Photo : Les destructions laissées par les forces d’occupation israéliennes à Jénine. Source : Tarek Shalash via UNRWA, Supplied.
Muhammad al-Saadi a embrassé ses trois enfants avant d’aller se coucher et leur a promis de faire un petit voyage cet été.
Ce dimanche soir, les enfants al-Saadi se sont endormis après une longue conversation sur leurs projets d’été.
Quelques heures plus tard, l’armée israélienne a envahi Jénine, ainsi que le quartier de la famille dans le camp de réfugiés, situé dans le nord de la Cisjordanie.
Les bruits de tirs ont commencé à ébranler les murs du camp dès les premières heures du lundi 3 juillet.
Les trois enfants se sont réveillés terrifiés et leur père a tenté de les calmer. Il n’y est pas parvenu.
Aucun des résidents du camp n’a réussi à dormir de la nuit, à cause du bruit des obus qui pleuvaient sur leurs bâtiments. Tout le monde avait peur de ce qu’Israël avait prévu pour le camp.
Les violences israéliennes se sont poursuivies tout au long de la matinée.
Muhammad al-Saadi ne pensait qu’à mettre sa famille à l’abri du danger.
Il s’inquiétait également pour ses voisins.
En raison de l’intensité des bombardements israéliens, il a demandé à ses voisins du deuxième étage de descendre et de rester dans sa maison afin qu’ils ne soient pas blessés.
"Nous avons lu sur les médias sociaux que les soldats israéliens avaient pris d’assaut le camp et investi les maisons une par une. En fait, nous avons entendu leurs voix dans les maisons voisines, alors nous attendions notre tour", a déclaré al-Saadi à The Palestine Chronicle.
Finalement, les soldats sont arrivés, mais pas comme la famille al-Saadi s’y attendait.
Des invités indésirables
Les soldats n’ont pas frappé à la porte, ils l’ont fait sauter.
"J’ai demandé à tout le monde de rester dans une seule pièce. Au total, nous étions onze personnes. Soudain, nous avons entendu une forte explosion qui a secoué toute la maison et brisé les fenêtres, éparpillant le verre sur tout le sol."
L’explosion n’a pas été provoquée par un bombardement aérien, comme ce fut le cas ailleurs dans la ville et le camp de réfugiés de Jénine. Les soldats israéliens étaient en fait à la porte d’al-Saadi, faisant littéralement sauter l’un des murs pour accéder au bâtiment.
Les femmes et les enfants ont commencé à crier devant le spectacle menaçant de dizaines de soldats israéliens prenant d’assaut la maison, pointant leurs armes automatiques sur les habitants, tandis que de nombreux chiens militaires n’arrêtaient pas d’aboyer.
"C’était une scène horrible, les chiens nous attaquaient et les soldats israéliens hurlaient tout le temps " a déclaré M. al-Saadi. "C’était comme un cauchemar, mais c’était bien réel."
En un rien de temps, la maison a été transformée en caserne militaire. Deux familles s’entassaient dans une pièce et trente soldats israéliens occupaient tout le bâtiment.
Rapidement, les tireurs d’élite israéliens ont cassé les murs à l’aide de gros marteaux, faisant des trous pour sortir leurs armes tandis que le reste des soldats israéliens cassaient tout ce qui se trouvait à l’intérieur.
"J’ai fait venir mes voisins chez moi pour les mettre à l’abri du danger, mais je ne savais pas que le danger serait là" a déclaré Al-Saadi.
"Ce furent des heures difficiles ; le verre recouvrait le sol, les enfants pleuraient, la poussière recouvrait presque tout et les soldats semblaient prêts à tuer tout le monde" a-t-il ajouté.
Les coupures d’électricité et les fortes chaleurs ont encore aggravé une situation déjà difficile.
"Un tireur d’élite israélien nous surveillait tout le temps, même lorsque nous essayions d’aller aux toilettes" a expliqué Al-Saadi.
La famille Al-Saadi a finalement été expulsée de sa maison. Des centaines de familles de Jénine ont également été déplacées.
Lorsque les Saadi sont revenus, trois jours plus tard, ils n’en ont pas cru leurs yeux. La maison était en ruines.
Destruction totale
De la fin de la journée de dimanche au début de la matinée de lundi, le camp de réfugiés de Jénine a été soumis à d’intenses bombardements israéliens.
Les attaques israéliennes ont été accompagnées d’une vague d’intenses tirs d’obus sur les maisons et les propriétés, qui ont fait 12 morts et 120 blessés parmi les Palestiniens.
Une grande partie de l’infrastructure de la région a été endommagée, notamment les réseaux d’eau, d’électricité et d’égouts. Selon les estimations officielles, près de 80 % des installations publiques de Jénine ont été endommagées.
Les bulldozers israéliens ont délibérément détruit des rues entières, les rendant inutilisables. De nombreuses vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, prises par des habitants de Jénine, en témoignent.
Le temps de partir
La famille Jarbou, qui vit dans un quartier appelé al-Wakalah, a également vécu des heures difficiles.
Lorsque les obus ont commencé à tomber à proximité de l’immeuble résidentiel de trois étages de la famille, toutes les pierres et les éclats d’obus sont tombés dans la cour.
Lorsque Tawfiq Jarbou s’est rendu compte que les bombardements n’allaient pas cesser de sitôt, il s’est dit qu’il était peut-être temps de partir.
La mère de Jarbou, âgée et malade, vivait avec lui au premier étage. Ses frères et sœurs occupaient les deuxième et troisième étages. Il a essayé de convaincre tout le monde de se joindre à lui dans la recherche d’un endroit plus sûr.
Quelques mois plus tôt, la famille Jarbou avait connu une autre épreuve, lorsque leur fils Nour avait été blessé par dix balles israéliennes, le laissant paraplégique.
Après avoir été touché, et malgré son état, les soldats l’ont tout de même arrêté. Il est toujours prisonnier.
Les Jaroub ne pouvaient pas risquer une autre tragédie. Ils se sont donc enfuis.
Toutes les maisons de ce quartier ont été totalement détruites ou partiellement endommagées. Les familles ont quitté leurs maisons et tout ce qu’elles contenaient, sans savoir si elles reviendraient ou quand elles reviendraient.
"J’ai emmené ma mère malade, ma femme et mes enfants dans un endroit sûr. Et nous avons finalement réussi à revenir, nous pensions retourner dans notre maison juste pour la nettoyer" a déclaré Jarbou au Palestine Chronicle.
"Mais lorsque nous sommes revenus, une surprise désagréable nous attendait", a-t-il ajouté.
Surprise de l’armée israélienne
Après le retrait de l’armée israélienne, les familles déplacées ont commencé à revenir lentement. Elles ont été rejointes par la famille Jarbou.
Lorsque la famille est arrivée dans son immeuble, elle était très soulagée. De l’extérieur, le bâtiment avait l’air normal.
Mais lorsque les membres de la famille sont entrés dans leurs maisons, ils ont été choqués par l’étendue des dégâts à l’intérieur, en particulier au rez-de-chaussée : les murs intérieurs ont été démolis, les escaliers reliant les différents étages ont été détruits, même les posters de Nour, désormais prisonnière, ont été déchirés. Rien ne semblait être resté à sa place.
"C’était une scène choquante. Nous ne nous attendions pas à une destruction d’une telle ampleur" a déclaré Mme Jarbou.
Dans un premier temps, la famille a envisagé de partager les espaces plus sûrs du bâtiment. Mais lorsque les ingénieurs ont visité la maison pour vérifier, ils ont conseillé de la détruire entièrement.
La maison de la famille Jorbou n’est pas la seule à avoir été détruite ou à avoir dû être détruite en raison de l’intensité des dégâts.
Les habitants de Jénine ont cependant déclaré à Palestine Chronicle qu’ils allaient reconstruire, comme ils l’ont fait à maintes reprises par le passé.
Cependant, ce sont les souvenirs conservés dans les murs des maisons détruites qui ne peuvent pas être facilement refaits.
Traduction : AFPS