Pourquoi avoir rejoint B.T.S ?
Nadav Weiman : J’ai 37 ans et suis né à Tel-Aviv où je réside. J’ai grandi dans une famille sioniste de gauche et par mon éducation, j’étais et je suis toujours prêt à servir mon pays et à le défendre. À l’âge de 18 ans, j’ai rejoint les forces spéciales comme mes deux frères aînés. Mon père était un combattant des parachutistes, comme mon grand-père en 1948. Après les classes, j’ai été affecté à Jénine en service d’active dans une unité de surveillance des frontières. Ma hiérarchie a demandé à mon unité de réaliser un « mapping » des maisons palestiniennes c’est-à-dire entrer dans les maisons de manière musclée et photographier les habitants et les lieux. J’ai compris plus tard la raison de ces incursions : non pas défendre le pays, mais contrôler la population palestinienne et lui faire sentir le poids de l’oppression. Après mon service, j’ai réalisé que demander à des jeunes de 18 ans de contrôler sinon opprimer une autre nation n’était pas acceptable. En me taisant je confortais la fausse perception au sein de l’opinion publique israélienne du rôle d’IDF dans les territoires occupés ; il fallait que la vérité éclate et j’ai rejoint les rangs de BTS.
Quel est l’objectif de BTS ?
N. W. : Breaking the Silence veut mettre un terme à l’occupation. Nous sommes composés d’anciens soldats ayant décidé de témoigner de ce qu’ont été leurs conditions de vie en Cisjordanie et à Gaza, pour montrer aux Israéliens et à la communauté internationale ce qu’est l’occupation. Ce sont deux occupations différentes car si à Gaza il n’y a plus de colons comme en Cisjordanie avec les checkpoints, contrôles, arrestations…, en revanche il y a depuis 2007 un blocus et tous les 3, 4 ou 5 ans, il y a eu des opérations militaires d’envergure qui ont tué de nombreux Palestiniens, détruit les infrastructures, et tué des soldats israéliens ; c’est leur manière de gérer le conflit, pas de le résoudre.
Nous ne voulons plus de morts israéliens ou palestiniens, nous devons trouver une solution, un état, deux états, une fédération, une confédération, ou autres. Il faut une solution politique.
Quelle est l’activité principale de BTS ?
N. W. : Notre activité principale est de recueillir des témoignages, les vérifier, les publier, ce qui est un long processus ; également une activité d’éducation politique pour des mouvements de jeunes, des grandes écoles, le public, des députés, diplomates et ambassadeurs. Depuis le 7 octobre, nous ne pouvons plus organiser de circuits dans les Territoires Occupés. Le travail militant se limite à montrer à la presse étrangère ce qui se passe en Cisjordanie et les exactions commises par les colons pendant que l’attention internationale est focalisée sur Gaza. Notre travail de fond au sein de la société israélienne est suspendu notamment toutes les activités avec les mouvements de jeunes, mais nous donnons des interviews, publions des articles dans différents journaux, sur les réseaux sociaux.
L’impact médiatique de BTS en Israël ?
N. W. : Il y a 2 ans, nous étions peu connus. Mais nous avons beaucoup travaillé, recueilli des témoignages ; maintenant quand on dit BTS les gens savent tout de suite de quoi il s’agit. Nous sommes la plus importante organisation sur ce sujet en Israël, avec près de 700 interventions éducatives par an. Notre plus gros impact est d’avoir remis le sujet de l’occupation sur le devant de la scène.
Lors des circuits que nous organisions en Cisjordanie que ce soit avec des Israéliens (la grande majorité) ou des diplomates, nous voulions qu’ils rencontrent des Palestiniens et leur consacrent du temps. Aller en Palestine, c’est avant tout rencontrer les habitants, hommes, femmes, jeunes, pour les connaître, écouter ce qu’ils ont à dire. C’est peut-être la seule fois qu’ils pourront le faire, surtout les Israéliens. Nous travaillons avec deux organisations partenaires « Youth against settlements » et Ta’ayush.
Lors des cinq dernières élections législatives, la question palestinienne n’était même pas un sujet de campagne. La situation était « gérée », donc aucune raison d’en débattre. Maintenant les gens doivent choisir s’ils veulent vivre à l’intérieur de la ligne verte ou non.
Et justement, depuis le 7 octobre ?
N. W. : Il y a eu une augmentation très importante des violences, d’abord contre les Palestiniens, puis contre les organisations progressistes et leurs militants. Certaines ont été attaquées, BTS pas directement, mais les extrémistes de droite pointent, dans leurs écrits et les médias, BTS comme des exemples de traîtres. Nous avons donc renforcé les mesures de sécurité dans nos locaux.
Nous n’avons plus organisé d’évènement public depuis lors, mais ils vont reprendre et nous devons nous préparer à affronter l’adversité.
En Cisjordanie nous recensons une augmentation importante des attaques contre les Palestiniens. Les jeunes soldats qui y effectuaient leur service ont été envoyés à Gaza ou à la frontière nord. Ils ont été remplacés par des réservistes de l’unité AGMAR principalement composée de colons issus de ces territoires. À la fois colons et soldats, cela lève toute ambiguïté sur la collusion entre ces deux entités.
De plus, les colons non-réservistes en portant des tenues de l’armée, s’arrogent tous les droits et oppriment en toute impunité les populations palestiniennes.
Un exemple : nous avons visité la zone avec France 5 et nous avons été attaqués ; ils ont dû arrêter de filmer.
Les mesures de sécurité prises pour protéger les militants de BTS ?
N. W. : De nombreuses personnes que nous connaissons ont quitté Israël depuis le 7 octobre. Des activistes notamment parce que leurs noms et leurs adresses ont été révélés par l’extrême droite sur les réseaux sociaux, et que la police ne les protège pas. L’un de mes amis, journaliste et ultraorthodoxe, a vu son nom jeté en pâture par ces extrémistes ; il a été attaqué en pleine nuit par une douzaine d’entre eux. Il s’est enfui en voiture, Il a été poursuivi et s’est réfugié dans un hôpital public de Tel-Aviv. Dans ce cas précis, la police n’a pas voulu intervenir. Maintenant il vit caché dans un appartement. Son seul « méfait » est d’avoir exprimé de la compassion envers la souffrance des enfants de Gaza.
Point de vue militaire sur l’opération à Gaza
N. W. : Israël a lancé de suite la riposte aux attaques du Hamas en engageant l’artillerie et les bombardements aériens, suivant deux grands principes qui ont structuré toutes les campagnes militaires israéliennes à Gaza depuis l’opération Plomb durci de 2008-2009 :
Le « risque zéro » pour les soldats, quitte à condamner les populations civiles même si elles ne sont pour rien dans les hostilités, et la « doctrine Dahiya », qui implique de ne laisser aucun bâtiment debout. Quiconque n’évacue pas est considéré comme coupable jusqu’à preuve du contraire.
La « doctrine Dahiya » porte le nom d’un quartier de Beyrouth lourdement bombardé par Israël lors de la guerre du Liban en 2006. Elle soutient que, dans un conflit asymétrique contre un acteur non étatique, une période d’accalmie peut être obtenue en causant des dommages considérables aux moyens militaires, aux infrastructures (ponts, bâtiments…) et propriétés civiles. Un tel procédé aurait un effet dissuasif et retournerait la population civile (contrainte à dépenser une énergie et un temps considérables à la reconstruction) contre l’organisation non étatique qui opère depuis son territoire.
Donc avant l’entrée de l’infanterie, il y a les attaques de l’aviation (artillerie, avions, drones) puis les bulldozers arrivent et déblaient les gravats, ensuite les tanks qui tirent sur tout ce qui bouge sous le prétexte que nous ne devons subir aucune perte ; enfin l’infanterie arrive et tire à vue ; on lui a inculqué que c’était normal car en face l’autre est l’ennemi. Mais à l’évidence cette affirmation est fausse. De très nombreux civils sont encore dans le nord de Gaza et ne sont pas des combattants du Hamas.
Si l’armée décide de conquérir le sud de Gaza, alors qu’il y a plus d’1 million de réfugiés les pertes palestiniennes seront immenses, ou vont-ils se réfugier ? En Égypte, cela n’est pas possible, alors où ? Mais les pertes de soldats le seront aussi.
Quelles sont les intentions du gouvernement ?
N. W. : Le gouvernement change tous les jours de discours. On ne peut pas savoir vraiment. Netanyahou et ses partenaires sont contre toutes concessions faites aux Palestiniens, et la priorité n’est pas de libérer les otages (ce qui en est une pour BTS), alors quel est le plan de sortie de crise ? Il refuse même d’évoquer le « jour d’après » avec son gouvernement. Comme il est contre l’État de Palestine, aucune solution n’est sur la table
Et en Cisjordanie ? Le risque de déclenchement d’une 3e Intifada ?
N. W. : Depuis le 7 octobre, le nombre de Palestiniens tués par des colons est en augmentation, sans qu’aucune sanction ne soit prise. Plus de 16 bergers et leurs troupeaux ont été expulsés de leurs maisons. En pleine saison de récolte des olives, ils sont empêchés de se rendre dans leurs champs alors que c’est une activité économique essentielle pour eux.
Les radicaux qui sont au gouvernement souhaitent l’Intifada. C’est un autre front qu’ils espèrent ouvrir. Ces suprémacistes ont voté contre la libération des otages parce que cela mettrait en danger nos soldats qui se battent à Gaza !!! Ils veulent que des enfants payent de leur vie celles des soldats au combat à Gaza. C’est incompréhensible. Je doute qu’ils agissent dans l’intérêt de l’État d’Israël.
Et pour l’avenir ?
N. W. : Nous ne pouvons pas être militant en Israël sans être optimiste.
Je pense que maintenant un plus grand nombre réalise que l’extrême droite et les colons sont un obstacle à la paix. Nous ne pourrons plus avoir d’élections sans parler du conflit, de l’occupation et de la ou des solutions à adopter.
Mais l’avenir est très incertain, voire inquiétant.
Pour finir, que peut faire l’AFPS pour soutenir BTS en France ?
N. W. : Nous faire connaître et expliquer quelles sont les doctrines de l’armée qui ont prévalu lors de l’engagement contre Gaza.
Bibliographie
Why I broke the silence
https://www.haaretz.com/opinion/2015-06-30/ty-article/.premium/why-i-broke-the-silence/0000017f-ef88-d497-a1ff-ef883c7a0000?utm_source=App_Share&utm_medium=iOS_Native
Les principes de guerre adoptés à Gaza Zéro Risque, et celui de Dihiya
https://www.lalibre.be/debats/opinions/2023/11/19/larmee-israelienne-a-gaza-ils-nous-ont-dit-il-nest-pas-cense-y-avoir-de-civils-si-vous-identifiez-quelquun-vous-lui-tirez-dessus-BUHSAYJSXVHUBJBJ2BPMN2A3ZI/