfants et en attend un troisième. L’autre n’a que 14 ans. Nous l’avons rencontré en septembre, il s’appelle Abdullah, il ne fait pas son âge, c’est un garçon souriant, très soigné, c’est le plus jeune enfant de Yassin. Il se trouve au centre de détention militaire de Ofer.
Déterminés, les habitants de Bilin continuent la résistance.
Juste avant Noël, ils ont acquis une caravane et l’ont installée sur une terre appartenant au village située du côté israélien du mur.
Ils ont déclaré qu’il s’agissait d’un « avant-poste » de Bi’lin à l’exemple des colons israéliens enragés qui établissent des avant postes sur les collines alentour et y vivent dans des villages de caravanes. Les soldats israéliens ont immédiatement démantelé ‘l’avant-poste » de Bi’lin, en utilisant des masses et une grue, mais les villageois l’ont remplacée par une tente et quelques jours plus tard ont amené une autre caravane au même endroit et construit un petit abri pour marquer leur réclamation. Les soldats israliens ont retiré cette caravane aussi mais ont laissé l’abri, pour l’instant, sous menace de démolition.
Lorsque nous l’avons vu en septembre, Yassin montrant du doigt son fils Abdullah, aujourd’hui en prison, avait exprimé sa préoccupation quant à l’avenir de ses enfants et petis enfants, quant à l’avenir de son village, tout entier étranglé par Israël. Yassin, lui-même n’a plus de travail ni de revenu depuis 2000, lorsqu’il a perdu son permis de travailler en Israël au début de l’Intifada. Avec le mur, il a désormais perdu ce qui lui restait : ses oliviers.
Nous lui avons offert un badge portant cette citation de Howard Zinn : « il n’y a pas de drapeau assez grand pour couvrir la honte du massacre de gens innocents ». Yasin, impressionné par la citation demanda si nous n’avions pas d’autres badges afin qu’il puisse en offrir : "Nous voulons la paix " dit-il " nous ne voulons pas la guerre, le sang et les meurtres ".
Mais Bilin est en travers des plans d’Israël, il se trouve en Cisjordanie, rien d’autre ne compte. Rien ne changera avant que les dirigeants israéliens et les politiques étatsuniens qui leur lèchent les bottes ne commencent à voir ce qui se passe devant leurs yeux, ne commencent à voir les vies qu’ils détruisent par l’occupation, la construction de leurs murs.
Les enfants d’Ahmad Issa Yassin resteront en prison.