Caricature : Les colonies volent l’eau des Palestiniens - Caricature [Sarwar Ahmed/MiddleEastMonitor]
Dans les villages poussiéreux de Cisjordanie occupée, jusqu’où les canalisations d’eau israéliennes ne viennent pas, les palmiers dattiers ont été laissés à l’abandon. Les serres sont vides et désertes. Les Palestiniens disent qu’ils ont à peine assez d’eau pour baigner leurs enfants et laver leurs vêtements, encore moins pour l’élevage et la culture des arbres fruitiers.
En revanche, les colonies juives voisines ressemblent à des oasis. Des fleurs sauvages poussent sur le sol. Des poissons d’élevage nagent dans des étangs bien alignés. Les enfants s’ébattent dans des piscines communautaires.
La lutte pour l’accès à l’eau dans cette bande de terre fertile reflète un conflit plus large pour le contrôle de la Cisjordanie - et en particulier de la vallée du Jourdain, que les Palestiniens considèrent comme le grenier de leur futur État espéré et que les Israéliens considèrent comme la clé de la protection de leur frontière orientale.
"Les gens ont soif, les récoltes ont soif" déclare Hazeh Daraghmeh, un Palestinien de 63 ans qui cultive des dattes dans la région de Jiftlik, dans la vallée, où certains de ses palmiers se sont desséchés dans une terre sèche comme de l’os. "Ils essaient de nous écraser petit à petit" explique M. Daraghmeh.
Dans toute la Cisjordanie, les problèmes d’eau ont frappé les villes palestiniennes depuis que les accords de paix provisoires des années 1990 ont donné à Israël le contrôle de 80 % des réserves d’eau de la Cisjordanie - et de la plupart des autres aspects de la vie des Palestiniens.
Les accords ont également créé un gouvernement palestinien à autonomie limitée qui approvisionnerait en eau ses villes en expansion en puisant dans les réservoirs, qui s’épuisent rapidement, qu’il partage avec Israël et en achetant de l’eau à la société d’État israélienne. Cet accord a laissé les Palestiniens, qui vivent dans les 60 % restants de la Cisjordanie sous contrôle civil israélien total, bloqués, déconnectés des réseaux d’eau israéliens et palestiniens. C’est le cas d’une grande partie de la vallée du Jourdain.
Prévus pour durer cinq ans, les accords intérimaires sont toujours en vigueur aujourd’hui.
"La quantité d’eau fournie par Israël n’est pas adaptée aux besoins des Palestiniens et, dans de nombreux cas, n’a pas changé depuis les années 1970" a déclaré Eyal Hareuveni, auteur d’un récent rapport sur la crise de l’eau publié par le groupe israélien de défense des droits humains, B’Tselem. "Les infrastructures sont conçues pour profiter aux colonies."
Les 500 000 colons juifs qui vivent en Cisjordanie sont reliés au réseau de distribution d’eau israélien par un maillage sophistiqué qui fournit de l’eau en continu, mais les villes palestiniennes ne le sont pas. Ainsi, durant l’été brûlant, les Palestiniens n’ont accès à l’eau municipale que de manière sporadique.
Avec l’intensification des sécheresses dans la région, la hausse des températures et le renforcement du pouvoir militaire du gouvernement israélien d’extrême droite sur le territoire, les Palestiniens affirment que leurs problèmes d’eau se sont aggravés.
"C’est l’été le plus difficile que nous ayons connu en neuf ans" a déclaré le ministre palestinien de l’eau, Mazen Ghunaim.
M. Ghunaim a accusé la compagnie nationale des eaux israélienne d’avoir réduit de 25 % l’approvisionnement en eau des villes palestiniennes de Bethléem et d’Hébron au cours des neuf dernières semaines. Les Palestiniens d’Hébron disent que leurs robinets ont été à sec cet été pendant un mois.
Osama Abu Sharkh, un charpentier de 60 ans de la vieille ville d’Hébron, a planifié chaque journée de cet été en fonction du débit d’eau. Lorsque son robinet se met enfin à couler - même si ce n’est qu’un filet d’eau - sa famille est prise d’une frénésie de corvées : cuisiner, nettoyer et, surtout, remplir les réservoirs d’eau. Ces réservoirs qui contiennent l’eau coûteuse acheminée par camion pendant les longues périodes où les robinets sont à sec.
M. Ghunaim affirme que les récentes coupures d’eau sont un "problème politique" lié au gouvernement ultranationaliste du Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui a adopté une ligne particulièrement dure à l’égard des Palestiniens. "Si nous étions des colons, ils résoudraient ce problème instantanément" a-t-il déclaré.
L’autorité israélienne chargée de la distribution de l’eau a qualifié de problème technique les récentes perturbations subies par les villes palestiniennes et a référé au COGAT, l’agence israélienne qui assure la liaison avec les Palestiniens pour les affaires civiles, pour de plus amples informations.
Le COGAT a nié toute réduction du débit d’eau et a insisté sur le fait que "l’approvisionnement se poursuit conformément aux accords".
Mais l’offre globale diminue à mesure que la demande des sociétés israélienne et palestinienne dépasse la reconstitution naturelle. Dans la majeure partie de la Cisjordanie, où Israël exerce un contrôle civil et sécuritaire total, les Palestiniens ne peuvent ni creuser de nouveaux puits, ni approfondir les puits existants, sans des permis difficiles à obtenir. Depuis 2021, les autorités israéliennes ont démoli près de 160 réservoirs, réseaux d’égouts et puits palestiniens non autorisés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, selon l’agence humanitaire des Nations unies, OCHA.
Le rythme des démolitions s’accélère : au cours du premier semestre 2023, les autorités ont démoli presque le même nombre d’installations d’eau palestiniennes que pendant toute l’année dernière.
Défendant les démolitions, le COGAT a déclaré que "l’allocation d’eau pour l’agriculture est effectuée conformément à la loi".
Dans les communautés d’éleveurs du nord de la vallée du Jourdain, les Palestiniens ne consomment que 26 litres d’eau par jour. Ce chiffre est tellement inférieur à la norme minimale de 50 à 100 litres fixée par l’Organisation mondiale de la santé que la région est considérée comme une zone sinistrée, selon B’Tselem.
En revanche, les colons israéliens de la vallée du Jourdain consomment en moyenne 400 à 700 litres par habitant et par jour, selon cette même organisation de défense des droits humains.
Pourtant, contrairement à la Jordanie voisine et à d’autres États assoiffés du Moyen-Orient, Israël dispose de beaucoup d’eau. Grâce à des réseaux de dessalinisation et de recyclage des eaux usées parmi les meilleurs au monde, le pays ne dépend plus des réserves souterraines comme il l’a fait après s’être emparé de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza lors de la guerre des Six Jours en 1967.
"La principale motivation des actions israéliennes n’est plus tant l’eau que la politique" a déclaré Jan Selby, expert politique des questions liées à l’eau de l’université de Sheffield.
Le réseau d’eau israélien est utilisé non seulement pour alimenter les colonies - que la plupart de la communauté internationale considère comme illégales - mais aussi pour irriguer les abondants vignobles et oliveraies des avant-postes juifs, qui sont construits sans autorisation officielle.
En permettant aux avant-postes juifs de cultiver des terres contestées et d’exporter des vins fins et des dattes douces, Israël étend son autorité sur la Cisjordanie, a déclaré Dror Etkes, chercheur spécialisé dans la lutte contre les colonies.
"La culture agricole est un moyen bien plus efficace de s’emparer de la terre que la construction" a-t-il déclaré.
Pour Ibrahim Sawafta, membre du conseil local du village palestinien de Bardala, dans le nord de la vallée du Jourdain, l’attribution de l’eau par Israël est devenue un jeu à somme nulle : la pénurie d’eau pour les Palestiniens résulte de la prospérité des colonies israéliennes.
Au fil des ans, il a vu son village se rétrécir à mesure que les rares sources d’eau disponibles se tarissaient, rendant les dattes insipides et forçant les agriculteurs à abandonner leurs plantations d’agrumes et de bananes.
Plus d’une douzaine de familles d’agriculteurs ont récemment quitté Bardala pour une ville du nord où l’eau est plus abondante, et d’autres ont troqué leurs champs pour des emplois mieux rémunérés dans les fermes florissantes des colonies israéliennes.
"Ils ne veulent pas que nous soyons des agriculteurs" a déclaré M. Sawafta à propos des autorités israéliennes. "Ils ne veulent pas que nous soyons autosuffisants."
Traduction : AFPS