Sa question était intéressante et appropriée mais troublante aussi, parce que les Afrikaners n’ont pas vraiment « trouvé » Mandela. Ca m’a pris des mois pour trouver la réponse : Montrez moi le Palestinien devant qui les Israéliens sont prêts à être perdants et je vous montrerai votre Mandela palestinien.
Mon ami avait négligé le fait que Mandela et l’ANC (African National Congress ) avaient gagné en Afrique du Sud. L’élément décisif du soi-disant miracle sud-Africain, c’est que les blancs d’Afrique du sud avaient, d’une façon ou d’une autre et à des degrés divers, accepté ce résultat et en avaient fait, sinon leur victoire, du moins autre chose que leur défaite.
On a beaucoup écrit sur les nombreux facteurs qui ont fait avancer le processus, mais nul ne nie que la direction, celle de Mandela, a joué un rôle décisif. Bien qu’on lui eût offert la liberté à plusieurs reprises s’il acceptait de renoncer à combattre l’apartheid, c’était là une offre que seul un collaborateur pouvait accepter. Mandela était d’une autre trempe et refusa de faire les concessions fondamentales que voulaient les Afrikaners.
Le président sud-africain, Frederik W. de Klerk, décida de relâcher Mandela sans conditions pour répondre à l’agitation qui rendait le pays ingouvernable. De Klerk espérait amener Mandela à un long processus de négociation où il arriverait à le convaincre de faire les compromis critiques. Pourtant, après des hauts et des bas, c’est de Klerk, pas Mandela, qui a fait les compromis fondamentaux.
Comment cette situation incroyable a-t-elle été possible ?
La réponse classique des sciences politiques c’est que de Klerk s’est trouvé sur une pente glissante où il croyait que chaque nouvelle concession était celle qui amènerait Mandela à céder. Pourtant ceci n’explique pas pourquoi, à la fin, de Klerk a concédé le pouvoir à l’ ANC, particulièrement à un moment où l’Etat sud-africain ne risquait pas de s’effondrer.
C’est toujours difficile de savoir ce que pense un dirigeant politique à un moment crucial. Néanmoins je crois qu’un changement fondamental s’est opéré dans la façon dont de Klerk voyait Mandela. Quand De Klerk est arrivé au pouvoir, il pensait que Mandela était le seul Africain capable de faire les concessions qui maintiendraient l’Afrique du sud Afrikaner à flot. Lentement il en est venu à voir Mandela comme l’ Africain qui donnerait aux Afrikaners un avenir qui pouvait leur convenir.
Mandela n’a laissé passer aucune occasion de parler de la place des Sud-africains blancs dans la nouvelle Afrique du sud. Il a insisté à plusieurs reprises sur le fait que la règle de la majorité ne signifiait pas la domination de la minorité blanche par la majorité noire. Cherchant un « équilibre entre les peurs des blancs et l’espoir des noirs », Mandela a établi la fondation même de la paix. - « Nous ne voulons pas vous jeter à la mer »- parce que la paix était impossible tant que les blancs d’Afrique du sud n’entendaient pas à ces mots et n’y croyaient pas.
Dans quasiment chacune de ses déclarations, Mandela a présenté la vision d’un l’avenir où les Sud-africains blancs seraient appréciés et respectés. Ceux qui l’ont entendu ont senti dans ce qu’il décrivait qu’eux, leurs familles et leur communauté pourraient vivre une vie satisfaisante et sûre. Plutôt que d’offrir des concessions qui n’auraient fait que consolider la situation ancienne, Mandela offrait un avenir aux nombreuses personnes qui avaient commencé à douter d’en avoir un.
Les Israéliens doivent trouver un Mandela palestinien et les Palestiniens ont besoin d’un Mandela israélien. Cependant, le Mandela qu’il leur faut trouver n’est pas le dirigeant qui fera les concessions qu’ils souhaitent mais celui à qui ils pourront faire les concessions qu’ils disent ne pas pouvoir faire. Mandela était ce dirigeant là parce que ses actions réaffirmées et ses paroles sans équivoque témoignaient d’un avenir que les Afrikaners pouvaient envisager sans peur.
Mandela présente un double défi aux dirigeants actuels. D’abord, comment trouver de l’autre côté la personne à qui nous pouvons faire les concessions qui nous semblent impossibles à faire ? Ensuite, et c’est beaucoup plus important, comment devenir les personnes à qui l’autre côté peut faire les concessions qu’ils affirment ne pas pouvoir faire ? Les deux défis sont importants mais le deuxième est vraiment critique à un moment où chacun attend que l’autre réalise les actions difficiles nécessaires à l’avancée du processus de paix.
La progression vers la paix entre Israéliens et Palestiniens n’est pas bloquée sous prétexte que personne n’arrive à visualiser l’accord final. Tous les observateurs attentifs savent que la formule de l’administration Clinton est, en gros, le seul accord possible. La question n’est pas vraiment de savoir ce qui est nécessaire -ça, on le sait. La vraie question est de savoir qui nous mènera là