Illustration : proposition de résolution condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien.
Un exposé des motifs pourtant clair
Cet exposé recense les principaux textes fondateurs (notamment la Charte des Nations unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948) ainsi que les instruments plus récents qui définissent le crime d’apartheid :
– convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965), dont Israël est partie depuis 1979 ;
– convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (AG de l’ONU de 1973) qui fournit la définition la plus détaillée du crime d’apartheid ;
– statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998 qui classe l’apartheid dans les crimes contre l’humanité, ce qui importe l’instruction et les poursuites pénales potentielles sous la juridiction de la CPI.
Il est à noter que, selon le Droit international, l’interdiction d’apartheid s’applique à tous les États, sans exception. Trois critères permettent de qualifier un régime d’apartheid :
– un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématique d’un groupe racial par un autre ;
– une intention de maintenir ce régime ;
– un ou plusieurs actes inhumains énumérés par la Convention sur les crimes d’apartheid, tels que le transfert forcé de populations les tortures et meurtres, commis dans le cadre de ce régime institutionnalisé.
Une analyse rigoureuse de la politique israélienne d’apartheid…
… qui s’appuie sur des déclarations et des documents indiscutables :
– les centaines de résolutions du Conseil de sécurité et de l’AG de l’ONU condamnant la politique de colonisation israélienne ;
– les résolutions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ;
– les rapports détaillés d’ONG israéliennes (B’Tselem…) palestiniennes (Al-Haq…) et internationales (Human Rights Watch, Amnesty International).
Ces différents documents démontrent que les critères ci-dessus permettent de qualifier d’apartheid le régime israélien.
Rappelons quelques points de cette politique d’apartheid de l’État israélien :
– avant même la création de l’État israélien, les autorités du Yishouv [3] ont amorcé l’expulsion des Palestiniens, politique prolongée par le gouvernement de Ben Gourion ;
– entre 1947 et 1949, près de 800 000 Palestiniens ont été expulsés et Israël leur a refusé le droit au retour ; la population palestinienne est perçue comme une menace démographique qu’il faut contrôler et dont il faut réduire l’accès à la terre aussi bien en Israël (la population palestinienne n’a aujourd’hui plus que 3 % des terres) que dans les territoires occupés, en particulier à Jérusalem-Est qui subit une judaïsation forcée.
– la colonisation de pans entiers de la Cisjordanie, parfois par des colonies illégales selon la législation israélienne… mais tolérées.
– la discrimination légale : Israël a multiplié les lois discriminatoires : loi sur les biens des absents, sur la nationalité, sur la planification, sur la colonisation et, pour parachever cet édifice législatif, la loi fondamentale sur l’État-nation de 2018 qui réserve le droit à l’autodétermination aux seuls Israéliens juifs.
– les actes inhumains se sont aggravés en permanence : arrestations arbitraires, mauvais traitements et tortures, détentions administratives (le cas de Salah Hammouri est exemplaire), la situation de la Bande de Gaza (sous un triple blocus depuis 2007) est le summum de cette politique.
– et l’on pourrait multiplier les exemples…
Pour la reconnaissance de l’État de Palestine et la légalisation de l’appel au boycott des produits israéliens
Les deux derniers points de la « proposition Lecoq » ne concernent pas l’apartheid, mais des questions qui font débat :
– la reconnaissance de l’État de Palestine par la France, conformément aux résolutions de l’AN du 2-12-2014 (339 voix pour, 151 contre) et du Sénat du 11-12-2014 (153 voix pour, 146 contre). Mais le Président de la République de l’époque (F. Hollande) n’en a pas tenu compte, pas plus que l’actuel… Aujourd’hui 139 des 197 pays membres de l’ONU reconnaissent l’État de Palestine et plusieurs pays européens semblent disposés à le faire si la France s’engageait [4]
– la reconnaissance de la légalité de l’appel au boycott des produits israéliens. Dans un arrêt du 11-06-2020, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour avoir sanctionné l’appel au boycott de produits israéliens. Les autorités françaises auraient donc dû abroger les circulaires Alliot-Marie de 2010 et Mercier de 2012. Cela n’a pas été fait. Au contraire, en 2020, Dupont-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice a adressé une dépêche aux procureurs consacrée « à la répression des appels discriminatoires des produits israéliens », en contradiction avec l’arrêt de la CDEH.
La « proposition Lecoq » se termine par une proposition de Résolution en 8 points qui devrait être soumise à l’AN (soutien à la solution à deux États, condamnation du régime israélien d’apartheid, embargo sur les ventes d’armes, sanctions ciblées, rappel de la primauté de la CEDH sur la législation nationale…).
Tempête dans le landerneau politique parisien
Les réactions à la « proposition Lecoq » furent multiples et parfois violentes. Elles proviennent d’abord des thuriféraires associatifs habituels de l’État d’Israël (le CRIF, la LICRA…) et d’hommes politiques de droite et d’extrême-droite (M. Habib, S. Maillard, X. Bertrand, L. Alliot…), mais aussi d’une partie de la gauche, en particulier de J. Guedj (PS) qui dénonça la qualification d’Israël comme un État d’apartheid et s’opposa au projet de « légaliser le boycott », tout en rappelant qu’il était « pour la légalisation de l’État de Palestine » (Le Monde, 23-07-2022) ; c’est aussi le cas d’un dirigeant du PCF, C. Piquet, qui a fermement attaqué la « proposition Lecoq ». Il faut aussi rappeler que, suite au début de cette polémique, deux députées socialistes (C. Pires-Beaune et C. Rouaux) retirèrent leur signature ainsi que deux personnalités de LFI, M. Panot et A. Quatennens.
Les critiques portaient principalement sur deux points : la qualification d’Israël d’État d’apartheid et l’utilisation de l’expression « groupe racial ».
– en ce qui concerne le premier point, en raison des multiples rapports, études… il est devenu difficile de nier la réalité de l’apartheid en Israël, c’est pourquoi les sionistes et les pro sionistes se réfugient derrière des arguties : « importation du conflit », risque d’« instrumentalisation du débat » (J. Guedj, L’Humanité, 8-09-2022), et surtout « Israël n’est pas l’Afrique du Sud », mais ni les travaux précités, ni la « proposition Lecoq » ne l’affirment : le concept d’apartheid, certes né de la situation sud-africaine, est « une notion de droit international permettant de qualifier un certain type de crimes » (J. Salingue, L’Anticapitaliste, 5-08-2022).
– l’expression « groupe racial » peut être troublante. Comme le rappelle D. Vidal dans L’Humanité du 1er août 2022 : elle « ne me convient pas pour désigner les juifs en général et les Israéliens en particulier ». Et l’on peut s’étonner qu’elle soit utilisée 6 fois dans la « proposition Lecoq », cependant elle provient d’un texte officiel de l’AG de l’ONU (1973) repris dans le Statut de Rome de la CPI (1998).
En fait, ces critiques, qu’elles soient formulées de manière virulente ou plus policée, visent d’abord à masquer le refus d’analyser la nature du régime israélien qui, chaque jour, est de plus en plus clairement un régime d’apartheid, que ce soit à l’intérieur de la Ligne Verte [5] ou dans les territoires occupés.
Pour conclure
La proposition de résolution de J.P. Lecoq est une première à l’AN ; bien documentée et argumentée, elle est un point d’appui important pour le soutien au peuple palestinien. Elle fait en permanence référence au droit international (ce qui explique sans doute qu’elle réaffirme « la solution à deux États », qui est liée à la résolution 181 du 29-11-1947. Envisagée par J.P. Lecoq dès mai dernier, cette proposition aurait pu/dû être négociée plus largement dans le cadre de la NUPES. Elle est maintenant sur le bureau de l’AN et devrait être présentée prochainement dans une niche parlementaire (J.P. Lecoq, Orient XXI, 9-09-2022).
Par la suite, elle sera transmise à des groupes parlementaires proches dans d’autre pays européens. Comme J.P. Lecoq, continuons à dire les choses. Le soutien – le plus large possible – au peuple palestinien lui permettra d’avancer vers la victoire.