« Au large les barges se gondolent dans le roulis/Ici on cuit au bain-marie », chantait Alain Bashung. Ces vers correspondent bien à l’atmosphère émolliente de Jéricho, oasis urbaine à sept kilomètres de la mer Morte. En se laissant gagner par la torpeur de la cité millénaire, on se dérobe presque à cette Cisjordanie balafrée par les check-points. Ici, l’horizon est dégagé entre le Jourdain et les monts de Judée, qui se teintent de couleurs insoupçonnées lorsque le soleil se retire. Ici, les familles palestiniennes affluent en provenance de Jérusalem-Est ou de Ramallah, pour prendre du bon temps, partager un repas, se prélasser.
Début juillet 1994, le chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, descendait d’hélicoptère et posait le pied à Jéricho. L’instant était solennel. Après les Accords d’Oslo, la route vers un État palestinien devait se matérialiser par l’autonomie de Gaza et de Jéricho, dans un premier temps. Comme tout cela paraît loin aujourd’hui. Jéricho ne se prétend plus à l’avant-poste de la libération nationale, la ville se contente d’être un havre de paix.
Palmiers, parasols et soldats israéliens
Selon les statistiques les plus récentes, 35 000 personnes vivent dans cette zone, dont 21 000 dans la ville elle-même. Les visiteurs sont principalement des touristes. La cité aux remparts maintes fois détruits, mentionnée dans la Bible à plusieurs reprises, recèle des trésors archéologiques. Tels, non loin, le palais d’Hisham, de la dynastie omeyyade, ou le sublime monastère Saint-Georges, littéralement creusé dans le mont de la Tentation, qui surplombe la ville et est accessible par télécabines pour les cohortes de touristes arrivant dans des bus climatisés. Mais les palmiers et les parasols ne font pas oublier la réalité de l’occupation, avec les colonies israéliennes à proximité et les soldats israéliens déployés le long de la frontière jordanienne.
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Cette réalité contrastée, à nulle autre pareille en Cisjordanie, apparaît dans la série It’s a strange paradise réalisée au printemps 2018 par la photographe Sandra Mehl. « Jéricho m’a toujours fascinée, explique-t-elle. La cité semble lointaine, isolée du reste de la Cisjordanie, avec un climat particulier. Elle n’est pas bouillonnante comme les autres villes. Les Palestiniens y viennent pour fuir leur stress quotidien. Une certaine féerie s’en dégage, avec ses parcs d’attractions, sa plage artificielle. J’ai voulu travailler sur la tension entre le divertissement, les loisirs, et la noirceur du conflit, toujours présente. »
Diplômée de Sciences Po Paris et de l’École des hautes études en sciences sociales, où elle a obtenu un master de recherches en sociologie, Sandra Mehl est une photographe au profil atypique. Avant de choisir cette discipline, elle s’est d’abord investie dans l’humanitaire, puis dans la fonction territoriale. Son premier séjour en Cisjordanie remonte à 2009, durant lequel elle a réalisé une série en noir et blanc sur les check-points. Elle y est ensuite retournée en reportages, notamment pour des ONG.
Photo : Un mariage. De nombreuses familles choisissent de célébrer des fêtes à Jéricho, en raison des températures clémentes l’hiver. Sandra Mehl