Le soleil se couche à Gaza. Un voile d’obscurité commence déjà à envelopper la plus grande partie de la bande de Gaza, à l’exception de la route principale, qui ne cesse de gronder de vie et de lumière : la rue al-Rasheed.
Al-Rasheed s’étire le long de la côte, du nord au sud de Gaza : elle bruisse de restaurants, de cafés et de vendeurs de rue qui se partagent les trottoirs, offrant sandwichs aux falafels, crèmes glacées, boissons chaudes et jus de fruits frais.
Avec de très fréquentes coupures d’électricité – qui peuvent durer jusqu’à une vingtaine d’heures – Gaza est le plus souvent, la nuit, plongée dans l’obscurité. L’éclairage public est inexistant et la plupart des maisons n’ont pas l’électricité. Seule source de lumière : les phares des voitures qui circulent dans les rues.
C’est pour cette raison que, pour fuir l’obscurité, de nombreux habitants se pressent dans la rue al-Rasheed, dont Mohamed Abu Zeid, 27 ans. Depuis presque deux ans, il a pris l’habitude de descendre tous les soirs dans la rue, avec chaises, théière et pipe à chicha.
Abu Zeid habite une maison qu’il loue à Gaza dans le quartier de Cheikh Radwan, avec dix membres de sa famille, dont sa mère, son père et ses frères et sœurs. Le père d’Abu Zeid, employé à la retraite, est chargé de la famille et de payer le loyer. Leur ancienne maison, plus grande, a été bombardée lors de l’agression israélienne de 2014 contre la bande de Gaza, qui fit plus de 2 200 morts.
« Je n’ai pas de travail. Après avoir obtenu mon diplôme [universitaire], j’ai trouvé un emploi temporaire de six mois. Notre maison est très exiguë par rapport à l’ancienne, qui était très grande, mais qui a été démolie sous les bombes. Toute cette situation me stresse, et je ne parle pas des coupures de courant, qui peuvent durer des heures », déplore Abu Zeid. « C’est pourquoi je passe le plus clair de mon temps dans la rue al-Rasheed et, en été, c’est là que je dors avec mes amis, pour trouver un peu de paix. »
Ahmed al-Dalo, 27 ans, passe avec ses amis quatre à six heures par jour dans la célèbre rue. Il dit que la rue aide les gens à respirer, quand tout le reste de la ville suffoque.
« Ici, nous passons du temps avec des amis, et la conversation passe des matchs de football et des tournois européens, au cinéma – les films américains et indiens, surtout. Nous essayons d’oublier nos soucis, notamment que nous sommes au chômage, car il n’est pas évident de trouver un emploi dans la bande de Gaza. »
Al-Dalo et ses amis ont étudié l’administration des affaires à l’Université al-Qods, mais ils sont tous sans emploi.
Selon un rapport de la Banque mondiale datant de 2016, le taux de chômage des jeunes à Gaza a atteint le niveau « inquiétant » de 58 %.
Le Hamas a pris le contrôle de Gaza en 2007, un an après avoir remporté les élections législatives, avec l’appui des forces fidèles au président palestinien Mahmoud Abbas. Depuis lors, la bande de Gaza est assiégée par Israël.
Le mois dernier, le Fatah et le Hamas ont signé au Caire un accord de réconciliation. Il était censé mettre fin à un certain nombre de mesures punitives prises par Abbas à l’encontre de Gaza, notamment la réduction des paiements de l’électricité qui ont pour conséquence de ne laisser aux habitants du territoire que quelques heures d’électricité par jour.
Or, de nombreux résidents disent que la situation est toujours aussi déplorable, ajoutant qu’ils ne font pas confiance aux responsables palestiniens.
« Je peux à peine subvenir aux besoins essentiels de ma famille. Cette situation est très stressante pour nous, en particulier pour mes enfants, qui ont besoin de jouer et d’avoir accès à des aires de jeux, au lieu de passer la majeure partie de leur vie dans l’obscurité », se désole Ahmed al-Shanti, 37 ans.
Ahmed Abu Taqya est lui aussi un habitué de la rue al-Rasheed. Pendant la guerre de 2014 contre Gaza, Taqya a été blessé à la jambe, ce qui lui a coûté son emploi de charpentier.
Les conditions économiques pour son couple sont devenues si difficiles que le jeune homme de 29 ans a dû récemment divorcer.
« Les jeunes de Gaza veulent passer quelques instants en paix, loin des foules et du bruit de la ville. La ville de Gaza est si densément peuplée ! », regrette-t-il, évoquant les deux millions d’habitants de la bande de Gaza.
« Moi, ça me détend de rester assis pendant des heures au bord de la mer, dans cette rue », ajoute-t-il.
En septembre 2015, la rue s’est mise à revivre et a pu être inaugurée grâce à l’injection des 29 millions de dollars (24 millions d’euros) dans sa reconstruction. Dans le cadre du projet, des panneaux solaires ont été installés sur la route principale, pour fournir l’éclairage de nuit.
Cette initiative faisait partie de plusieurs projets de reconstruction dans la bande de Gaza, et le Comité qatarien pour la reconstruction de la bande de Gaza a participé au financement, à hauteur de 407 millions de dollars (342 millions d’euros).
Au cours des quatre guerres avec le Hamas depuis 2006, Gaza assiégée a été bombardée à plusieurs reprises par les forces israéliennes, laissant la bande de Gaza en ruines.
Pas d’électricité dans la plupart des maisons
Dans la rue, les murs sont décorés de graffitis et d’œuvres d’art, comme des paroles tirées d’une chanson de la légendaire chanteuse libanaise, Fayrouz : « Tu vois comme la mer est grande, elle est comme mon amour pour toi ».
Restaurants et cafés sont remplis de gens qui jouent aux cartes, écoutent de la musique, les familles s’offrant ainsi un moment de tranquillité, jusqu’à tard dans la nuit.
Mustafa Abu Hamad emmène tous les vendredis sa famille dans la rue al-Rasheed.
« Mes enfants se plaignent toujours des coupures d’électricité. Ils ont besoin de se divertir. Toute cette situation affecte leur santé psychologique. J’essaie de les emmener à la mer, près de la rue al-Rasheed, pour qu’ils puissent jouer, courir et respirer l’air frais », témoigne Abu Hamad, qui chahute avec ses trois enfants.
Vendeurs de rue
La charrette d’Ibrahim Masoud attire de nombreux chalands. L’arôme de son café, du pur café turc et arabe, séduit les passants, tandis qu’en fond sonore se déversent d’anciennes chansons arabes des années 1940 –Euphoric Nights in Vienna, par le célèbre chanteur syrien Asmahan.
Des gens se rassemblent autour de sa charrette, et discutent du chômage et des autres difficultés qui frappent les habitants de Gaza assiégée.
Pendant la journée, il est serveur dans un café de Tel al-Hawa, quartier aisé où se trouvent la plupart des universités de Gaza. Le soir, il travaille dans la rue al-Rasheed.
« La plupart des vendeurs ambulants étaient ouvriers qualifiés, mais à cause du siège, de plus en plus strict, ils ont perdu leur emploi. J’étais moi-même métallurgiste, mais j’ai dû m’arrêter à cause du siège », déplore-t-il. « Maintenant, je suis devenu vendeur ambulant. J’apprécie d’avoir ce travail parce que ça m’aide à subvenir aux besoins de ma famille ».
En raison de la situation économique difficile à Gaza, les vendeurs ambulants sont autorisés à travailler sans payer d’impôts à la municipalité. Les vendeurs disent gagner bien leur vie, surtout pendant l’été.
Hatem al-Cheikh Khalil, responsable des relations publiques à la municipalité de Gaza, estime qu’environ 10 000 personnes se rassemblent chaque jour dans la rue al-Rasheed. Selon al-Cheikh, restaurants, hôtels et cafés ont installé des groupes électrogènes pour fournir de l’électricité à leurs clients. La plupart des familles de Gaza n’ont pas les moyens d’acheter du carburant pour alimenter leurs propres générateurs diesel à la maison.
« La rue al-Rasheed est l’une des rues les plus importantes de la bande de Gaza », résume-t-il, « car elle concentre les plus célèbres restaurants, hôtels et cafés. Les lumières sont toujours allumées. »
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies
Photo : Dans la rue al-Rasheed, à Gaza, des habitants se sont installés près d’une installation haute en couleurs (MEE/Mohamed al-Hajjar)