Est-ce le ciel bleu azur et ce soleil qui, malgré l’hiver, ne manque pas de chaleur ? Il règne à Bethléem une vraie douceur en ce Noël 2012. Comme si les cieux avaient voulu se mettre à l’unisson de la fête, en permettant qu’elle se déroule au mieux dans le respect de la tradition. Défilé des scouts qui remontent, au son des tambours et de la cornemuse, la rue de l’Étoile pour déboucher place de la Mangeoire, face à la basilique de la Nativité. Arrivée du patriarche latin de Terre sainte, monseigneur Fouad Twal, qui après avoir franchi le mur de séparation est accueilli par les dignitaires palestiniens de la ville. Et enfin, à minuit, la grand-messe de Noël dans l’église Sainte-Catherine qui jouxte la basilique de la Nativité.
Comme chaque année, des fidèles venus du monde entier se tiennent debout dans les travées. Dans la nef, et assis selon un protocole bien réglé, les personnalités, aux premiers rangs desquelles le président palestinien Mahmoud Abbas et son Premier ministre Salam Fayyad, tous deux auréolés de leur récent succès diplomatique avec la reconnaissance par l’assemblée générale de l’ONU de la Palestine comme État observateur. Ils ne seront pas oubliés par Fouad Twal qui, dans son homélie, rend un hommage appuyé à Mahmoud Abbas et au roi de Jordanie, Abdallah II - le chef de la diplomatie jordanienne, Nasser Jawdeh, est là -, pour "leurs efforts et leurs positions courageuses" afin d’obtenir cette reconnaissance onusienne de la Palestine.
Puis il revient aux bruits et fureurs de la guerre : "Gaza et le sud d’Israël viennent de sortir d’une guerre dont les conséquences sont encore visibles sur le terrain et dans les esprits. Notre prière embrasse toutes les familles, arabes et juives, atteintes par le conflit." Également évoquée, la Syrie : "Prions pour nos frères, en Syrie, qui meurent sans pitié et sans appel." Dehors, sur la place de la Mangeoire, la fête bat son plein. Les habitants de Bethléem et les touristes déambulent entre l’immense sapin made in China, le même que l’an passé, mais décoré cette fois de grosses boules rouges, avec à ses pieds une grande crèche en bois d’olivier et des paquets enrubannés. Tout à côté une immense estrade sur laquelle se succèdent artistes et chorales d’ici ou d’ailleurs.
Crèches politiques
Mais à Bethléem, cette fois encore, la joie de Noël peut avoir un goût amer. Et pour cause. À la différence d’il y a un an, touristes et pèlerins ne sont pas vraiment au rendez-vous. 70 000 au lieu des 100 000 venus les 24 et 25 décembre 2011. Et pour la période du 25 au 31, le taux d’occupation des hôtels est passé de 70 % à 40 %. Selon Fahid Kattan, un agent de voyage, les annulations ont commencé dès juillet dernier avec les menaces de frappes israéliennes sur l’Iran. Puis, en novembre, les affrontements entre le Hamas de Gaza et Israël. Quant aux groupes de visiteurs qui n’ont pas renoncé, tous les commerçants le disent : ils ne dépensent pratiquement rien. À peine terminée la visite de la basilique de la Nativité, ils remontent dans les cars pour retourner à Jérusalem.
En ce 24 décembre au soir, Khalil, qui tient une échoppe tout près du centre-ville, est désespéré. La recette du jour se monte à quelques dizaines de shekels, soit à peine 20 euros. Sur la place de la Mangeoire, il n’y a guère que Nabil qui soit un peu satisfait. Dans sa boutique de souvenirs à l’enseigne sans équivoque de "Christmas Store", il fait un tabac avec ce qu’il appelle "la crèche politique". En bois d’olivier, elle est faite d’une reproduction du mur de séparation, devant lequel sont arrêtés les trois rois mages. De l’autre côté se trouvent Jésus, la Sainte Famille, l’âne et le boeuf. Le message est clair : si aujourd’hui les rois mages voulaient entrer à Bethléem pour apporter leurs offrandes à la Vierge Marie et son nouveau-né, ils en seraient probablement empêchés à cause... du "mur". Depuis le début du mois, il en a vendu 120, "et cela devrait continuer dans les jours qui viennent". Mais Nabil en convient : "Mes autres produits marchent mal et si je n’exportais pas mes crèches, les traditionnelles comme les "politiques", je n’aurais plus qu’à mettre la clef sous la porte..."
Immuable Bethléem, qui espère toujours que le prochain Noël sera celui de l’abondance en dépit du mur, du chômage à 23 %, des colonies israéliennes, des guerres régionales et de la crise mondiale.
REGARDEZ Un Noël à Bethléem : avec le défilé des scouts, la crèche au pied du sapin place de la Mangeoire, la crèche politique avec le mur de séparation et les rois mages, et enfin, le mur de séparation :