Photo : L’agent de l’Afrique du Sud, M. Vusimuzi Madonsela, 26 janvier 2024 © UN Photo/ICJ-CIJ/Franc van Beek
Al-Haq, Al Mezan Centre pour les Droits Humains et le Centre Palestinien pour les Droits Humains (PCHR) se félicitent des mesures provisoires modifiées ordonnées par la Cour internationale de justice (la "Cour") dans l’affaire de l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël). Dans cette ordonnance, la Cour a accédé à la demande urgente de l’Afrique du Sud concernant des mesures conservatoires supplémentaires visant à empêcher Israël de causer un préjudice irréparable au peuple palestinien de Gaza et à son droit à l’existence en vertu de la convention sur le génocide de 1948.
La Cour a considéré que les conditions catastrophiques dans la bande de Gaza, y compris "le fait que la famine s’installe", sont "exceptionnellement graves" et constituent un changement de situation qui a justifié l’indication des mesures conservatoires initiales le 26 janvier 2024. Il a ajouté que ces mesures "ne répondent pas pleinement aux conséquences découlant" d’un tel changement de situation, ce qui justifie leur modification en conséquence. Ainsi, la clause d’assistance immédiate et effective de l’ordonnance du 26 janvier est jugée insuffisante. Deux mesures conservatoires supplémentaires ont été ordonnées à l’encontre de l’État d’Israël "conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et compte tenu de l’aggravation des conditions de vie des Palestiniens à Gaza, en particulier de la propagation de la famine et de l’inanition". La Cour a reconnu que la famine n’est plus un risque qui menace les Palestiniens, comme elle l’a établi dans son ordonnance du 26 janvier, mais plutôt que "la famine s’installe, 31 personnes au moins, dont 27 enfants, étant déjà mortes de malnutrition et de déshydratation [...]".
La Cour a ordonné à l’unanimité à Israël de "(a) prendre toutes les mesures nécessaires et efficaces pour assurer sans délai, en pleine coopération avec les Nations Unies, la fourniture sans entrave et à grande échelle par toutes les parties concernées des services de base et de l’aide humanitaire dont les Palestiniens ont un besoin urgent, y compris la nourriture, l’eau, l’électricité, le carburant, les abris, les vêtements, l’hygiène et l’assainissement, ainsi que les fournitures médicales et les soins médicaux dans tout Gaza, notamment en augmentant la capacité et le nombre des points de passage terrestres et en les maintenant ouverts aussi longtemps qu’il le faudra". En outre, par quinze voix contre une, le juge israélien Barak étant dissident, la Cour a voté pour "(b) veiller avec effet immédiat à ce que son armée ne commette pas d’actes constituant une violation d’un quelconque droit des Palestiniens de Gaza en tant que groupe protégé par la convention sur le génocide, notamment en empêchant, par quelque action que ce soit, l’acheminement de l’aide humanitaire dont les Palestiniens ont un besoin urgent". Notamment, le vice-président Sebutinde, qui avait massivement voté contre les mesures provisoires initiales, a également voté en faveur de celles-ci.
L’objectif des mesures conservatoires est d’éviter un préjudice irréparable, c’est pourquoi elles doivent être mises en œuvre immédiatement. Développant ce point, dans une déclaration séparée, le juge Yusuf a indiqué que les mesures conservatoires initialement ordonnées par la Cour dans cette affaire impliquent "la suspension ou la cessation de toute action entreprise par un État sur son territoire ou sur le territoire d’autres États qui aurait pu contribuer à l’existence d’indices d’une activité génocidaire. [...] est une obligation de résultat à laquelle il faut donner suite immédiatement. Il a ajouté que "les droits de la population palestinienne de Gaza, y compris son droit à l’existence, doivent être préservés en attendant la décision finale de la Cour sur le fond. Ces droits ne peuvent et ne doivent pas continuer à être soumis au risque d’un préjudice irréparable" qui "ne peut être obtenu que par la suspension, avec effet immédiat, des opérations militaires israéliennes". Il s’agit d’une reconnaissance du fait que l’ordonnance du 26 janvier indiquait un cessez-le-feu implicite.
Pour remédier à cette situation, la Cour a souligné la nécessité "d’assurer l’acheminement effectif et efficace de la nourriture, de l’eau, de l’aide médicale et humanitaire" en augmentant "le nombre de points de passage terrestres ouverts vers Gaza et de les maintenir ouverts afin d’accroître le flux d’acheminement de l’aide". En outre, la Cour s’est explicitement appuyée sur les déclarations de divers représentants des Nations unies et d’organisations qui ont souligné que "la situation humanitaire catastrophique ne peut être résolue que si les opérations militaires dans la bande de Gaza sont suspendues". À cet égard, la Cour a pris note de la résolution 2728 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) qui exigeait le 25 mars "un cessez-le-feu immédiat".
Outre la situation humanitaire catastrophique, la Cour a également noté la forte augmentation du nombre de victimes palestiniennes depuis le 26 janvier, avec "plus de 6 600 morts et près de 11 000 blessés supplémentaires parmi les Palestiniens de la bande de Gaza". À la lumière de ce qui précède, la Cour a conclu que la situation à Gaza présente toujours un risque réel et imminent de préjudice irréparable pour le peuple palestinien.
Souscrivant à cette conclusion, le juge président Salam a en outre déclaré que les conditions d’un génocide étaient réunies et que l’absence d’aide humanitaire mettait en péril le "droit à l’existence" de l’ensemble du groupe palestinien. Dans le même ordre d’idées, le juge Yusuf a déclaré que la Cour peut se fonder sur des "indices objectifs relatifs à la commission possible d’un génocide" à Gaza, où "le droit à l’existence du peuple palestinien [...] risque actuellement de subir un préjudice irréparable" à la lumière de la constatation explicite de la violation du droit international humanitaire (DIH), démontrée par "l’ampleur des atrocités commises contre les civils, ainsi que des morts et des souffrances qui leur sont infligées, est d’un ordre qui dépasse de loin les nécessités de la guerre et les limites imposées par le droit de la guerre". Le juge Yusuf a conclu à juste titre qu’il était "du devoir de la Cour de demander qu’il soit mis fin" aux actes génocidaires commis par Israël.
Dans sa décision, la Cour a explicitement déclaré qu’elle ne pouvait pas exercer le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires à l’encontre d’États et d’organisations qui ne sont pas parties à la procédure. Sur cette base, la Cour ne peut pas, par exemple, ordonner que toutes les parties cessent de se battre, ni inclure des mesures conservatoires à l’encontre de "tous les États", comme le demandait l’Afrique du Sud. Tout en votant en faveur de cette décision, les juges Xue, Brant, Gómez Robledo et Tladi ont regretté "que cette mesure n’ordonne pas directement et explicitement à Israël de suspendre ses opérations militaires dans le but de remédier à la situation humanitaire catastrophique qui règne actuellement à Gaza". En outre, le juge Charlesworth, tout en reconnaissant que "la Cour aurait dû indiquer explicitement qu’Israël est tenu de suspendre ses opérations militaires dans la bande de Gaza", a souligné que la Cour ne pouvait "pas ordonner un cessez-le-feu puisque les parties en conflit ne sont pas toutes devant elle". Cependant, les opinions des juges sur cette question indiquent une exigence implicite de suspension des opérations militaires.
Nos organisations se félicitent que la Cour ait accordé un mois à Israël pour répondre, ce qui, compte tenu de l’urgence de la situation, de la famine et de la probabilité et de l’ampleur des futures attaques israéliennes, en particulier à Rafah, nécessite un suivi et un contrôle continus par la Cour des actions d’Israël, en tant que mécanisme important pour le respect de la loi.
Nous remercions l’Afrique du Sud pour son engagement continu à mettre fin aux actes de génocide contre le peuple palestinien et à demander des comptes à Israël. Nous invitons également les autres États tiers à suivre l’exemple de l’Afrique du Sud. Nous réaffirmons que la campagne génocidaire d’Israël ne cessera pas tant que la communauté internationale ne se mobilisera pas efficacement pour faire pression sur Israël en vue d’un cessez-le-feu immédiat. Comme l’a déclaré l’Afrique du Sud : "En cas de non-respect, la communauté mondiale doit veiller au respect du caractère sacré de l’humanité". Des mesures urgentes sont nécessaires, car plus de retard signifie plus de feu vert donné à Israël et donc plus de victimes palestiniennes.
Traduction : AFPS