La responsabilité de cette situation désespérée peut être attribuée non seulement à l’Etat d’Israël qui mène une politique d’occupation et de colonisation de ces territoires depuis quarante années mais aussi à l’ensemble des gouvernements de la communauté internationale qui n’ont jamais assumé leurs responsabilités pour tenter de mettre fin à cette situation dramatique. Bien au contraire, les sanctions politiques et économiques qui ont été appliquées au gouvernement palestinien, principalement par les Etats-Unis et l’Union européenne à la suite de l’élection du Hamas, mouvement religieux intégriste, au Parlement au mois de janvier 2006 ont principalement touché la population palestinienne déjà très durement éprouvée par l’occupation. Des responsables palestiniens dont certains sont dans les prisons israéliennes avaient tenté de mettre fin à ces sanctions et aux dissensions qui existaient entre le Hamas et le Fatah, parti politique du président palestinien actuel, Mahmoud Abbas, en rédigeant un document d’entente national qui a servi de base à la mise en place du gouvernement d’Union nationale. En intégrant ce nouveau gouvernement, le Hamas reconnaissait implicitement l’Etat d’Israël sur la base des accords passés entre l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) et Israël. Malgré ces efforts politiques, les Etats-Unis et l’Union européenne n’ont pas accordé leur soutien à ce gouvernement, ce qui a grandement contribué à sa perte.
La victoire israélienne sur les armées arabes qui a abouti à la conquête de la bande de Gaza, de la Cisjordanie, du plateau du Golan syrien et de la péninsule du Sinaï restitué par la suite à l’Egypte a entraîné des effets psychologiques durables et antagonistes sur les sociétés arabes et israélienne : pour les sociétés arabes, Israël est invincible tandis que pour la société israélienne, Israël devra lutter continuellement pour sa survie, ce qui conduira le gouvernement israélien a adopter une politique sécuritaire fébrile qui justifiera l’annexion, l’occupation et la colonisation de nombreuses terres arabes. Pour la société palestinienne, la victoire israélienne est une deuxième Nakba , catastrophe en arabe ; les nombreux réfugiés de cette guerre s’ajoutent à ceux qui ont été expulsés au cours de la guerre de 1948.
Cependant, d’après des analystes israéliens, cette victoire israélienne de 1967 restera unique. Dans les années qui suivront, Israël devra faire des concessions importantes :
Les négociations de Camp David entreprises en 1977 et qui ont entraîné la restitution du Sinaï à l’Egypte suivront la guerre de Kippour qui commence en 1973 ; les accords d’Oslo qui débutent en 1993 marquent la fin de la première Intifada, révolte palestinienne, qui a débuté en 1987 ; le retrait inconditionnel de l’armée israélienne du Liban en 2000 qui n’a pas pu détruire l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), représentation politique des Palestiniens, suit l’invasion du Liban qui a eu lieu en 1982 ; le démantèlement des colonies de peuplement à Gaza en 2005 se produit à la fin de la deuxième Intifada qui a débuté en 2000 ; quant à la guerre des 33 jours au Liban qui a eu lieu au cours de l’été 2006, elle s’est terminée sans que l’armée israélienne puissante et ultra-sophistiquée ait pu vaincre les combattants du Hezbollah.
Au cours des quarante années qui ont suivi la guerre des Six-jours en 1967, la volonté de construire la paix était loin d’être absente dans les sociétés palestinienne et israélienne. Juste après la guerre, des Israéliens s’opposent clairement à l’occupation des territoires arabes nouvellement conquis et réclament leur restitution immédiate. Le Matzpen, la boussole en hébreu, mouvement politique laïc et de gauche qui prône l’instauration du socialisme et de l’internationalisme pour les Etats du Moyen-Orient à la place de l’impérialisme, du sionisme et du nationalisme arabe, s’exprime en ces termes « [...] Malgré les rapports de force militaire actuels, Israël reste une île minuscule au cœur du monde arabe. Exploiter le rapport de forces militaires présent pour tenter d’imposer des réalités aux Arabes se retournera contre Israël dans le futur, avec le changement - inévitable à long terme - de ce rapport de force. Tout « arrangement » imposé par une position de force ne peut être que provisoire et donc illusoire » [1]. De même les propos émanant de personnalités juives pieuses telles que Yeshayahu Leibowitz ou le rabbin Amram Blau trouvent une résonance particulière dans le Moyen-Orient d’aujourd’hui : « Si les sionistes avaient le moindre bon sens [...], ils proposeraient aux Etats arabes de former une confédération englobant les Palestiniens qui ainsi récupèreraient leurs droits. On fait la paix quand on est fort. [...] Par cette guerre éclair, ils s’imaginent avoir gagné. Ils sont sans doute aujourd’hui au summum de leur puissance. C’est la descente qui va maintenant commencer [...]. Les sionistes possèdent maintenant des centaines de milliers d’ennemis à l’intérieur de leurs frontières. Nous sommes tous ici en très grand danger » [2].
Ces thèses sont reprises aujourd’hui par des Israéliens et de nombreux juifs de la diaspora qui refusent que l’Etat d’Israël commette des crimes en leur nom.
Les gouvernements israéliens qui se succèderont, non seulement ne profiteront pas des conseils avisés émanant de la société civile ou même parfois de l’état-major mais ne respecteront jamais les différentes résolutions adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Ainsi dès 1967, le plan Allon du général du même nom est appliqué. Ce plan stipule l’installation d’une ceinture de sécurité autour de Jérusalem, l’implantation de grands blocs de colonies en Cisjordanie, le long de la ligne verte (ligne d’armistice de 1967), dans la vallée du Jourdain et à l’intérieur du territoire. La Cisjordanie est de ce fait coupée en trois régions distinctes.
Cinq ans plus tard, un ancien ministre israélien déclarera : « Toute cette histoire sur la danger d’extermination a été inventé dans chaque détail et exagéré à postériori pour justifier l’annexion de nouveaux territoires arabes » [3]. Cependant l’entreprise de colonisation reste faible à cette époque, elle va connaître un essor important au moment des accords d’Oslo ; le nombre de colons qui se sont installés dans les territoires palestiniens entre 1993 et 2000 sera presque équivalent au nombre de colons qui se sont installés au cours des seize années précédentes. L’absence de résultats concrets, l’assassinat du Premier ministre israélien Itzak Rabin par un colon israélien extrémiste ainsi que la provocation du général Ariel Sharon déambulant sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem auront raison de tous les efforts entrepris pour engager des négociations de paix. La deuxième Intifada se déclenche en 2000.
Dés 1975, Ariel Sharon qui sera élu Premier ministre en 2001, déclare ouvertement que son but est d’empêcher la création d’une entité palestinienne. Il est aussi l’architecte du mur de l’annexion et de l’apartheid qui est construit en Cisjordanie au-delà de la ligne verte, qui entoure les grands blocs de colonies isolant les villages palestiniens, des quartiers situés dans de grandes villes comme Jérusalem,...et qui rend extrêmement difficiles voire impossibles les déplacements des habitants. Ce mur présenté par les responsables israéliens comme une « barrière de sécurité » a été condamné par la Cour Internationale de Justice (CIJ) en 2004. Dans son avis consultatif, la cour demande notamment l’arrêt de sa construction, son démantèlement et la réparation des dommages qui ont été faits aux Palestiniens pour sa construction. Cet avis a été repris par les 25 pays de l’Union européenne mais n’est toujours pas appliqué.
De même la Feuille de route, plan de paix international qui a été élaboré en 2003 par l’ONU, les Etats-Unis, la Russie et l’Union européenne et qui demande dans sa phase I, le gel de la colonisation n’est toujours pas respecté par le gouvernement israélien qui l’a pourtant amendé à plusieurs reprises alors qu’il a été accepté dans sa globalité par le gouvernement palestinien.
Aujourd’hui, un peuple est privé de ses droits les plus fondamentaux ; droit de circuler librement, de vivre normalement sur ses terres... Le taux de chômage atteint 40 % environ en Cisjordanie et 60 % à Gaza. D’après de récents rapports d’Amnesty International et de la Commission des droits de l’Homme à l’ONU, la pauvreté augmente ; environ 70 % des Palestiniens vivent en dessous du seuil de la pauvreté dont de nombreux enfants.
En 37 ans, 46 % de la Cisjordanie est passée sous contrôle israélien dont la grande vallée fertile du Jourdain située à l’est de la Cisjordanie. De nombreux puits ont été annexés. 255 km de murs sont construits dont 130 km à Jérusalem. La partie occidentale du mur annexera 11 % des terres palestiniennes. Les colonies, le mur, les routes de contournement qui sont construites pour permettre aux colons de circuler librement entre les blocs de colonies jusqu’en Israël sans passer par les régions habitées par les Palestiniens, occupent 30 % de la Cisjordanie.
Les Palestiniens doivent se munir de permis de résidence, de circulation pour se déplacer au travers de la Cisjordanie qui est jalonnée par 546 obstacles physiques (check-points, routes coupées, portes aménagées dans le mur), d’après un rapport de la Banque mondiale parût en 2007. L’accès aux grandes villes comme Jérusalem ou dans la vallée du Jourdain est refusé à de nombreux habitants de la Cisjordanie. En ce qui concerne le mur, seulement 26 des portes aménagées sur 61 sont ouvertes toute l’année. 90 % des routes traditionnelles sont endommagées. La Cisjordanie est morcelée à l’image de bantoustans sans liaison entre eux.
Quant à Gaza, c’est une « prison à ciel ouvert » dont les accès à Israël, à l’Egypte sont entièrement sous contrôle israélien.
Ancien président de l’Agence juive puis de la Knesset, Avraham Burg emploie des mots très forts pour décrire le climat d’occupation et de colonisation des territoires palestiniens « [...] Rien n’est plus agréable que d’être sioniste à Beth El ou Ofra. Le paysage biblique est enchanteur. Par la fenêtre égayée de géraniums et de bougainvilliers, on ne voit pas l’occupation. On circule vite et sans problème sur la nouvelle route qui longe Jérusalem du nord au sud, à 1 km seulement à l’ouest des barrages. Qui va se soucier de ce que subit l’Arabe humilié et méprisé, obligé de se traîner sur des routes défoncées et interrompues par des barrages pendant des heures ? Une route pour l’occupant, une route pour l’occupé. Pour le sioniste, le temps est rapide, efficace et moderne. Pour l’Arabe « primitif », manœuvre sans permis en Israël, le temps est d’une lenteur éprouvante. Mais cela ne peut pas durer. Même si les Arabes courbent la tête et avalent leur humiliation, le moment viendra ou plus rien ne marchera. Tout édifice bâti sur l’insensibilité à la souffrance d’autrui est appelé à s’effondrer avec fracas. Attention à vous ! Vous dansez sur un toit reposant sur des piliers qui chancellent ! [...] » [1].
La politique d’apartheid qui est menée par le gouvernement israélien, voie sans issue pour les deux sociétés palestiniennes et israéliennes qui de toute façon devront vivre ensemble est critiquée quotidiennement par des organisations israéliennes qui oeuvrent au côté des Palestiniens pour la construction de la paix au Proche-Orient. Les manifestations qui rassemblent à la fois des Palestiniens et des Israéliens pour protester contre la construction du mur, la création du « collectif israélien - palestinien - international pour la fin de l’occupation et pour une paix juste » montrent qu’il existe des liens forts entre les deux sociétés israélienne et palestinienne au-delà des enjeux géostratégiques qui se trament dans la région. Ce sont ces mêmes liens qui auront un rôle de première importance au cours des négociations futures qui aboutiront à de véritables accords de paix.
[1] La révolution sioniste est morte. Voix israéliennes contre l’occupation, 1967-2007, Michel Warshawski, La Fabrique éditions, 2007.
[2] Au nom de la Torah. Une histoire de l’opposition juive au sionisme, Yakov M. Rabkin, Les Presses de l’Université de Laval, 2004.
[3] Les emmurés. La société israélienne dans l’impasse, Sylvain Cypel, édition la Découverte, 2005.
Les chiffres concernant le mur sont disponibles sur le site : www.pal-arc.org