Les mêmes causes produisent les mêmes effets. En 1995, deux ans après la signature de la « Déclaration de principes » israélo-palestinienne, l’Europe imaginait un nouvel espace méditerranéen à vocation essentiellement économique, visant le libre échange à l’horizon 2010 entre l’UE les Etats de la rive sud de la Méditerranée ainsi que la toute jeune Autorité nationale palestinienne. La paix israélo-palestinienne était alors imaginable et le processus de Barcelone s’est fondé explicitement sur la Charte des Nations unies, de même que les divers accords d’association qui en ont découlé ont engagé les parties contractantes, selon leurs articles 2, au respect du droit international et des droits humains. Le processus de Barcelone dispose aussi d’un volet sécuritaire et de dialogue politique et d’un volet culturel. Mais si marchandises et capitaux ont été voués au libre échange, Barcelone a aussi porté le projet d’une limitation des flux migratoires du sud vers le nord. Douze ans plus tard, son bilan est calamiteux. Compte tenu des inégalités entre le nord et le sud ; mais aussi sinon surtout parce que le processus économique est grippé par l’impasse du processus politique, et principalement par la poursuite de l’occupation coloniale de la Palestine par Israël.
Au-delà même des défections au Sommet de Paris, les initiateurs de cette nouvelle « Union » limitent officiellement ses ambitions à des projets de coopération (dépollution de la Méditerranée, énergie solaire, sécurité civile, développement des « autoroutes de la mer »...), dans l’ignorance de l’impasse politique et de la nécessité d’une solution politique au conflit israélo-palestinien. En outre, le projet vise lui aussi à limiter les flux migratoires, et Nicolas Sarkozy envisage également de créer une alternative à l’adhésion de la Turquie à l’UE et de tenter de constituer un front dans le climat de tension actuel avec l’Iran, voire de faire taire les réticences dans l’hypothèse d’une confrontation.
Pour le porte-parole du chef du gouvernement israélien, Mark Regev, « Israël a toujours considéré qu’il est de l’intérêt de tous les peuples de la Méditerranée de renforcer leur coopération et c’est bien pourquoi nous nous félicitons de participer à l’Union pour la Méditerranée ». Le négociateur palestinien Saëb Erakat n’est pas dupe : « aucun projet de coopération régionale ne peut fonctionner pleinement si l’occupation israélienne se poursuit », commente-t-il, ajoutant que « les pays concernés doivent pousser Israël à mettre fin à l’occupation des territoires palestiniens ».
Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, n’a pas hésité à affirmer quelques heures avant l’ouverture du sommet qu’« Un rêve est en passe de se réaliser », mais la réalité sur le terrain le contredit.
Le 10 juillet, un Palestinien était tué par l’armée israélienne dans le sud de la bande de Gaza, en dépit de la trêve entre Hamas et Israël entrée en vigueur le 19 juin. A Naplouse, en Cisjordanie, l’armée israélienne avait mené la veille un raid dans les locaux de la mairie, confisquant documents et ordinateurs, alors que le maire, Adli Yaaïch, et son adjoint Mahdi Al-Hanbali sont toujours emprisonnés en Israël, et ce depuis plus d’un an. L’armée a aussi volé trois bus de ramassage scolaire d’une école de Naplouse, et ordonné la fermeture d’un centre commercial, menaçant les commerçants de cinq ans de prison. Plusieurs locaux d’associations liées au FPLP et au Hamas et ceux d’une chaîne de télévision ont aussi été visés.
A Nilin, un village de l’est de Ramallah, les soldats israéliens se sont opposés le 9 juillet à plus de 200 manifestants protestant contre la poursuite de la construction du mur d’annexion qui les prive de leurs terres. Une manifestation organisée à l’occasion du quatrième anniversaire de l’avis de la Cour internationale de justice (CIJ), qui le proclame illégal et réclame son démantèlement. En mai 2008, pourtant, le mur mesure déjà 409 kilomètres soit 57% du tracé prévu par Israël. De même, la municipalité israélienne de Jérusalem a lancé un appel d’offres pour la construction de 920 logements dans la colonie de Har Homa.
Ce n’est pas d’un affichage médiatique au Grand Palais que la paix a besoin, mais de véritables initiatives politiques. L’Europe, et sa présidence aujourd’hui française, doivent agir concrètement en sanctionnant la politique israélienne, pour qu’Israël cesse de violer le droit international et ses propres engagements. Le respect du droit international est une condition sine qua non de la paix.
Paris,
Le 13 juillet 2008.