Cette réunion a mis en évidence plusieurs points qui appellent des commentaires.
Tout d’abord, mais on le savait déjà, le manque d’unanimité des pays membres de l’Union européenne sur cette question. Il est illusoire, sauf à rester inactif et à choisir un profil bas, de penser la réaliser en peu de temps. Ceci ne manque d’ailleurs pas d’interroger sur la sincérité des déclarations européennes sur le sujet. Ainsi, à Berlin en mars 1999 – il y a 12 ans – la déclaration finale du Conseil européen précisait que l’Union européenne : « Réaffirme le droit permanent et sans restrictions des Palestiniens à l’autodétermination, incluant l’option d’un Etat ; souhaite l’accomplissement prompt de ce droit ; appelle les parties à s’efforcer de bonne foi à une solution négociée sur la base des accords existants sans préjudice de ce droit, qui n’est soumis à aucun veto. » Et le Conseil ajoutait qu’il : « déclare sa disposition à considérer la reconnaissance d’un Etat palestinien le moment venu. » On aura noté : « aucun veto » et « reconnaissance de l’Etat de Palestine le moment venu »… En décembre 2010, dans une nouvelle déclaration du Conseil européen affaires étrangères, l’Union réaffirmait sa volonté de reconnaître l’Etat Palestinien « le moment venu ». Cette fois, à la différence de 1999, l’Union européenne comptait 27 membres.
Or, au terme de cette dernière réunion informelle, il est considéré que le « moment n’est toujours pas venu » pour l’Union européenne dans son ensemble de reconnaître l’Etat de Palestine. C’est totalement incroyable mais c’est ainsi.
C’est incroyable car le blocage des négociations est patent et évident. Il résulte du refus absolu réitéré à maintes reprises du gouvernement de Benjamin Netanyahu de se conformer au droit international. Celui-ci refuse en effet les frontières de 67 de même qu’il refuse que Jérusalem-Est soit la capitale de l’Etat de Palestine.
Si l’Union européenne, selon l’expression de Nicolas Sarkozy, ne veut pas occuper « un strapontin » dans la politique proche-orientale et laisser libre cours à l’échec en laissant les deux parties dans un tête à tête chaperonné par les seuls américains, elle doit agir. Elle doit surtout faire bouger les lignes par un acte – un acte enfin ! – permettant de replacer et de relancer, sous les auspices internationaux, la négociation sur des bases claires entre deux Etats – l’un créé en 1948 et l’autre ne l’étant toujours pas depuis cette date !
On notera que la France n’a pas attendu d’être soutenue unanimement par l’Union européenne pour s’opposer à la guerre en Iraq, sujet sur lequel elle s’est « confrontée » aux USA. L’Union européenne ne parlait pas d’une « seule voix » à cette époque pas plus que, sur un tout autre registre, elle ne parlait pas non plus d’une « seule voix » concernant l’intervention en Lybie.
Alors pourquoi ce blocage aujourd’hui malgré les déclarations antérieures, d’une toute autre tonalité, de notre diplomatie ?
Le risque serait, dit-on du côté du quai d’Orsay, celui d’un isolement d’Israël et des Etats-Unis, si une résolution palestinienne est votée à une large majorité et « d’un retour de bâton pour les Palestiniens » dont de nombreux financements pourraient être suspendus.
Cette façon de donner des leçons aux Palestiniens à quelque chose de choquant et procède d’une démarche très négativement connotée historiquement. Les Palestiniens ont fait leur choix. Ils en ont évalué les conséquences. Qu’ont-ils à perdre ? Ils ont à gagner un Etat enfin reconnu ! Par contre il est un vrai retour de bâton politique qui résulterait d’une opposition à cette admission. Celui-là est réel et sérieux. C’est à ce point que même Barak Obama cherche une « solution » pour éviter l’isolement. Il sait qu’un veto US aurait en effet un coût politique très lourd dans le monde arabe mais aussi plus largement. Il en irait de même pour tout pays européen qui ne voterait pas en faveur de la Palestine comme 194ème Etat membre de l’ONU. Mesure-t-on le vrai « retour de bâton » que cela provoquerait ?
Quant à l’isolement d’Israël il existe avant que cette question soit posée à l’ONU : qui ne voit que le gouvernement Netanyahu est honni par le peuple israélien lui-même du fait de sa politique désastreuse.
La France, après être passé totalement à côté des révolutions tunisiennes et égyptiennes, va-t-elle passer maintenant à côté de cet acte politique qui, certes ne réglera pas tout, mais qui ferait avancer sérieusement les choses sur la base du respect du droit international ?
La France doit donc prendre ses responsabilités comme l’a fait l’Espagne. Elle doit dire sans plus tarder qu’elle votera « pour » une adhésion de la Palestine à l’ONU dans les frontières de 1967. C’est le moment. Opportun. Il est venu. Elle doit respecter sa parole, contenue dans un courrier d’Alain Juppé, Ministre d’Etat, en date du 19 août, selon lequel : « Si une relance du processus de paix n’intervenait pas d’ici septembre, la France a déjà annoncé qu’elle prendrait ses responsabilités sur la question de la reconnaissance de l’Etat palestinien. »
Assez de micmacs, d’astuces diplomatiques et de fuite devant le réel : ouvrir une autre et nouvelle page au Proche-Orient est à portée de main. Il passe par un vote favorable de la France et d’un maximum d’Etats membres de l’Union. Il n’y a pas d’alternative, sauf à s’enfoncer dans le renoncement. Et à en porter la lourde responsabilité et à déclencher un « retour de bâton » considérable – économique, politique et en terme d’influence et d’image.
Jean-Claude Lefort
Président de l’AFPS
Paris, le 5 septembre 2011