Comment s’est construite l’identité politique de la jeunesse palestinienne ?
Firas Khoury : Elle s’est construite au fil du temps, tout est une question de temps depuis la Nakba, la catastrophe originelle. Ceux de la première génération après la Nakba, expulsés à 85 % de leurs villages, ont été très traumatisés. La seconde génération a essayé de construire une vie normale, sans interférence avec les institutions, loin de la politique, mais toujours avec la peur. La troisième génération ne porte pas de traumas personnels, ils sont plus courageux, ils ont moins peur, ils retrouvent leur fierté.
Cette fierté est venue naturellement, plus on s’éloigne de la catastrophe originelle, plus les gens guérissent. C’est juste une question de temps, la guérison. Ceux qui avaient le droit de s’exprimer ont guéri plus facilement, grâce à leur fierté retrouvée, que ceux qui ont vu leur expression entravée.
Il y a aussi la vie qui se normalise, on le voit dans votre film, vos héros ont une vie comme celle de tous les jeunes qui draguent, qui rêvent et qui se sentent un peu à l’étroit à l’école.
F. K : Oui, bien sûr, il y a une normalisation de la vie de cette génération, il y a aussi l’effet de la globalisation, ces adolescents font partie du monde, ils en sont un élément. Ils se vivent comme des gens libres dans un monde libre. Ce qui s’est passé après 1948 a été une grande catastrophe pour les Palestiniens, il y a un état traumatique de peur qui a pesé longtemps. Ils ne savaient pas comment réagir face à l’occupation, ni comment gérer leur peur face à l’ordre établi. Aujourd’hui, la jeune génération est très fière et n’a plus peur de se confronter à l’ordre établi. Je suis convaincu que c’est cette génération qui mènera à la libération de la Palestine.
Quand on parle de jeunesse palestinienne, faut-il faire une différence entre celle qui vit en Cisjordanie et celle qui vit en Israël ?
F. K : Oui, il y a une différence. Les jeunes de Cisjordanie n’ont pas connu de distorsion d’identité. La majorité des jeunes palestiniens d’Israël sont loyaux envers Israël, ils se définissent comme des Israéliens. Quand j’étais jeune, j’essayais de me définir en tant que citoyen israélien.
En revanche, ce qui rassemble les jeunes des Territoires occupés comme d’Israël, c’est le regard qu’ils portent sur l’Autorité palestinienne qu’ils considèrent comme un instrument de l’occupation, et c’est la même chose pour tous les Palestiniens du monde entier, de Gaza et d’ailleurs.
Vous parlez de votre personnage principal, Tamer, comme d’une page blanche.
F. K : C’est un pur, il est comme une page blanche qui attend d’être écrite. Il tombe amoureux, il veut s’amuser. Petit à petit, pas à pas, il va se politiser. Parce que ce n’est pas possible de rester hors de cette histoire, on ne peut pas y échapper. Vous en faites partie, que vous le vouliez ou non. Il n’y a pas d’autre issue que de résister parce qu’autour de vous, on essaie de construire une mémoire déformée, de contrôler votre vie, de vous tenir par la peur… Vous ne pouvez pas vraiment échapper à ça dans votre vie quotidienne. C’est ce que je montre dans mes films, parce que c’est ce que j’ai vécu. Bien sûr, on peut toujours échapper à ça en faisant le choix de la trahison mais alors, vous vivrez en paix comme un gentil toutou.
D’où vient votre confiance en l’avenir ?
F. K : Pensez-vous vraiment que les colonies plantées au cœur du Moyen-Orient sont là pour toujours ? Il suffit de lire l’histoire, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, la disparition de grandes civilisations, l’effondrement de l’Union soviétique… vous comprenez que ce genre de situation ne peut pas durer éternellement. Ils ont dû procéder à une épuration ethnique souvent meurtrière pour s’installer en Palestine, et aujourd’hui, nous sommes 6 millions et ils sont 5,9 millions. Ils contrôlent tous les médias mais combien de temps cela va-t-il durer ? Leur projet échouera, j’en suis sûr. Quand cela arrivera-t-il ? Cela dépend du monde, cela dépend de nous mais Israël est très fragile. Je pense que ça ne prendra pas plus de 20 ans d’arriver à un État pour deux peuples qui vivent avec les mêmes droits. C’est ce que je pense, selon ma compréhension de l’Histoire.
Propos recueillis par Emmanuelle Morau