À première vue cela semble une manœuvre astucieuse de Benjamin Nétanyahou pour détourner l’attention des vrais problèmes. Si c’est le cas, les dirigeants palestiniens sont tombés dans un piège.
Au lieu de parler de l’indépendance de l’éventuel État de Palestine et de ses frontières, de sa capitale à Jérusalem, de l’abandon des colonies, du sort des réfugiés et de la solution de quantité d’autres problèmes, ils se disputent indéfiniment sur la définition d’Israël.
On est tenté de crier aux Palestiniens : mais bon sang, consentez leur cette foutue reconnaissance et qu’on en finisse ! Qui s’en soucie !?
LA RÉPONSE des négociateurs palestiniens est double.
D’abord, reconnaître Israël comme État Juif serait une trahison à l’égard du million et demi de Palestiniens citoyens d’Israël. Si Israël est un État Juif, où cela les met-il ?
Eh bien, ce problème pourrait se résoudre par une clause dans le traité de paix stipulant qu’indépendamment de tout autre point de l’accord, les citoyens palestiniens d’Israël bénéficieraient d’une pleine égalité dans tous les domaines.
Ensuite, cette reconnaissance de la judéité d’Israël bloquerait le retour des réfugiés.
Cet argument a encore moins de valeur que le premier. La solution du problème des réfugiés sera un point central du traité. Les dirigeants palestiniens, à l’époque d’Arafat, avaient déjà admis tacitement que la solution ferait l’objet d’un “accord”, tel que tout retour serait au mieux symbolique. La question de la reconnaissance ne l’affectera pas.
La discussion sur cette exigence israélienne est totalement idéologique. Nétanyahou exige que le peuple palestinien accepte le récit sioniste. Le refus palestinien se fonde sur le récit arabe, qui contredit le sioniste sur pratiquement chaque événement survenu au cours des 130 dernières années, si ce n’est au cours des 5000 dernières.
Mahmoud Abbas pourrait simplement venir déclarer : OK, si vous acceptez nos exigences concrètes, nous reconnaîtrons Israël sous quelque appellation que vous souhaitez – un État Bouddhiste, un État Végétarien, comme vous voulez.
Le 10 septembre 1993 – qui se trouvait être le jour de mon 70e anniversaire – Yasser Arafat, au nom du peuple palestinien, reconnaissait l’État d’Israël, en contrepartie de la non moins importante reconnaissance du Peuple palestinien par Israël. Implicitement, chaque partie reconnaissait l’autre pour ce qu’il est. Israël se définissait lui-même comme État Juif dans son texte fondateur. Par conséquent, les Palestiniens ont déjà reconnu un État Juif.
À ce propos, le premier pas vers Oslo fut accompli par Arafat lorsqu’il demanda à son représentant à Londres, Said Hamami, de faire paraître dans le “Times” de Londres le 17 décembre 1973, une proposition de solution pacifique qui disait entre autres choses que “le premier pas devait être la reconnaissance mutuelle de ces deux parties. Les Juifs-Israéliens et les Palestiniens-Arabes doivent se reconnaître l’un l’autre comme peuples avec tous les droits de peuples.
J’ai vu la version originale de cette déclaration avec des corrections de la main d’Arafat.
LE PROBLÈME de la minorité palestinienne en Israël – environ 20% des huit millions de citoyens d’Israël – est très sérieux, mais il a pris maintenant un tour comique.
Depuis son acquittement d’accusations de corruption et son retour au ministère des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman est de nouveau à l’œuvre. Il est venu apporter son soutien aux efforts de paix de John Kerry, au grand déplaisir de Nétanyahou dont ce n’est pas la position.
Pourquoi donc, pour l’amour du ciel ? Lieberman aspire à devenir Premier ministre un jour, le plus tôt possible. Pour cela il lui faut (point 1) unir son parti “Israël notre foyer” au Likoud, (point 2) devenir le patron du Likoud, (point 3) remporter les élections générales. Mais au dessus de tout cela plane le point 4 : obtenir l’accord des Américains. Donc Lieberman apporte maintenant son soutien à l’effort de paix américain.
Oui, mais à une condition : que les États-Unis acceptent son plan directeur d’État juif.
C’est un chef-d’œuvre d’habileté politique constructive. Sa principale proposition est de déplacer les frontières d’Israël, non pas vers l’est comme on aurait pu s’y attendre de la part d’un ultranationaliste, mais vers l’ouest, réduisant encore plus les hanches étroites d’Israël, à simplement 9 (neuf) km.
Le territoire israélien dont Lieberman veut se séparer représente l’implantation d’une douzaine de villages arabes donnés en cadeau à Israël par le roi de Jordanie dans le cadre de l’armistice de 1949. Abdallah Ier, l’arrière grand-père du roi actuel Abdallah II de Jordanie avait besoin d’un armistice à tout prix. Lieberman veut maintenant rendre ces villages, merci.
Pourquoi ? Parce que pour ce fervent de l’Israël juif, la réduction de la population arabe est un devoir sacré. Il ne plaide pas pour l’expulsion, dieu merci. Pas du tout. Il propose de réunir cette zone, avec sa population, à l’État Palestinien. En contrepartie, il veut que les blocs de colonies juives de Cisjordanie soient annexés à Israël. Un transfert de territoires avec leurs populations qui rappelle le redécoupage des frontières de la Pologne par Staline, sauf que les frontières de Lieberman paraissent complètement insensées.
Lieberman présente cela comme un plan pacifique, libéral, humain. Personne ne serait déplacé, il n’y aurait pas d’expropriation. Quelques 300.000 Arabes, tous de fervents supporters de la lutte palestinienne en faveur d’un État, deviendraient citoyens palestiniens.
ALORS POURQUOI les Palestiniens d’Israël protestent-ils ? Pourquoi condamnent-ils ce plan comme une attaque raciste à leurs droits ?
Parce qu’ils sont bien plus israéliens qu’ils ne veulent bien l’admettre, même à eux-mêmes. Après avoir vécu en Israël pendant 65 ans, ils se sont habitués à ses usages. Ils n’aiment pas Israël, ils ne servent pas dans son armée, ils y font l’objet de discriminations à bien des égards, mais ils sont profondément insérés dans l’économie et la démocratie israéliennes, bien plus que ce que l’on admet généralement.
Les “Arabes israéliens”, une expression qu’ils ont en horreur, jouent un rôle significatif dans les hôpitaux et les tribunaux israéliens, y compris à la Cour Suprême, et dans bien d’autres institutions.
Devenir demain citoyens de la Palestine signifierait pour eux perdre 80 à 90% de leur niveau de vie. Ils perdraient aussi le système de sécurité sociale dont ils bénéficient en Israël (bien que Lieberman promette de continuer à payer ceux qui en bénéficient actuellement). Après avoir connu pendant des décennies des élections loyales, des débats animés à la Knesset, il leur faudrait s’adapter à une société dans laquelle, comme c’est le cas actuellement, des partis importants sont interdits, les élections sont reportées et le parlement joue un rôle mineur. La place des femmes dans cette société est très différente du rôle qu’elles jouent en Israël.
La situation des Palestiniens d’Israël est particulière à bien des égards. D’une part, aussi longtemps qu’Israël se définit comme État juif, les Arabes ne seront pas pleinement égaux. D’autre part, dans les territoires palestiniens occupés, ces citoyens israéliens ne sont pas admis comme membres à part entière. Ils sont impliqués dans les deux parties en conflit. Ils aimeraient être des médiateurs, un lien entre les deux parties, les amenant à se rapprocher. Mais cela reste un rêve jusqu’à présent.
Une situation compliquée en vérité.
PENDANT ce temps, Nétanyahou et Lieberman sont en train de concocter un autre projet pour rendre l’Israël juif encore plus juif.
Il y a aujourd’hui trois factions à la Knesset qui tiennent leurs suffrages de la population arabe. Ils représentent presque 10% de la Knesset. Pourquoi pas 20% pour être le reflet de leur part de l’ensemble de la population ? D’abord parce qu’ils ont plus d’enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de voter (18 ans). Ensuite leur taux d’abstention est sensiblement plus élevé. Enfin, certains Arabes sont soudoyés pour voter en faveur de partis sionistes.
Le rôle des Membres de la Knesset arabes dans l’élaboration des lois est négligeable. Tout projet de loi qu’ils présentent est rejeté de façon presque automatique. Aucun parti juif n’a jamais envisagé de les inclure dans une coalition gouvernementale. Pourtant leur présence est très perceptible, leur voix est entendue.
Et maintenant, au nom de la “gouvernabilité” (un nouveau mot à la mode que l’on peut utiliser pour justifier toute atteinte aux droits humains), Bibi et Libie, comme quelqu’un les a appelés, veulent modifier le pourcentage minimum de suffrages que doit obtenir une liste électorale pour avoir des élus à la Knesset.
J’ai été élu trois fois à la Knesset lorsque le seuil était de 1%. Plus tard il a été porté à 2%. Actuellement le projet est d’élever ce seuil à 3,25%, ce qui aurait représenté aux élections d’il y a un an 123 262 suffrages. Seul l’un des trois partis “arabes” a franchi cette limite – et seulement à peine. Rien ne garantit qu’il puisse y arriver de nouveau.
Afin de survivre, il leur faudrait s’unir pour former un grand bloc arabe. Beaucoup de gens pensent que ce serait une bonne chose. Mais c’est très difficile à réaliser. L’un de ces partis est communiste, un autre islamiste, un autre laïque-nationaliste. Par ailleurs des familles élargies qui sont en concurrence jouent un rôle important dans la politique électorale arabe.
Les listes arabes pourraient disparaître complètement. Ou bien deux d’entre elles s’unir, en éliminant la troisième.
Des Israéliens de gauche fantasment à propos d’un parti de rêve : un bloc parlementaire uni qui regrouperait tous les partis arabes avec le Parti travailliste et le Meretz, pour en faire un formidable rival de la droite.
Mais cela serait trop beau pour être vrai – il n’y a aucune chance que cela se produise dans un avenir proche.
IL SEMBLERAIT que Kerry et ses conseillers sionistes aient déjà intégré l’exigence israélienne de reconnaître Israël comme un État juif ou, pire, comme l’État du Peuple juif (qui n’a même pas été consulté).
La partie palestinienne ne peut pas accepter cela.
Si les négociations échouent sur ce point, Nétanyahou aura atteint son véritable objectif : faire capoter les négociations d’une façon qui lui permettra d’en imputer la responsabilité aux Palestiniens.
Tant que nous avons un État juif, qui a besoin de la paix ?