Plus de cinq mois après la mise en route d’un nouveau processus de paix à Annapolis (Maryland), le 27 novembre 2007, tout le monde attend des résultats qui tardent à venir. " Assez de pourparlers, désormais, il faut des décisions ", plaide Saëb Erakat, responsable des négociations auprès de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne.
Condoleezza Rice, secrétaire d’Etat américaine, avait demandé avec insistance, lors de son dernier voyage, fin mars, à Jérusalem, " des progrès tangibles " pour que l’espoir revienne dans le camp palestinien. Elle n’a réussi à grappiller que de maigres concessions, malgré quatorze séjours en quinze mois sur le terrain, pour tenter de redonner une impulsion au processus de paix. Elle devait retourner à Jérusalem dimanche 4 mai afin de jauger, à nouveau, l’évolution des pourparlers. Depuis Annapolis, M. Abbas a rencontré à sept reprises le premier ministre israélien, Ehoud Olmert. Rien de concret n’est sorti de ces face-à-face. Les deux dirigeants s’adressent toujours le reproche mutuel de ne pas faire les gestes nécessaires. M. Abbas a vu George Bush le 24 mars, à Washington. Il est sorti dépité de son entrevue. Le président américain estime que c’est aux Israéliens et aux Palestiniens de trouver un accord.
Or de profondes divergences demeurent sur les questions essentielles. M. Erakat accuse les Israéliens de " transformer la Cisjordanie en une grande prison comme la bande de Gaza ". Les Palestiniens sont de plus en plus amers. Selon un sondage publié à la fin du mois de mars par un institut de Ramallah, 80 % d’entre eux estiment que les négociations vont échouer et 68 % jugent " nulles ou très faibles " les chances de création d’un Etat palestinien d’ici cinq ans. Plus grave encore, 84 % ont approuvé l’attentat contre l’école talmudique à Jérusalem, qui a fait huit morts le 6 mars, et 64 % soutiennent le lancement de roquettes depuis la bande de Gaza en direction d’Israël.
C’est dire à quel point la population palestinienne est désabusée. " Il n’y a pas de stratégie nationale, pas de leadership actif, pas de véritable cadre pour les négociations, pas de garanties d’une participation internationale, pas d’arrêt des colonies, pas de résultats concrets jusqu’à présent, et Israël n’a cédé sur rien ", constate Hani Al-Masri dans le quotidien palestinien Al Iyam. Yasser Abed Rabbo, membre de l’équipe de négociations, a même estimé que " les pourparlers sont devenus inutiles tant qu’il n’est pas mis un terme à l’expansion des colonies ".
Pourtant, les discussions vont continuer jusqu’à épuisement car, comme le dit M. Erakat : " Nous n’avons pas d’autre choix. " L’Autorité palestinienne veut prouver qu’elle n’a gâché aucune chance de parvenir à un accord d’ici à la fin de l’année, afin de démontrer son sérieux et sa bonne foi et pouvoir dire au monde entier que, en cas d’échec, le maximum a été fait. Salam Fayyad, le premier ministre palestinien, qui tente d’insuffler une dynamique de reconstruction, commence à désespérer en dépit des 7,7 milliards de dollars promis lors de la conférence de Paris, en décembre 2007, et des 500 millions déjà alloués qui permettent de payer les fonctionnaires et de faire tourner l’administration. Les résistances israéliennes auxquelles il se heurte pour relever l’économie palestinienne et l’énorme inertie de l’appareil du Fatah qu’il doit affronter chaque jour ne sont guère encourageantes.
Du côté d’Israël, les deux principaux écueils sont la poursuite, voire l’accélération, de la colonisation et le non-démantèlement des implantations sauvages, ainsi que l’extrême réticence des autorités, en particulier des militaires, à lever les barrages afin de faciliter la vie quotidienne des Palestiniens. Ehoud Barak, ministre de la défense, juge nécessaire le maintien des check-points pour empêcher les actes de terrorisme. Le chef du Shin Bet (sécurité intérieure), Yuval Diskin, a fait remarquer que tant que la " barrière de sécurité " qui, sur 725 kilomètres, doit totalement clôturer la Cisjordanie ne sera pas terminée, il sera impossible de lever la quasi-totalité des quelque 550 barrages existants. La barrière, qui n’existe que sur 63 % du tracé actuel, ne sera pas achevée, au plus tôt, avant 2010. D’ici là, le processus de paix aura largement le temps de péricliter, et les Palestiniens de désespérer davantage. " La population est en colère contre nous. Elle est de plus en plus sceptique et pessimiste ", constate M. Erakat.
L’existence même de l’Autorité palestinienne s’en trouve menacée. M. Erakat met ainsi en garde contre " l’impact que cette disparition aura dans toute la région ". L’échec du processus de paix ou sa perpétuation en différentes et interminables étapes contribueront sans aucun doute à la désagrégation de l’Autorité palestinienne issue des accords d’Oslo en 1993 ou, à tout le moins, à sa totale perte de crédibilité auprès de l’opinion publique palestinienne. M. Abbas pâtit en effet de plus en plus de ce surplace. M. Olmert parle de la signature, pour la fin de l’année, d’un document commun qui ouvrirait la voie encore lointaine à la création d’un Etat palestinien. Cet accord devrait ensuite, côté palestinien, être soumis à un référendum. Or le mandat de M. Abbas s’achève en janvier 2009 et la durée de vie du gouvernement Olmert est de plus en plus limitée.
Afin de parvenir à la création d’un Etat palestinien, que tout le monde appelle de ses voeux, le temps presse. Cette perspective apparaissant de plus en plus aléatoire, de nombreuses voix s’élèvent, côté palestinien, pour la création d’un Etat binational qui, avec la désagrégation de l’Autorité et les difficultés à faire naître la Palestine, resterait la seule possibilité. " Depuis quinze ans, Israël s’est moqué de l’Autorité palestinienne. D’après les accords d’Oslo, cette Autorité devait être une mesure transitionnelle et provisoire. Depuis le début, l’Autorité a non seulement été abusée dans des négociations stériles, mais elle a été obligée de prendre en charge les habitants des territoires occupés ", souligne Ali Jarbawi, professeur à l’université Bir Zeit de Ramallah.
L’Etat juif est donc face à un double défi. Le premier est de devoir assumer, en cas de disparition de l’Autorité palestinienne, la gestion des territoires qu’il occupe depuis quarante et un ans et qui ne survivent que grâce à l’aide internationale. Le second, au cas où l’Etat palestinien ne serait pas créé, est de voir monter les revendications pour un Etat binational. Ce qui signifie un risque croissant de mesures ségrégatives pour préserver le caractère juif de l’Etat d’Israël. M. Olmert l’a compris, mais rien n’indique qu’il soit en mesure de relever ce double défi.