19.06.04
Deux ans après une des plus sanglantes batailles de l’Intifada, des réfugiés palestiniens du camp de Jénine tentent de réorganiser leur vie dans de nouvelles maisons mais les souvenirs de la mort et de la destruction sont tenaces.
"Ce bâtiment a des fondations plus solides. J’espère que cette fois-ci il restera debout", dit, sourire à toute épreuve, Oum Ahmad Oweiss, une réfugiée de 52 ans. "Nous avons gagné un étage. C’est bien d’être de retour chez soi car je ne supportais pas la vie en dehors du camp", ajoute cette mère de sept enfants.
La maison de la famille Oweiss et plus de 400 autres ont été rasées par l’armée israélienne lors d’une offensive d’envergure de onze jours contre le camp en avril 2002.
Cinquante-trois habitants du camp, des hommes armés mais aussi des civils, ainsi que 23 soldats israéliens avaient été tués lors de l’opération militaire, qualifiée de "massacre" par les Palestiniens.
La plupart des familles sinistrées seront relogées d’ici octobre dans des nouvelles habitations construites au même emplacement que les maisons rasées alors que d’autres ont déjà été réinstallées dans des quartiers jouxtant le camp. "Nous en avons profité pour construire de vraies rues et infrastructures", affirme Samir Mashasha, porte-parole de l’agence de l’Onu d’aide aux réfugiés palestiniens (Unrwa). Les travaux de reconstruction, supervisées par l’Unrwa, ont été financés par une donation du Croissant-Rouge aux Emirats Arabes Unis. "Un jour nous allons construire un musée à la mémoire de ceux qui sont tombés dans le camp mais pour le moment nous allons nous contenter d’une statue", affirme le chef local du camp de 15.000 habitants, Adnane Al-Hindi.
Issa Wishahi, 62 ans, n’a pas besoin d’un musée pour rafraîchir sa mémoire car les atrocités des combats le hantent toujours. Le réfugié sexagénaire passe la plupart de ses journées assis devant sa maison partiellement reconstruite, ne supportant pas de rester à l’intérieur "où tout s’était passé". "Dans cette pièce, ma femmes a été touchée de deux balles tirées par un tireur d’élite israélien. L’une dans la tête, l’autre dans la poitrine", se souvient-il. "Elle est morte au bout de trois jours car elle avait perdu tellement de sang. Avec mon fils nous sommes restés avec elle pendant six jours avant que l’armée n’autorise une ambulance à venir évacuer le corps", poursuit-il en écrasant une larme. En accompagnant le corps jusqu’à l’ambulance, il avait découvert dans l’escalier le corps sans vie de son fils Mounir, tué lui aussi par des tirs israéliens. "Au moins elle est morte sans savoir que Mounir a été tué", soupire M. Wishahi qui affirme "envier ceux qui sont morts car il ne souffrent plus.
"Les choses ne seront jamais pareilles. Le camp a été reconstruit mais la mémoire de nos morts et de nos détenus demeure", confie pour sa part Youssef, 20 ans, un camarade de classe de Mounir. Youssef est aujourd’hui recherché par l’armée pour son appartenance aux Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, groupe armé lié au Fatah de Yasser Arafat. "Je n’ai pas quitté le camp depuis deux ans et je ne sais pas quoi faire. Je ne fais rien toute la journée et la nuit tombée l’armée entre dans le camp. C’est une partie de cache-cache", raconte ce jeune.
Françoise Reynier, une psychologue française travaillant pour Médecins Sans Frontières (MSF) affirme que de nombreux enfants et femmes du camp souffrent d’anxiété et de dépression. "Des enfants et même des adolescents ont des problèmes d’énurésie. Pour certains la peur que cela puisse arriver de nouveau est si forte qu’elle les réveille la nuit", dit-elle. Certaines mères, affirment-elle, sont tellement préoccupées pour leurs enfants qu’elles les couchent tout habillés "au cas où ils devraient quitter leurs maisons en vitesse".
"L’invasion a laissé sa marque et je pense que cela ne sera jamais plus pareil pour les gens du camp", conclut la psychologue.