Date : 28 mars 2022
Déposé par :
Association France Palestine Solidarité (AFPS)
Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS)
Palestinian Human Rights Council :
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- Addameer Prisoner Support and Human Rights Association
- Al Haq Organization - Law in the Service of Mankind
- Al Mezan Center for Human Rights
- Aldameer Association for Human Rights
- Defense for Children International – Palestine
- Hurryyat - Center for Defense of Liberties and Civil Rights
- Jerusalem Legal Aid and Human Rights Center
- Muwatin Institute for Democracy and Human Rights - Observer Member
- Palestinian Centre for Human Rights
- Ramallah Center for Human Rights Studies
- The Independent Commission for Human Rights - Observer Member
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La Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
A l’attention de :
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, M. S. Michael Lynk ;
Groupe de travail sur la détention arbitraire, Mme Leigh Toomey (Présidente-Rapporteuse) ;
La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Mme Mary Lawlor ;
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Mme Irene Khan ;
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, Mme E. Tendayi Achiume ;
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats, M. Diego García-Sayán ;
L’expert indépendant des Nations Unies sur les droits de l’homme et la solidarité internationale, M. Obiora C. Okafor ; et
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la vie privée, Mme Ana Brian Nougrères.
Introduction et résumé de l’affaire :
Le 7 mars 2022, entre 4h00 et 5h00 du matin, environ 25 membres des forces d’occupation israéliennes, dont les forces de l’unité spéciale Al-Musta’ribeen, ont forcé la porte de l’appartement de Salah Hammouri à Kufor Aqab au nord de Jérusalem, sont entrés dans sa chambre et l’ont tiré de son lit alors qu’il dormait encore. Les forces d’occupation israéliennes ont saccagé les lieux et confisqué trois téléphones portables et un ordinateur portable appartenant à Salah. Au cours de son arrestation, Salah a été blessé au poignet alors qu’il était entravé par une attache en plastique. Il a été agressivement escorté vers l’extérieur et contraint de s’agenouiller sur le sol face à un mur jusqu’à ce qu’il soit transféré dans une Jeep militaire. Salah a d’abord été emmené à la base militaire d’Ofer à Beitounia, Ramallah, où il a été détenu jusqu’au soir, puis transféré au centre d’interrogatoire d’Al-Mascobbiya à Jérusalem. Le 13 mars 2022, Salah a de nouveau été transféré à la section de détention de la prison d’Ofer, où il est actuellement détenu au moment de la soumission de cet appel urgent.
Le 9 mars 2022, Salah Hammouri a comparu devant le tribunal militaire d’Ofer par vidéoconférence, où le juge militaire a décidé de prolonger sa détention de 48 heures supplémentaires pour émettre un ordre de détention administrative. Le lendemain, le 10 mars 2022, le commandant militaire israélien a émis un ordre de détention administrative de trois mois contre Salah [1], sans accusation ni procès, sur la base d’"informations secrètes". Notons que 500 détenus administratifs palestiniens entreprennent actuellement un boycott collectif des tribunaux militaires israéliens pour protester contre la pratique illégale, systématique et arbitraire de la détention administrative par l’occupation israélienne [2]. Salah se joint au boycott, refusant de participer aux procédures du tribunal militaire relatives à sa détention administrative et demandant à son avocat de faire de même.
Salah Hammouri, 36 ans, est un Palestinien-Français de Jérusalem, un défenseur des droits de l’homme (DDH) de longue date, un avocat de l’association Addameer Prisoner Support and Human Rights, et un ancien prisonnier politique. Salah Hammouri fait l’objet de persécutions israéliennes depuis l’âge de 15 ans, lorsqu’il a été blessé par balle en 2000. Il a été arrêté pour la première fois à l’âge de 16 ans et fait depuis l’objet d’un harcèlement judiciaire et administratif continu de la part des autorités d’occupation israéliennes, notamment six périodes d’emprisonnement et d’arrestations arbitraires, plusieurs interdictions de voyager, des cautions et des amendes exorbitantes, des assignations à résidence, la séparation avec sa famille, la surveillance et l’attaque par des logiciels espions, et plus récemment, la révocation illégale de sa résidence permanente à Jérusalem et son expulsion forcée de Jérusalem le 18 octobre 2021 [3], en plus de son actuelle détention administrative arbitraire soumise à des renouvellements indéfinis.
Détention administrative en pleine révocation du statut de résident :
L’arrestation et la détention arbitraires de Salah Hammouri sont d’autant plus urgentes et exceptionnelles que le ministre israélien de l’Intérieur a pris la décision illégale, le 18 octobre 2021, de révoquer son statut de résident permanent à Jérusalem en raison d’une "violation de l’allégeance à l’État d’Israël" [4]. Le déclenchement de la révocation de sa résidence en vertu de l’amendement n° 30 à la loi sur l’entrée en Israël de 1952 entraîne de profondes violations du droit international et lui fait courir un risque imminent d’expulsion forcée [5]. Il s’agit d’une violation directe de l’article 45 du Règlement de La Haye et de l’article 68(3) de la Convention de Genève (GCIV), le transfert forcé qui en résulte violant l’article 49 de la GCIV, ce qui équivaut à une violation grave des Conventions de Genève, au crime de guerre de transfert forcé de population, aux crimes contre l’humanité de déplacement [6] et d’apartheid [7]. Elle entraîne en outre le déni de droits humains fondamentaux, notamment des droits à la vie familiale, à la santé, à l’éducation, au travail et de nombreux autres droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels.
En outre, les circonstances des procédures de révocation de résidence en cours et la détention arbitraire de Salah Hammouri créent un phénomène semblable à un trou noir juridique dans lequel le régime juridique israélien plus large régissant son statut de Jérusalémite est suspendu. La procédure israélienne de détention administrative, dans laquelle une personne est détenue sans inculpation ni procès, est basée sur le Règlement (d’urgence) de défense du Mandat britannique (1945), réapproprié et intégré par la suite par l’occupation israélienne sous trois lois distinctes : (1) l’article 285 de l’ordre militaire 1651, qui fait partie de la législation militaire applicable en Cisjordanie ; (2) la loi sur l’internement des combattants illégaux (Unlawful Combatants Law), qui est utilisée contre les résidents de la bande de Gaza depuis 2005 ; (3) la loi sur les pouvoirs d’urgence (détentions), qui s’applique aux individus possédant la citoyenneté israélienne [8]. Alors que le commandant militaire israélien ordonne la détention administrative dans le Territoire palestinien occupé, la détention administrative des habitants de Jérusalem et des Palestiniens de nationalité israélienne est autorisée par le ministre israélien de la Défense [9].
Dans le cas de Salah Hammouri, un Jérusalémite natif, les FOI l’a arrêté arbitrairement, le transférant d’abord dans une base militaire pour effectuer l’examen physique requis avant de le transférer dans la base militaire d’Ofer pour un interrogatoire. Néanmoins, après l’interrogatoire, Salah est resté dans une Jeep militaire devant la prison militaire d’Ofer pendant six heures, car l’administration de la prison d’Ofer a refusé de le prendre car son statut légal n’était pas celui d’un Palestinien des TPO. Au lieu de cela, il a été transféré plus tard au centre de détention d’Al-Mascobiya à Jérusalem. Il est important de noter que le vide juridique créé par les procédures de révocation en cours et la détention arbitraire de Salah Hammouri est exploité par les autorités d’occupation israéliennes pour établir de force la révocation de sa résidence comme un fait accompli, indépendamment des procédures judiciaires civiles en cours. Le cas de Salah constitue un dangereux précédent pour l’escalade de l’occupation israélienne en matière de révocation de résidence et de détention administrative arbitraire.
Procédures juridiques en cours pour contester la révocation de la résidence de Salah Hammouri
Toujours, et au moment de sa dernière arrestation, Salah continue de mener une bataille juridique pour contester sa révocation de résidence illégale. Le 18 octobre 2021, le ministère israélien de l’Intérieur a officiellement notifié à Salah Hammouri la révocation de son statut de résident permanent à Jérusalem, suite à la notification de l’intention du ministère de révoquer sa résidence permanente le 3 septembre 2020 [10]. Depuis la révocation, l’avocat de Salah Hammouri a soumis un appel contre la révocation de la résidence, ainsi qu’une requête pour suspendre les procédures associées à la révocation de la résidence - principalement la liberté de mouvement au-delà du quartier de Kufur Aqab, l’interdiction de voyager, et l’arrêt des prestations de sécurité sociale et d’assurance maladie de la résidence.
Néanmoins, le 14 décembre 2021, Salah Hammouri a reçu une lettre de l’Agence nationale de sécurité sociale israélienne lui notifiant la résiliation de son assurance nationale et de son assurance maladie en raison de son "départ du pays" et de l’absence de "preuve de résidence" [11]. Le 26 décembre 2021, la Haute Cour israélienne a rendu une décision rejetant l’appel visant à suspendre les procédures relatives à la révocation de la résidence permanente, citant des "informations secrètes" fournies par le ministère israélien de l’Intérieur déterminant que Salah Hammouri continue de représenter une "menace pour la sécurité."
Par la suite, le 3 janvier 2022, le tribunal de district de Jérusalem a décidé de rejeter l’appel de l’avocat de la défense concernant la révocation de la résidence permanente jusqu’à ce que la Haute Cour israélienne prenne une décision finale sur la question. Le 3 février 2022, l’avocat de la défense a soumis deux requêtes au ministère israélien de l’Intérieur et au procureur général en réponse à la Haute Cour israélienne, demandant une suspension de la mise en œuvre des procédures de révocation de la résidence jusqu’à une décision finale de la Haute Cour israélienne [12]. Plus récemment, le 24 février 2022, le procureur général israélien, en réponse à la Haute Cour, a également recommandé de rejeter l’appel, citant les "informations secrètes" fournies par le ministère de l’Intérieur israélien [13].
Le 10 mars 2022, la Haute Cour israélienne a adopté la recommandation faite par le procureur général israélien et a rejeté l’appel. L’avocat de Salah Hammouri a été informé de la communication par le procureur général israélien à la Haute Cour israélienne de leur intention d’émettre un ordre de détention administrative contre Salah dans le but de renforcer l’affirmation du procureur concernant la prétendue menace nationale qu’il représente par le biais d’un "dossier secret."
Persécution et harcèlement continus
Dans le cadre des procédures judiciaires et des actions de plaidoyer contre les violations flagrantes du régime d’occupation israélien assimilables à des crimes de guerre et au crime d’apartheid, le cas de Salah a été de plus en plus mis en lumière dans les forums internationaux par les rapporteurs spéciaux des Nations unies [14], les ONG [15] et les organisations de défense des droits de l’Homme [16]. Pour cela, les autorités d’occupation israéliennes ont systématiquement harcelé et pris pour cible Salah, un défenseur palestinien des droits humains qui s’exprime avec force, afin de réprimer son droit à la libre expression et de délégitimer et discréditer son travail de défenseur des droits humains.
La récente criminalisation arbitraire et générale par le régime d’occupation israélien de six grandes organisations de la société civile palestinienne, dont Addameer, en octobre 2021, s’est également appuyée sur le refus d’une procédure régulière et l’utilisation de prétendues "preuves secrètes". Cette décision draconienne a été largement dénoncée par les organisations internationales de défense des droits humains et les organes de l’ONU comme une "attaque frontale contre le mouvement palestinien de défense des droits humains", constituant une persécution politique dépourvue de toute base légale. Néanmoins, les autorités d’occupation israéliennes continuent de s’appuyer sur des défenseurs palestiniens des droits humains individuels pour intensifier les campagnes de harcèlement systématique contre la société civile palestinienne et persistent dans leurs tentatives de criminaliser davantage les six ONG palestiniennes ciblées.
Le 8 novembre 2021, une enquête de Front Line Defenders menée en collaboration avec Citizen Lab et le Security Lab d’Amnesty International a révélé que Salah Hammouri avait été l’un des six défenseurs des droits humains palestiniens piratés par le célèbre logiciel espion Pegasus du groupe israélien NSO. À la lumière de la découverte du logiciel espion Pegasus sur les appareils de six défenseurs des droits de l’homme palestiniens, plusieurs ONG, dont la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), ont exhorté l’Union européenne à placer NSO sur son régime de sanctions mondiales en matière de droits de l’homme ; entre autres, la FIDH et Salah Hammouri ont prévu de déposer une plainte conjointe en France contre le groupe NSO, au vu des violations dont il a été victime en tant que ressortissant français.
Le cas de Salah Hammouri témoigne de la pratique généralisée et systématique du transfert illégal de population et de la manipulation démographique par le régime d’occupation et d’apartheid israélien, qui se manifeste par des lois, des politiques et des pratiques, afin de maintenir son régime institutionnalisé de domination et d’oppression raciales sur le peuple palestinien. Son cas a été mis en évidence dans le rapport historique d’Amnesty International démontrant les crimes d’apartheid d’Israël, en particulier la pratique illégale du transfert forcé de population, les déportations et l’ingénierie démographique [17].
De même, le 3 mars 2022, lors de l’examen du cinquième rapport périodique d’Israël sur sa mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Comité des droits de l’homme des Nations unies a pris note du cas de Salah en soulignant la politique arbitraire alarmante d’Israël en matière de révocation de la résidence fondée sur la "violation de l’allégeance" afin de contrôler la composition démographique de Jérusalem [18]].
Recommandations :
En conséquence, il est impératif de traiter immédiatement et de toute urgence l’arrestation arbitraire et la révocation punitive continue de la résidence de Salah Hammouri, car elle représente une étape vers son application plus large contre les défenseurs des droits humains, la dissidence pacifique, et les Palestiniens de Jérusalem plus généralement pour atteindre des objectifs démographiques. A la lumière de ce qui précède, nos organisations soumettent cet appel urgent pour l’intervention immédiate des mandats de la procédure spéciale de l’ONU et les exhortent à :
i. Exiger d’Israël, en tant que puissance occupante, qu’il revienne sur sa décision de révoquer le statut de résident permanent de Salah Hammouri à Jérusalem ; réitérer l’illégalité de la révocation de la résidence basée sur la " rupture d’allégeance " conduisant au transfert forcé de civils palestiniens, qui est un crime de guerre et un crime contre l’humanité selon le Statut de Rome de la CPI ;
ii. Appeler Israël à libérer immédiatement et sans condition Salah Hammouri de sa détention administrative, et en outre, mettre fin à sa persécution prolongée et à toutes les politiques et mesures d’intimidation et de harcèlement à son encontre ;
iii. Appeler Israël à abroger immédiatement sa loi sur l’entrée en Israël (1952), qui a été utilisée pour promouvoir la politique israélienne de transfert de population et atteindre des objectifs démographiques à Jérusalem en violation des droits fondamentaux des Palestiniens, y compris leur droit à la liberté de mouvement et de résidence, et le droit de quitter leur pays et d’y retourner ;
iv. Exhorter Israël à cesser immédiatement toute pratique et toute politique visant à intimider et à réduire au silence les défenseurs des droits de l’homme, en violation de leur droit à la liberté d’expression, y compris par la détention arbitraire, la torture et autres mauvais traitements, les discours de haine et d’incitation institutionnalisés, la révocation de la résidence, les déportations et autres mesures coercitives ou punitives ;
v. Exiger l’ouverture immédiate d’une enquête sur l’infiltration illégale des téléphones des défenseurs des droits de l’homme et de toutes les autres victimes qui ont été en communication avec le défenseur des droits de l’homme visé ;
vi. Exiger un moratoire immédiat sur la vente, le transfert et l’utilisation de toutes les formes de technologie de surveillance, en particulier le logiciel espion Pegasus du Groupe NSO, jusqu’à ce qu’une enquête indépendante complète sur son fonctionnement en Palestine soit menée par l’ONU afin d’identifier l’étendue de ses activités de surveillance menées contre les défenseurs des droits de l’homme palestiniens, et leurs liens avec le gouvernement israélien ; et
vii. Appeler à la justice internationale et à la responsabilité, notamment devant la Cour pénale internationale, pour les violations généralisées et systématiques des droits de l’homme et les crimes internationaux présumés d’Israël, notamment le crime de transfert de population et le crime d’apartheid, qui constitue un crime contre l’humanité.
>> Télécharger l’Appel urgent aux procédures spéciales des Nations Unies / Salah Hamouri (pdf)