Photo : Les forces d’occupation israéliennes transportent en camion des dizaines de civils palestiniens du nord de Gaza vers un camp de détention en Israël, décembre 2023. © Quds News Network
Des Palestiniens détenus par les forces israéliennes depuis le début de la guerre à Gaza racontent à Middle East Eye leur torture physique par attaques de chiens et par électrocution, les simulations d’exécution et les conditions humiliantes et dégradantes de leur détention.
Parmi les témoignages adressés à MEE, un homme, enlevé par les forces israéliennes d’une école de Gaza où il avait trouvé refuge avec sa famille, raconte avoir été menotté, s’être fait bander les yeux et avoir été détenu dans une cage en métal pendant 42 jours.
Au cours des interrogatoires, il indique avoir reçu des décharges électriques, avoir été griffé et mordu par des chiens de l’armée.
D’autres hommes ont également témoigné avoir été électrocutés, attaqués par des chiens, aspergés d’eau froide, privés de nourriture et d’eau, privés de sommeil et soumis à une musique bruyante constante.
« Ils n’ont épargné personne. Il y avait des garçons de 14 ans et des hommes de 80 ans », raconte l’un des hommes, Moaz Muhammad Khamis Miqdad, qui a été arrêté dans la ville de Gaza en décembre et détenu pendant plus de 30 jours.
Outre trois hommes qui ont été arrêtés à Gaza et faits prisonniers, MEE s’est entretenu avec un homme détenu lors d’un raid dans la ville de Qalqilya, en Cisjordanie occupée, qui affirme avoir eu les yeux bandés, avoir été déshabillé et pendu par les bras lors d’interrogatoires au cours desquels il a été battu à maintes reprises et brûlé avec des cigarettes.
Il évoque également le fait d’avoir été détenu pendant des jours dans des conditions glaciales, sans pouvoir dormir, et qu’un soldat a uriné dans une bouteille avant de la lui remettre alors qu’il demandait de l’eau.
Les quatre hommes affirment avoir été forcés de se déshabiller et avoir été constamment battus et maltraités par les soldats israéliens au cours de leur détention, qui a duré plusieurs semaines.
MEE s’est également entretenu avec plusieurs autres anciens détenus qui font état d’expériences similaires à celles des hommes dont il est question dans cet article.
Leurs témoignages sur la torture et les abus qu’ils ont subis corroborent les allégations similaires formulées par les observateurs des droits humains.
La conduite de la guerre d’Israël contre le Hamas à Gaza fait déjà l’objet d’une procédure devant la Cour internationale de justice, dans laquelle Israël est accusé de génocide, et d’une enquête sur les crimes de guerre perpétrés menée par la Cour pénale internationale.
Au début du mois, le New York Times a publié des informations émanant d’une enquête non publiée de l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, faisant état de mauvais traitements infligés à des centaines de prisonniers palestiniens détenus au cours de la guerre à Gaza.
Bon nombre de ces informations semblent correspondre aux témoignages d’anciens détenus qui se sont confiés à MEE.
Jeudi 7 mars, le quotidien israélien Haaretz a rapporté qu’au moins 27 détenus de Gaza étaient morts au sein d’installations militaires israéliennes depuis le début de la guerre. Le quotidien a précisé que certains de ces décès s’étaient produits sur la base militaire de Sde Teiman, dans le sud d’Israël, et sur la base d’Anatot, en Cisjordanie.
Vendredi 8 mars, Alice Jill Edwards, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la torture, a déclaré qu’elle enquêtait sur les allégations de torture et de mauvais traitements infligés par Israël aux détenus palestiniens et qu’elle était en pourparlers avec les autorités israéliennes pour se rendre dans le pays dans le cadre d’une mission d’établissement des faits.
Ramy Abdu, président de l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’Homme, qui a également compilé des rapports sur la torture en détention, a signalé que les témoignages de Palestiniens libérés de détention israélienne étaient « profondément troublants ».
Ramy Abdu affirme à MEE que « ces témoignages révèlent un schéma systématique d’abus, notamment des fouilles à nu forcées, du harcèlement sexuel, des menaces de viol, des passages à tabac graves, des attaques de chiens et la privation de [la satisfaction de] besoins essentiels tels que la nourriture, l’eau et l’accès aux sanitaires ». Ces actes n’infligent pas seulement une douleur physique, mais laissent également des traces psychologiques durables chez les victimes.
« Le recours à des méthodes aussi brutales, en particulier contre les groupes vulnérables que constituent les femmes, les enfants et les personnes âgées, est répréhensible et constitue une violation flagrante de la dignité humaine et du droit international. »
Hamad city, Khan Younis. De nouvelles photos émergent montrant des Palestiniens kidnappés © Eye On Palestine
Miriam Azem, associée en plaidoyer auprès d’Adalah, une organisation palestinienne de défense des droits de l’homme, souligne que les rapports faisant état de « tortures et de mauvais traitements généralisés » infligés aux détenus palestiniens sous la garde d’Israël exigent une intervention immédiate de la communauté internationale.
« Des centaines de Palestiniens de Gaza sont toujours détenus sans contact avec l’extérieur, sans que l’on sache où ils se trouvent. L’urgence de la situation actuelle exige non seulement de l’attention, mais aussi une intervention immédiate et résolue de la part de la communauté internationale. Toute absence d’intervention constitue une grave menace pour la vie des Palestiniens », déplore Miriam Azem dans un entretien accordé à MEE.
L’armée israélienne n’avait pas donné suite à la demande de commentaire de MEE au moment de la publication de cet article. Elle a déclaré, en réponse aux allégations concernant les mauvais traitements infligés aux détenus, qu’un tel comportement « violait les valeurs des FDI [Forces de défense d’Israël] et contrevenait aux ordres des FDI et était donc absolument interdit ».
L’armée israélienne a déclaré que ses soldats agissaient « conformément au droit israélien et international afin de protéger les droits des détenus ». Elle a affirmé que chaque mort en détention militaire israélienne faisait l’objet d’une enquête et que certaines des personnes mortes souffraient de maladies ou de blessures préexistantes.
« Ils m’ont placé à genoux face au mur »
Naeem Youssef Salem Abu al-Hassan, 19 ans, originaire de Jabalia, dans le nord de Gaza, raconte à MEE avoir été arrêté avec d’autres jeunes hommes âgés de 18 à 25 ans après que les forces israéliennes eurent ordonné aux habitants encore présents de quitter la ville le 27 décembre 2023.
Il précise qu’à ce moment-là, lui et sa famille élargie avaient enduré des semaines de frappes aériennes, d’attaques de chars et de tirs de snipers qui avaient détruit une grande partie du quartier et tué nombre de leurs proches.
Peu après, al-Hassan explique que les soldats israéliens lui ont demandé d’identifier deux corps dans la rue qui, selon eux, étaient ceux de combattants.
Il leur a répondu ne pas connaître l’identité des corps et n’avoir aucun lien avec les combattants.
« Ils ne m’ont pas cru et ont insisté pour que je les reconnaisse, sinon ils me tireraient dessus et me laisseraient tomber à côté des corps. Je ne savais pas quoi dire. Puis ils m’ont placé à genoux face au mur. »
Al-Hassan explique que les soldats l’ont ensuite frappé à coups de pied et l’ont traité de menteur. Il a été menotté, on lui a bandé les yeux et on l’a traîné jusqu’à une maison voisine où se trouvaient également d’autres détenus.
« Un soldat fumait une cigarette et essayait de me brûler au visage. Je lui ai dit que je ne supportais pas cela et il a commencé à me frapper et à me donner des coups de pied », raconte-t-il.
Cette nuit-là, les hommes ont été rassemblés et emmenés dans la rue où, selon al-Hassan, ils ont été encerclés par des soldats et des chars. Des trous profonds avaient été creusés dans la rue et un soldat a commencé à le pousser vers l’un de ces trous.
« Je me suis dit ça y est, il va certainement me tuer maintenant. C’est probablement mon dernier souffle », se remémore-t-il.
Au lieu de cela, les hommes ont été embarqués dans des camions. On les a transportés pendant plusieurs heures, tout en étant insultés, frappés et battus par les soldats qui les surveillaient. Ils ont ensuite été transférés dans un autre véhicule et ont poursuivi le trajet, toujours sous les coups.
Ils ont ensuite été conduits dans un lieu inconnu. Cinq soldats sont entrés dans la pièce où ils étaient détenus et ont continué à les rouer de coups.
Cette façon de se déplacer dans des véhicules entre différents lieux, tout en étant soumis à des passages à tabac, s’est poursuivie pendant plusieurs jours.
Finalement, les hommes sont arrivés à un endroit où ils ont été contraints de s’agenouiller au sol, toujours menottés et les yeux bandés.
« Nous sommes tous restés comme ça pendant 37 jours... presque nus dans le froid glacial, nos corps épuisés, nos âmes à la dérive. La nourriture était à peine suffisante pour nous maintenir en vie », raconte al-Hassan.
Lorsque les hommes ont tenté de se plaindre de leurs conditions de détention, leurs geôliers ont fait venir des soldats accompagnés de chiens.
« Ils les ont lâchés sur nous. Les chiens nous attaquaient, nous griffaient, tandis que le commandant continuait à nous battre avec une brutalité extrême. »
Régulièrement, les hommes étaient emmenés en interrogatoire. Al-Hassan raconte qu’on lui montrait des images de tunnels et que ses interrogateurs lui demandaient ce qu’il savait de ces tunnels.
« Chaque fois que je disais que je ne [savais rien], ils me giflaient, me donnaient des coups de poing, me frappaient et me donnaient des coups de pied sur tout le corps », se souvient-il.
« Les soldats et leur commandant faisaient beaucoup de bruit... nous ne pouvions donc pas dormir et nous restions épuisés, complètement exténués par la fatigue, la faim et la torture. »
Une nuit, aux petites heures, alors qu’il essayait de se reposer, Hassan a été réveillé d’un coup de pied par un soldat et traîné dans un bus avec quatre autres hommes. Le bus les a emmenés à Karam Abou Salem, le principal point de passage entre Israël et le sud de la bande de Gaza, où ils ont été relâchés.
« Le commandant nous a crié de marcher rapidement, mais je pouvais à peine marcher [à cause] des coups et du [fait d’être resté] agenouillé, ainsi que du manque de nourriture et de sommeil. Les soldats ont commencé à courir après nous pour nous effrayer. »
Selon al-Hassan, les hommes sont parvenus à se traîner jusqu’aux bus de l’ONU qui les attendaient pour les prendre en charge.
« Ils voulaient nous maintenir entre la vie et la mort »
Moaz Muhammad Khamis Miqdad, 26 ans, confie à MEE avoir été capturé sous la menace d’une arme par des soldats israéliens le 21 décembre, alors qu’il était réfugié dans une école avec sa famille dans le quartier de Cheikh Radwan, à Gaza.
Comme d’autres hommes, il a été contraint de se mettre en sous-vêtements. Ils ont ensuite été emmenés dans une mosquée voisine où ils ont dû s’agenouiller les mains attachées dans le dos.
« Ils nous ont ensuite jetés dans un camion, où d’autres soldats et membres des forces de sécurité se sont acharnés sur nous en nous frappant et en nous injuriant violemment », se souvient le jeune homme.
Le camion les a conduits dans un centre de détention où le passage à tabac s’est poursuivi sans relâche.
« Ils nous ont torturés pendant des heures, nous aspergeant d’eau froide alors que nous étions presque nus. Ils étaient déterminés à nous torturer et à nous briser. »
Finalement, un par un, les hommes ont été emmenés dans une salle d’interrogatoire où, selon Miqdad, les tortures se sont aggravées.
Les soldats israéliens détiennent et humilient un homme palestiniens âgé durant l’invasion de Gaza © Quds News Network
« Les soldats m’ont demandé où j’étais le 7 octobre et ce que je faisais. Je leur ai dit que je n’avais rien à voir avec les événements du 7 octobre, mais ils s’en moquaient. Ils m’ont assailli de coups de poing et de pied encore plus violents et, cette fois, avec leurs armes aussi. »
Couverts de bleus et de sang, les hommes ont été embarqués dans un autre camion et emmenés dans une pièce sombre et froide.
« J’étais nu, j’avais froid, j’étais battu, affamé, épuisé et complètement vidé. Si un prisonnier s’endormait, les soldats le frappaient violemment à la tête ou la poitrine pour le maintenir éveillé. Ils voulaient nous maintenir entre la vie et la mort. »
Après quelques jours, les hommes ont été placés dans un bus, cette fois avec une cinquantaine d’autres prisonniers. Alors que le bus les conduisait vers un centre de détention situé dans une autre localité, des soldats, armés cette fois de barres de fer, les ont battus.
« Si quelqu’un criait de douleur, ils le battaient encore plus fort », témoigne Miqdad.
Après deux semaines de détention, le jeune homme dit avoir été autorisé à prendre une douche. Mais même cela risquait de lui valoir un passage à tabac humiliant.
« La durée de la douche était limitée à quatre minutes. J’avais peur d’enlever mes sous-vêtements et de ne jamais les récupérer. Si vous étiez en retard d’une seconde sous la douche, les soldats vous attachaient à des barres métalliques et vous battaient pendant quatre heures. Les soldats et les commandants venaient vous frapper avec leurs armes, leurs barres métalliques et leurs bottes. »
La nuit, les détenus étaient contraints de dormir nus, sans aucune couverture, à même le sol de ce qui, selon Moaz Muhammad Khamis Miqdad, semblait être une caserne de l’armée. De la musique bruyante était diffusée à plein volume.
Lors d’un interrogatoire, Miqdad raconte qu’on lui a demandé pourquoi il était resté dans la ville de Gaza, au lieu de se rendre dans le sud, ce qu’Israël avait ordonné aux habitants de faire. Il a répondu qu’il n’avait pas l’argent nécessaire pour faire le voyage.
« Ils n’ont pas été satisfaits de ma réponse. Ils m’ont renvoyé dans la salle sombre de la prison, les yeux bandés. Il nous était interdit de faire le moindre mouvement ou geste. Si nous essayions d’ajuster le bandeau pour essuyer nos larmes et notre sang, les soldats devenaient fous, hurlaient sur nous et nous battaient sans retenue. »
Après avoir subi l’interrogatoire, le jeune homme raconte avoir été placé sur une chaise.
« Ils ont placé des dispositifs électriques sur tout mon corps et m’ont électrocuté avec de puissantes décharges remontant jusqu’à ma tête. »
Après plusieurs jours de sévices, Miqdad a appris qu’il allait être transféré. On lui a bandé les yeux et il a été embarqué dans un bus. Il raconte que de nombreux autres hommes qui se trouvaient dans le bus étaient malades et âgés.
Le bus a roulé pendant un moment, puis s’est arrêté.
« Ils nous ont tous fait descendre et ont menacé de tirer et de tuer quiconque s’éloignait de la ligne, ou regardait en arrière, ou essayait de s’entraider. »
« Un jeune homme était totalement paralysé à cause des conditions difficiles, alors je l’ai porté même si je peinais moi-même à me tenir sur mes jambes. Les soldats m’ont vu et ont commencé à crier et à tirer, mais je n’y ai pas prêté attention, j’ai continué à marcher et je ne me suis pas retourné. Sur le moment, il n’était pas lourd. »
« On croit mourir mille fois »
Omar Mahmoud Abdel Qader Samoud a également été contraint de se réfugier dans une école avec des membres de sa famille après la destruction de leur maison par une frappe aérienne le 14 novembre.
Plusieurs semaines plus tard, des soldats israéliens sont arrivés dans l’école et l’ont arrêté ainsi que sa femme et leurs enfants, y compris leur fils de deux ans.
« Ils nous ont menottés, bandé les yeux et nous ont emmenés sur une colline voisine », raconte-t-il.
« Les chars tournaient autour de nous, créant une scène macabre d’horreur et de peur. Dans ces moments-là, on croit mourir mille fois. »
Samoud explique qu’il est resté les yeux bandés et menotté pendant les 42 jours de sa détention et qu’il a à peine reçu de quoi survivre.
« Les soldats nous ont forcés à nous agenouiller pendant 24 heures. Ils faisaient irruption dans les casernes où nous étions retenus en otage, faisaient beaucoup de bruit avec leurs barres de fer, donnaient des coups de pied et cassaient tout.
« La température était glaciale, car [la cellule] était en fer, très similaire aux cages destinées aux animaux... L’objectif des soldats était de nous torturer, de nous briser [mentalement], de nous montrer qui était le chef, et que nos vies dépendaient d’eux. »
Les prisonniers qui levaient la tête risquaient d’être envoyés dans la « salle des fantômes », raconte Samoud.
« Vous devenez un fantôme, invisible et inaudible », explique-t-il. « Ils vous attachent les mains et les jambes, vous interdisent d’aller aux toilettes. Ils vous privent d’eau et de nourriture et vous laissent comme ça pendant quelques jours. »
Une autre pièce était surnommée « disko ».
« Un soldat m’a traîné sur le sol, nu et menotté, et m’a placé sur un bout de tapis », se souvient Samoud.
« Les soldats ont placé un ventilateur devant moi et m’aspergeaient d’eau glacée. Ils me laissaient pendant plusieurs jours sans nourriture, ni eau, ni la possibilité de me lever et d’aller aux toilettes. Je me suis uriné dessus et j’ai imploré leur pitié, mais ils s’en moquaient.
« Les soldats me rouaient de coups de pied sur tout le corps. Imaginez-vous nu, menotté à même le sol, avec cinq ou six soldats qui vous donnent des coups de botte, vous frappent avec des armes et des battes.
« Ils m’ont ordonné de m’asseoir. Comment pouvais-je m’asseoir ? Quand je ne pouvais pas suivre leurs ordres, ils me battaient encore plus fort. Ils m’ont complètement brisé. J’ai cru que ce cauchemar ne finirait jamais. »
Parfois, les soldats lâchaient des chiens sur les hommes retenus en captivité alors qu’ils étaient contraints de s’allonger face contre terre, maintenus menottés et les yeux bandés.
« Les soldats fermaient la porte et laissaient les chiens nous torturer pendant les deux ou trois heures suivantes », raconte Samoud. Il affirme avoir également été soumis à des électrocutions.
Lors des interrogatoires, les détenus étaient maintenus sur leur chaise par des pinces aux bras et aux jambes. Parfois, ces séances duraient de 9 heures du matin à minuit, et lors de l’une d’entre elles, Samoud confie s’être fait casser les orteils.
« Un des aspects de la technique de cette torture consistait à briser les pinces alors qu’elles étaient encore sur les jambes. [L’interrogateur] est venu les enlever mais a commencé à les frapper si violemment que j’ai crié de douleur. Mes orteils se brisaient, mais il continuait à les frapper. La douleur était insupportable.
« Ils m’ont laissé comme ça, les orteils cassés et ensanglantés pendant vingt jours, gisant comme un tapis. J’ai perdu plus de 25 kilos pendant ma captivité et je ne peux plus marcher à cause [des séquelles] de la torture. »
« Tous ont été brutalisés, torturés et humiliés »
Ali Nayef Muhammad al-Masry, 34 ans, faisait partie d’un groupe d’hommes capturés lors d’un raid nocturne des forces israéliennes dans la ville de Qalqilya, dans le nord de la Cisjordanie, en janvier.
Al-Masry, originaire de Gaza, et les autres hommes travaillaient auparavant en Israël, mais ont été déplacés à Qalqilya lorsque leurs permis de travail leur ont été retirés au début de la guerre.
À la suite d’un raid de l’armée dans le bâtiment où ils logeaient, les hommes se sont fait bander les yeux, menotter et traîner jusqu’à un endroit situé le long de la barrière qui sépare la Cisjordanie d’Israël.
« Ils nous ont gardés là pendant environ un mois. Nous étions des travailleurs, mais il y avait aussi des malades, des personnes atteintes du cancer, certaines d’entre elles étaient âgées. Tous ont été brutalisés, torturés et humiliés. Il n’y avait aucune considération pour la vie humaine », témoigne al-Masry.
Un jour, al-Masry se trouvait parmi dix hommes séparés du reste des détenus par des soldats. Les hommes ont été obligés de se déshabiller et de s’agenouiller près d’une clôture.
« Un commandant de l’armée est venu et a mené une guerre psychologique à notre égard. Il a crié à son unité : "Tuez-les tous, chacun d’entre eux". Puis les soldats ont commencé à tirer et nous avons entendu des balles réelles tout autour de nous. Je ne savais pas si j’étais mort ou vivant. »
Les hommes ont ensuite été emmenés dans une pièce pour être interrogés.
« La première question a été : "Qui connais-tu ?" Et il m’a montré des photos de mon quartier. Si mes réponses ne lui plaisaient pas, il me pendait par les bras, toujours menotté. Mon interrogatoire a duré dix jours. Pendant tout ce temps, je ne savais pas quand il faisait jour et quand il faisait nuit. J’étais frigorifié tout le temps. Nu, frigorifié et menotté. »
À d’autres moments, son interrogateur brûlait des cigarettes sur sa peau et lui donnait des coups de pied, raconte Ali Nayef Muhammad al-Masry. On l’obligeait à s’asseoir sur une chaise qui lui envoyait des décharges électriques et on l’empêchait de dormir.
« Les soldats et leur commandant étaient des monstres. Lorsque je demandais de l’eau, le soldat riait, allait dans un coin, urinait dans une bouteille en plastique et me l’apportait pour que je la boive. Quand je refusais, il versait le tout sur moi. »
Plusieurs semaines plus tard, al-Masry et les autres hommes ont été menottés et, les yeux bandés, ont été embarqués dans un camion de l’armée pour un trajet de six heures jusqu’à Karam Abou Salem.
« Avant de nous relâcher, ils nous ont à nouveau déshabillés et ont pris nos vêtements. Lorsqu’ils nous ont déposés, il y avait 55 détenus hommes et 6 détenues femmes. Ils nous ont fait marcher vers le nord et après que nous avons parcouru une longue distance, les soldats ont commencé à nous tirer dessus.
« Plus tard, nous avons appris que les six femmes avaient été enlevées à Gaza et qu’elles avaient été retenues en otage pendant trois mois. Nous ne savions rien d’elles. »