Commencerons-nous par les bonnes ou par les mauvaises nouvelles ? Optimistes invétérés, nous commencerons par les bonnes nouvelles.
Pour paraphraser un vieux dicton hébreu : Ne regardons pas l’assiette mais ce qu’il n’y a pas dedans. Avigdor Lieberman n’est pas dans le gouvernement israélien.
Il a tout fait pour monter à bord du navire. Il s’est mis un masque presque libéral, a mangé des harengs goûteux avec Yossi Belin qui l’a qualifié d’agréable. Après les élections, Amir Peretz n’a plus mentionné la promesse du parti travailliste de ne pas siéger avec lui au gouvernement. On avait l’impression que le raciste pur et dur réussirait à obtenir la légitimation de ses idées fascistes.
Mais le méchant loup ne comptait pas avec à la volonté du renard. Ehoud Olmert s’est joué du grossier fanfaron. Au dernier moment, Liberman a été laissé sur le quai, regardant d’un regard envieux le navire orné de joyeuses oriflammes qui prenait la mer sans lui.
Furieux, il a jeté le masque et prononcé un discours à la Knesset demandant l’exécution des députés arabes qui avaient rencontré des membres du gouvernement palestinien. Après cela, même Beilin ne voudra plus s’attabler avec lui.
LA SECONDE bonne nouvelle, c’est que Shaul Mofaz a été retiré du ministère de la Défense. Cet homme primaire, le roi des « liquidations ciblées », a été envoyé de la haute tour de la Défense dans le puits vide des Transports. On peut apprécier le dessin qui représente Mofaz conduisant un tank à travers les rues de Tel-Aviv.
Cette joie se mêle d’une profonde anxiété. On a du mal à s’habituer à dire « ministre de la Défense Amir Peretz ». Quelques heures seulement après sa prestation de serment à la Knesset, des soldats ont tiré dans le dos d’un chauffeur de taxi palestinien innocent et l’ont tué. La veille, ils avaient tué « par erreur » une femme palestinienne chez elle. A partir de maintenant, Peretz portera la responsabilité de tels actes, qui font désormais partie de la routine quotidienne de l’occupation. Il s’est mis dans une position presque intenable. Les prochaines manifestations que nous organiserons devront probablement être dirigées contre lui.
LA TROISIÈME bonne nouvelle est que c’est un gouvernement civil. Les quatre acteurs principaux (Premier ministre et ministres de la Défense, des Finances et des Affaires étrangères) sont des civils. Indubitablement, un signe de maturité.
Parmi les 25 ministres, il y a « seulement » deux généraux (Mofaz, Benyamin Ben Eliezer), tous deux en position secondaire. Même le nombre des officiers du Shin-Bet au gouvernement (Gideon Ezra, Avi Dichter, Raffi Eytan) est supérieur. Mais ne nous réjouissons pas trop vite : même un gouvernement civil peut être soumis à l’influence des généraux et vouloir s’attacher à démontrer ses prouesses militaires (comme le dit la chanson : tout ce que vous pouvez faire, je peux le faire mieux...). Ces civils vont-ils oser agir contre l’avis du chef d’état-major, qui participe à toutes les réunions du gouvernement et dicte la politique au nom de la « sécurité » ?
Dans ce gouvernement, il n’y a pas de lion. C’est un gouvernement de renards dirigé par le chef de la meute. Avec Ariel Sharon, la dernière grande figure de la guerre de 1948 est partie. La présence du pathétique Shimon Pérès ne fait que le souligner. Il s’agit d’un gouvernement de politiciens ternes.
Le nouveau gouvernement comporte deux lacunes évidentes. Olmert a fait sa première grosse erreur en n’y incluant aucun membre de la communauté russophone. Un million d’immigrants de l’ancienne Union soviétique, la plupart ayant apporté avec eux un raciste virulent, seront encore plus marginalisés. C’est très dangereux. Mauvaise nouvelle.
Une autre communauté d’un million et quart de personnes est également laissée de côté : les citoyens arabes. Comme tous ses prédécesseurs, ce gouvernement, le trente et unième des 58 ans d’existence de l’Etat, est un gouvernement juif, pas un gouvernement israélien. Il ne comprend aucun membre arabe. Cette importante communauté sera également poussée dans les marges. Mauvaise nouvelle, bien sûr. Toutes les phrases creuses d’Olmert sur l’égalité entre tous les citoyens ne peuvent cacher cette réalité.
ALORS, qu’y aura-t-il de marquant à l’ordre du jour du gouvernement Olmert ? Il semble que la réponse la plus plausible soit prosaïque : son existence même. Il est uni par l’ardent désir de survivre jusqu’au terme de ses quatre années et demi de mandat (La demi-année est un reste du dernier gouvernement).
C’est ce qui s’est très bien exprimé dans l’orgie d’embrassades à la Knesset quand les nouveaux ministres ont prêté serment. Une telle explosion de joie enfantine est plus caractéristique de vainqueurs de la loterie que de ministres appelés à régler des problèmes décisifs pour le pays.
La présidente de la Knesset, Dalia Itzig, la première femme à occuper ce poste, est devenue une Mezuzah, embrassée sur sa tribune par tous les ministres (sauf les Orthodoxes). Ensuite, les nouveaux ministres se sont embrassés entre eux et ont embrassé tous les membres de la Knesset qu’ils rencontraient, accompagnant ces embrassades de claques dans le dos. Si l’on compte que chaque ministre a embrassé une douzaine de personnes en moyenne, cela fait 300 baisers.
On a du mal à imaginer une telle scène dans tout autre parlement, sans parler de la première Knesset. David Ben Gourion n’était pas un grand embrasseur.
LE DRAPEAU flottant au mât est bien sûr celui de la Convergence. C’était et c’est le principal mot d’ordre d’Olmert. Mais mieux vaut ne pas retenir sa respiration en attendant son application !
Olmert lui-même a annoncé qu’avant la réalisation, il faut consacrer beaucoup de temps au dialogue. Dialogue avec qui ? Eh bien, avec les colons. Et avec les Etats-Unis. Et avec la « communauté internationale ».
Ne manque-t-il pas quelqu’un sur la liste ? Seulement les Palestiniens. Avec eux il n’est pas possible (ni nécessaire) de parler - jusqu’à ce qu’ils reconnaissent le droit à l’existence d’Israël en tant qu’Etat juif, acceptent tous les traités signés auparavant, arrêtent la violence et confisquent les armes des organisations. En bref, qu’ils se rendent sans conditions. Et qu’ils deviennent membres de l’Organisation sioniste pendant qu’on y est. Olmert est patient. Il est prêt à attendre deux ans.
Pendant ces deux ans, on espère que les Etats-Unis et la communauté internationale reconnaîtront les frontières « permanentes » que le gouvernement Olmert veut fixer « unilatéralement », à sa guise, sans l’accord des Palestiniens et sans même parler avec eux.
Au cours de ces deux années, le gouvernement ne fera rien pour la paix. Au contraire, il agrandira les blocs de colonies afin de préparer le logement des colons qui y seront transférés, le moment venu, des colonies isolées. C’est-à-dire : tout d’abord, les grandes colonies seront annexées et étendues et après cela, si Dieu le veut, quelques petites colonies seront démantelées. Selon ce plan, tous les colons resteront de l’autre côté de la Ligne verte. Olmert a déjà repoussé d’un revers de main la suggestion de donner une compensation financière aux colons qui souhaiteraient revenir maintenant en Israël.
ET QUELLE EST la vraie bonne nouvelle ? Ce gouvernement parle publiquement de la « partition du pays » comme « vitale pour le sionisme ». Il parle du retrait de « la plus grande partie de la Judée et Samarie » et du démantèlement de colonies. Cela montre un grand changement dans l’opinion publique.
Un des leaders racistes à la Knesset, Effi Eytan, s’est écrié qu’« il n’y a aucune majorité juive pour un retrait ». On devrait le renvoyer à l’école élémentaire pour apprendre l’arithmétique. Il est vrai que selon les comptes racistes nationalistes, il n’y a que 58 membres juifs à la Knesset en faveur du retrait (28 membres juifs de Kadima, 17 du parti travailliste, sept Retraités, cinq Meretz, le membre juif du Hadash). Mais contre eux, seuls 50 membres juifs s’opposent au retrait (Likoud, Shas, les Orthodoxes, les gens de Liberman et l’Union nationale). Les 12 membres restants sont arabes, et ils sont censés soutenir le retrait (1 de Kadima, 2 du parti travailliste, 2 Hadash, 3 Balad, 4 du Parti arabe uni).
Par conséquent, il y a non seulement une large majorité à la Knesset (70 contre 50) pour la partition du pays, mais même une « majorité juive » (58 contre 50). Cela est un changement géologique de l’opinion publique, signe d’un processus en cours, lent mais massif.
PEU DE GENS croient que ce gouvernement va vraiment durer quatre ans et demi. Le sentiment général est qu’il tombera dans deux ans, quand la « Convergence » est censée démarrer. A ce moment-là, le Shas fera probablement sécession.
Olmert nous a demandé de patienter. Très bien, puisque nous devons patienter en attendant de nouvelles élections.