La honte de voir l’élu à la fonction suprême de mon pays s’abaisser à user d’un tel procédé rhétorique primitif, à la limite de l’enfantillage.
(Un commentateur israélien a suggéré de l’installer sur un tapis avec plein de papier et d’encre de chine, puis de le laisser s’amuser tout son soûl.)
Il s’adressait à une chambre à moitié vide (la télévision israélienne a veillé à ne pas montrer la salle dans son entier pendant le discours). De plus, l’auditoire était composé de diplomates de second rang, mais cependant des gens cultivés. Même Nétanyahou aurait dû prendre conscience qu’ils auraient du mépris pour cette présentation.
Mais ce n’était pas du tout à eux que s’adressait Nétanyahou. Il s’adressait à l’auditoire juif de son pays et des États-Unis.
CET AUDITOIRE était fier de lui. Il a réussi à toucher leur sensibilité la plus profonde.
Pour le comprendre, il faut se remettre en mémoire les souvenirs historiques. Les juifs représentaient partout une petite communauté sans pouvoir. Ils dépendaient totalement du pouvoir des Gentils.
À chaque fois qu’ils se trouvaient en situation de danger, les juifs faisaient appel à la personne la plus éminente de leur communauté pour plaider leur cause devant l’empereur, le roi ou le prince. Lorsque ce “plaideur” (Shtadlan en hébreu) avait réussi à écarter le danger, il gagnait la reconnaissance de toute la communauté. Dans quelques cas on se souviendrait de lui pendant des générations, à l’exemple du mythique Mardochée du Livre d’Esther.
Nétanyahou a rempli cette fonction. Il est allé au centre même du pouvoir ‘gentil’, l’équivalent de nos jours de l’empereur de Perse, plaider la cause des juifs menacés d’anéantissement par l’héritier actuel d’Amman le diabolique (dans le même Livre d’Esther).
Et quelle idée de génie que de présenter le dessin de la Bombe ! Il a été reproduit sur les unes de centaines de journaux et dans les programmes d’informations télévisées du monde entier, y compris dans la New York Times !
Pour Nétanyahou, c’était “Le discours de sa vie”. Pour être précis, comme l’a fait remarquer avec humour un commentateur de la télévision, c’était le 8e discours de sa vie devant l’Assemblée générale.
Sa popularité a bondi à de nouveaux sommets. Moïse lui-même, le suprême plaideur à la cour de Pharaon, n’aurait pas pu mieux faire.
MAIS LE point capital de l’affaire se cachait quelque part entre les torrents de paroles.
L’attaque “inévitable” contre les installations nucléaires de l’Iran pour prévenir le Second Holocauste était reportée au printemps ou à l’été prochain. Après avoir fanfaronné pendant des mois en annonçant que l’attaque mortelle était iminente, d’une minute à l’autre, sans une minute à perdre, tout a disparu dans la brume de l’avenir.
Pourquoi ? Que s’est-il passé ?
Eh bien, l’une des raisons était les sondages indiquant que Barack Obama serait réélu. Nétanyahou avait obstinément misé toutes ses cartes sur Mitt Romney, son clone idéologique. Mais Nétanyahou est aussi quelqu’un qui a une Vraie Foi dans les sondages. Il semble que les conseillers de Nétanyahou l’aient convaincu de se couvrir. Le démon Obama pourrait l’emporter, malgré les millions de Seldon Adelson. Surtout maintenant que George Soros a misé ses millions sur le président sortant.
Nétanyahou avait la brillante idée d’attaquer l’Iran juste avant les élections américaines, pensant que tous les politiciens américains auraient les mains liées. Qui oserait retenir Israël dans un moment pareil ? Qui refuserait de venir en aide à Israël lorsque les Iraniens allaient contre-attaquer ?
Mais, comme tant de brillantes idées de Nétanyahou, celle-ci également a fait flop. Obama avait dit à Nétanyahou dans des termes sans ambigüité : Pas d’attaque de l’Iran avant les élections. Sinon…
LE PROCHAIN président des États-Unis – quel qu’il soit – dira la même chose à Nétanyahou après les élections.
Comme je l’ai déjà dit (excusez-moi de me citer une nouvelle fois), une attaque militaire contre l’Iran est hors de question. Le prix est d’un niveau insupportable. Les réalités géographique, économique et militaire concourent toutes à l’empêcher. Le Détroit d’Ormuz serait fermé, l’économie mondiale s’effondrerait, une guerre longue et dévastatrice s’ensuivrait.
Même si Mitt Romney était au pouvoir, entouré d’une foule de néoconservateurs, il ne changerait pas ces réalités d’un iota.
La cause d’Obama est très fortement renforcée par les nouvelles économiques qui nous viennent d’Iran. Les sanctions internationales ont eu des résultats étonnants. Les sceptiques – avec Nétanyahou à leur tête – sont en plein désarroi.
Contrairement à la caricature anti-islamique, l’Iran est un pays normal, avec une classe moyenne normale et des citoyens dotés d’un niveau de conscience politique élevé. Ils savent que Mahmoud Ahmanidejab est un bouffon et, s’il avait réellement voulu produire une bombe nucléaire, se serait-il livré à tous ces discours stupides sur Israël et/ou l’Holocauste ? N’aurait-il pas gardé le silence pour y travailler ferme ? Mais puisqu’il est, de toutes façons, sur le point de s’en aller il ne sert à rien de faire une révolution en ce moment même.
Conséquence pratique : désolé, pas de guerre.
TOUTE L’AFFAIRE soulève à nouveau la controverse Walt-Mearsheimer. Israël détermine-t-il la politique des États-Unis ? Est-ce la queue qui fait bouger le chien ?
Dans une très large mesure, c’est indubitablement le cas. Il suffit de voir, si l’on suit la campagne électorale actuelle, comment les deux candidats traitent le gouvernement israélien avec obséquiosité et font assaut l’un et l’autre de paroles de flatterie et de soutien.
Les votes juifs jouent un rôle important dans des ‘swing states’ (États dont le choix est incertain), et l’argent juif joue un grand rôle dans le financement des deux candidats. (O tempora, o mores ! Il y avait jadis une plaisanterie juive : un noble polonais menace son voisin noble : “Si tu frappes mon juif, je frapperai ton juif !” Aujourd’hui, c’est un milliardaire juif qui menace un autre milliardaire juif : si tu donne un million à ton Goy, je vais donner un million à mon Goy !”)
L’équipe chargée de la politique pour le Moyen-Orient au sein de l’Administration Obama est formée de juifs sionistes, jusqu’à l’ambassadeur des États-Unis à Tel Aviv qui parle mieux l’hébreu qu’Avigdor Lieberman. Dennis Ross, le fossoyeur de la paix au Moyen Orient, semble être partout. Les néoconservateurs de Romney, eux aussi, sont en majeure partie des juifs.
Des juifs ont une énorme influence – jusqu’à un certain point. Ce point est extrêmement significatif.
On en a vu dans le passé un petit exemple : Jonathan Pollard, l’espion juif-américain, a été envoyé en prison à vie. Beaucoup de gens (dont moi) estiment cette peine trop sévère. Pourtant aucun juif américain n’a osé protester, l’AIPAC est resté tranquille et aucun président américain n’a été influencé par des appels israéliens à la clémence. Les autorités de sécurité des États-Unis avaient dit Non, et ça a été Non.
La guerre contre l’Iran est un million de fois plus importante. Elle concerne des intérêts américains vitaux. Les militaires américains y sont opposés (comme le sont les militaires israéliens). Chacun sait à Washington qu’il ne s’agit pas là d’une question secondaire. Elle concerne le fondement même de la puissance américaine dans le monde.
Et voilà, les États-Unis disent NON à Israël. Le président déclare froidement qu’en ce qui concerne les intérêts de sécurité vitaux, aucun pays étranger ne peut ordonner au commandant en chef des États-Unis de tracer une ligne rouge et de s’engager lui-même dans une guerre. En particulier à l’aide d’un dessin de livre de bandes dessinées.
Les Israéliens sont abasourdis. Quoi ? Nous, le pays du peuple choisi par Dieu, nous sommes des étrangers ? Tout comme les autres étrangers ?
C’est une leçon très importante. Lorsque les choses deviennent réellement critiques, le chien est toujours le chien et la queue est toujours la queue.
ALORS QU’EN EST-IL de l’engagement de Nétanyahou concernant l’Iran ?
Un journaliste étranger m’a demandé récemment si Nétanyahou pourrait survivre à l’élimination de l’“option militaire” contre l’Iran, après n’avoir parlé de rien d’autre pendant des mois ? Qu’en est-il du Hitler iranien ? Qu’en est-il de l’holocauste imminent ?
Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter. Nétanyahou peut aisément s’en tirer en prétendant que tout cela était en réalité une ruse pour obtenir que le monde impose des sanctions plus lourdes à l’Iran.
Mais était-ce le cas ?
Les gens influents en Israël sont divisés.
Le premier camp craint que notre Premier ministre ait réellement perdu la tête. Qu’il soit obsédé par l’Iran, qu’il ait cliniquement l’esprit dérangé, que l’Iran soit devenu une idée fixe.
L’autre camp pense que toute l’affaire était, dès le début, un canular pour détourner l’attention de la seule question qui importe réellement : la paix avec la Palestine.
En cela il s’est montré extrêmement efficace. Depuis des mois maintenant, la Palestine n’est plus à l’ordre du jour d’Israël et du monde entier. Palestine ? Paix ? Quelle Palestine, quelle paix ? Et tandis que le monde a les yeux fixés sur l’Iran comme un lapin hypnotisé sur un serpent, les colonies sont développées et l’occupation renforcée, et nous naviguons fièrement vers la catastrophe.
Et cela n’a rien d’une histoire en bandes dessinées.