Sur le fond, c’est l’Europe qui a été interpellée, pour qu’elle assume enfin ses responsabilités historiques, pour qu’elle ne se contente pas du seul rôle économique auquel elle a accepté d’être reléguée et joue enfin un véritable rôle politique.
Animateur des débats, Denis Sieffert [1] développe aussi un point de vue. Pour lui, évoquer des perspectives nécessite à la fois de de poser un diagnostic et de nommer les faits. En l’occurrence, dit-il, il s’agit d’un conflit colonial, pour lequel la solution s’appelle donc décolonisation. Et Denis Sieffert d’interroger, spécifiquement, le rôle et la responsabilité de l’Union européenne.
C’est à cette interrogation que répondent en premier lieu les différents invités.
Si Gideon Levy [2]rappelle tout d’abord qu’il est « un produit du système d’enseignement israélien » et n’avait jamais entendu parler de la Naqba durant son parcours scolaire, c’est bel et bien le monde entier, et l’Europe en particulier, qui est silencieux ; et pas seulement silencieux, insiste-t-il : il collabore. Considérant que l’occupation est de plus en plus brutale au fil des ans, insistant sur le siège de Gaza, il témoigne aussi d’une « honte » : ce sont ses enfants, ses amis, son armée qui « font ça », dit-il. Posant la question la question « où étiez-vous pendant le siège de Gaza ? » Mais il rappelle aussi que le monde ne bouge pas. Pour lui, les Israéliens ne veulent pas savoir ce qui se passe dans cette « arrière cour de la démocratie » Or, affirme-t-il, on ne peut pas être une démocratie à moitié.
Etre ami d’Israël, poursuit-il, c’est dire qu’on a le droit et le devoir de critiquer sa politique, de ne pas suivre aveuglément la politique américaine et israélienne. Il ne faut pas s’arrêter de critiquer. Et de rappeler, notamment : on a dit qu’on ne pouvait pas négocier avec Arafat, puis Arafat est mort ; Abbas est venu au pouvoir, on a dit qu’on ne pouvait pas négocier avec Abbas parce qu’il était trop faible ; puis on dit qu’on ne peut pas négocier avec le Hamas pour des raisons de principe…Aussi prévient-il : « nous n’avons pas beaucoup de temps ».
Véronique de Keyser [3], elle, fait part de sa colère contre l’Europe. Elle rappelle sur quoi repose tout le partenariat de l’Union européenne avec les pays tiers méditerranéens : les accords d’association comportent une conditionnalité ; celle du respect des droits humains. Or, insiste-t-elle, Israël viole les droits humains, régulièrement, et singulièrement ces dernières années avec l’intensification de colonisation, le mur, la colonisation de Jérusalem-Est, l’asphyxie de la bande de Gaza. Et cependant, l’UE renforce ses liens avec Israël, qui « va être la fille aînée de l’UE ».
En outre, souligne Véronique de Keyser cela se fait dans les couloirs du Conseil européen, sans consultation du parlement.
Est-il pour autant impossible d’agir au niveau européen ? Pour elle, c’est non. Mais un constat s’impose : si l’Europe a eu le courage de se diviser sur l’Irak, ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’Europe a suivi les Etats-Unis dans les décisions les plus tragiques et c’est inqualifiable ; l’Europe a choisi ses interlocuteurs, et c’est aussi inqualifiable, souligne la députée européenne, qui évoque elle aussi une collaboration avec le siège de Gaza. L’Europe, certes, dépense et en l’occurrence pour ce que démolit l’occupation. Au fond, « Nous n’en finissons pas d’être hypocrites vis-à-vis de la Palestine », dit-elle.
Le projet de Nicolas Sarkozy d’Union méditerranéenne s’inscrit dans cette démarche, estime-t-elle, qui ne consiste à condamner l’occupation, mais à revaloriser le statut d’Israël.
D’où un appel : il ne s’agit pas d’être honteux d’être Européens, mais d’être capables de mettre un terme à ce que fait l’Europe au nom de ses citoyens.
Pour Adel Atieh [4], l’Europe a les moyens d’une vraie pression mais ne les utilise pas. Contribuer financièrement ne saurait compenser ce qu’on ne fait pas sur le plan politique. Ce dont a besoin la population de la bande de Gaza, souligne-t-il en substance, c’est moins de beurre ou de sucre que d’une position politique claire de l’Europe, susceptible de forcer Israël à respecter ses engagements.
Et d’ajouter que l’argent dépensé dans ces conditions (aussi nécessaire soit-il) bénéficie à l’occupation israélienne, à son économie : si les Palestiniens sont empêchés de produire, les rares biens de consommation qu’ils consomment sont pour une grande part importés d’Israël.
L’UE dit-il, pratique en outre une politique de deux poids deux mesures. D’un côté, elle emploie un langage très « soft » lorsqu’elle demande à Israël le gel des colonies. De l’autre, elle a forcé les Palestiniens à modifier, notamment, leurs institutions.
On ne sait même pas ce qui se passera en 2008 s’il n’y a pas un Etat indépendant, ajoute-t-il.
L’Europe a, plus que les Etats-Unis, les moyens d’exercer des pressions contre Israël, souligne-t-il. Il est possible de faire pression sur Israël pour qu’il respecte les engagements pris, singulièrement la feuille de route, dont l’UE a été le principal architecte, insiste-t-il. Elle en a les moyens, et la responsabilité. D’autant, rappelle-t-il, que les violations du droit international, comme la poursuite de la construction du Mur en Cisjordanie, ne sont pas seulement des violations des droits des Palestiniens, mais aussi du droit édicté par la communauté internationale.
Etienne Pinte [5] insiste pour sa part sur la nécessité d’agir. Il rappelle trois déclarations importantes de Nicolas Sarkozy en décembre 2007 : Israël doit se retirer de Cisjordanie, le gel complet de la colonisation est une priorité et les points de passage de et vers la bande de Gaza doivent être rouverts. Pour lui, « seule une action politique rapide, novatrice et courageuse pourra changer la réalité de cette longue occupation ».
Il rappelle les propos de Pierre Duquesne, diplomate français qui a préparé la conférence des donateurs : « Il sera peut-être nécessaire d’exercer une pression politique, d’une manière ou d’une autre, à des niveaux politiques » [6]. Cependant, regrette-t-il, personne ne propose d’action. C’est pourquoi il formule des propositions : la suspension de l’accord d’association, une présence plus forte sur le plan civil de l’Europe en Palestine si la Palestine en est d’accord, et une véritable action en faveur des Gazaouis et e la levée du blocus. Et de rappeler à ce sujet que l’Europe a su agir durant le blocus de Berlin. Pourquoi n’y aurait-il pas une volonté politique d’aider d’une autre manière les Gazaouis à vivre et à survivre, demande-t-il, faisant référence au discours de Phnom-Pen de De Gaulle sur le droit des peuples à l’autodétermination.
Zyad Abou Amr s’adresse à la foule attentive : « J’espère que bientôt nous fêterons ensemble en Palestine la fin de l’occupation », dit-il, ajoutant qu’un paradoxe doit prendre fin : les uns commémorent leur Etat, les autres la Naqba. Ce paradoxe, souligne-t-il, ne se terminera que par la fin de l’occupation et le droit donné aux Palestiniens de choisir le retour vers leur foyer.
Pourtant, aujourd’hui, non seulement le siège se perpétue, mais une nouvelle agression se prépare. Shamir avait dit que la négociation durerait vingt ans ; plus de seize ans sont passés, sans aboutir. La colonisation s’intensifie, et il est possible de craindre une nouvelle Naqba. Il faut empêcher qu’elle n’arrive, dit-il. De même que le siège de Gaza doit prendre fin. La vie à Gaza n’est plus possible ; les gens ne peuvent plus y vivre comme des êtres humains.
Et de souligner : « l’occupation est la source de tous les maux dont nous souffrons en Palestine et dans la région arabe ».
Zyad Abou Amr [7] revient à son tour sur la responsabilité de l’Europe. Car il ne croit pas que l’Europe fait ce qu’elle doit faire pour assumer ses responsabilités vis-à-vis du peuple palestinien. Si les Etats-Unis sont alignés sur la politique israélienne, « nous savons que l’Europe est un allié stratégique d’Israël », précise-t-il.
Cependant, si les dirigeants d’Israël croient gagner en faisant traîner les négociations, ils se trompent, commente-t-il. « Car ne pas aboutir à deux Etats, c’est aboutir à un seul Etat binational sur la totalité de la terre historique » de la Palestine. L’opinion publique en vient à se rapprocher de cette option, car la solution fondée sur deux Etats est de moins en moins possible. Faute d’aboutissement de la solution des deux Etats, les Palestiniens seront unifiés sur cette base et mèneront une lutte pacifiste pour faire tomber le régime d’apartheid qui sévit. C’est donc à Israël « de choisir vite, car le temps ne permettra pas de mener longtemps des négociations », estime-t-il.
Quant à l’unité nationale palestinienne, « c’est une question de prime importance pour nous », dit-il. « Le peuple palestinien ne peut pas être divisé » et il s’agit d’agir, ajoute-t-il, pour la réunification du peuple palestinien, rappelant que certains « entrent en action chaque fois que nous approchons d’une réunification »…
Pour Zyad Abou Amr, il s’agit d’« avancer unis pour ériger notre Etat indépendant ou l’Etat unique binational ».
La question du dialogue avec le Hamas est aussi une question posée à l’Europe.
Véronique de Keyser souligne l’absence de volonté de l’Europe d’avoir une politique distincte de celle de George W. Bush. Pourtant, pour elle, il n’y a aucune raison de ne pas avoir ce dialogue. La Russie, qui est membre du quartette, a rencontré le Hamas. Et la parlementaire rappelle qu’en juillet 2006, elle avait elle-même proposé que la communauté européenne et la France ouvrent le dialogue avec le Hamas mais également avec le Hezbollah libanais.
Gideon Levy pour sa part s’étonne que le monde parle avec le monde entier sauf avec le Hamas. « Si on veut parler au peuple palestinien, il faut bien parler avec ses représentants », dit-il, ajoutant que si l’on veut faire la paix, il faut pouvoir parler avec ses pires ennemis. Et de conclure qu’« en tant qu’Israélien », il veut vivre « dans un Etat juste ».