Depuis longtemps des Palestiniens agissent avec non-violence. Même si c’est sans stratégie finement élaborée sur un moyen ou long terme, il importe d’en faire mémoire pour leur apporter notre soutien.
Il peut paraître paradoxal, en cette période où l’escalade de la violence au Proche-Orient semble incontrôlable, de se pencher sur les exemples de non-violence en Palestine. Il est vrai que c’est une stratégie que les partis et mouvements de la résistance palestinienne n’ont jamais vraiment envisagée ou jugée praticable de manière durable.
Pourtant, dès le début de la colonisation britannique et juive de la Palestine, on a vu apparaître des luttes non-violentes, individuelles ou collectives. Ce choix spontané ou structuré de la société civile palestinienne de répondre à l’occupation par la non-violence reste d’actualité, malgré la brutalité exacerbée de la situation depuis trois ans en Palestine occupée.
L’occupation britannique, le début de l’implantation juive
Dès la fin du dix-neuvième siècle, l’immigration juive orchestrée par le mouvement sioniste de Herzl prend des allures ouvertement conquérantes. Les élites palestiniennes perçoivent cette menace avec inquiétude. Certains choisissent de s’organiser en formant des associations ou en créant des journaux, pour mettre en garde la population contre le projet sioniste. C’est en refusant de vendre leurs terres que nombre de grands propriétaires terriens, dans la crainte d’être dépossédés, résistent. Les deux options sont pacifiques. Les deux trouvent très vite leurs limites.
En 1922, la communauté internationale balbutiante va confirmer le mandat sur la Palestine octroyé par la Société des Nations à la Grande-Bretagne à l’issue de la Première Guerre mondiale. Cela fait déjà cinq ans que la Palestine est occupée par les troupes britanniques et que la Couronne britannique a promis aux juifs un foyer national.
La présence coloniale ne reconnaît pas les Palestiniens autrement que comme un obstacle à la création d’un État juif qu’elle continue d’encourager. Les Palestiniens, sans stratégie unifiée à la suite de dissensions initiées et attisées par les Britanniques, doivent faire face à la fois à la puissance mandataire et à l’établissement de colons sionistes toujours plus nombreux. Leur première approche est politique, pacifique, mais toutes les demandes politiques d’indépendance sont rejetées systématiquement par la puissance mandataire.
Entre les deux guerres mondiales, des grèves générales succèdent à des émeutes, des manifestations et des congrès alternent avec des attaques de colonies juives. Les femmes de Palestine aussi sont dans la rue. Dès les années 1920, elles ont compris l’enjeu, elles organisent des marches pacifiques contre l’occupant britannique et la colonisation juive qui se développe.
C’est dans ce contexte extrêmement tendu qu’une émeute éclate à Jérusalem en 1929. Elle va s’étendre, à Hébron quatre-vingts juifs sont massacrés. Ce qu’on souligne rarement, c’est la détermination courageuse de nombreux Palestiniens qui font tout pour protéger les juifs alors menacés. Ils le font par humanité, par morale, mais également par souci de maintenir la coexistence ancienne entre les deux communautés.
C’est pendant la longue révolte palestinienne, commencée en 1936, que la désobéissance civile trouve son expression collective. Exigeant l’arrêt de la colonisation juive, réclamant l’indépendance, les Palestiniens se soulèvent en avril. Malgré la répression, ils organisent une grève générale qui va durer près de six mois. Structurés autour de Amine Husseini, le mufti de Jérusalem, les Palestiniens font la grève de l’impôt, des transports, de l’éducation ou de la justice. Alors « la Palestine instaure le boycott de l’État » (Sanbar).
Mais quand les Britanniques envisagent, déjà, un partage très défavorable aux Palestiniens, ceux-ci, qui avaient arrêté leur mouvement pour négocier, se lancent véritablement dans la résistance armée. Dans cette guerre de guérilla, la résistance des villageois apparaît immédiatement dans le soutien logistique aux groupes armés palestiniens. En leur apportant nourriture et cachettes, la population des villages défie les ordres de l’occupant et permet aux combattants des victoires qui menacent les Britanniques, jusqu’en 1939.
La terrible répression de la Couronne met alors fin pour longtemps à l’expression non-violente de la résistance palestinienne : destructions de maisons, punitions collectives, une clôture de sécurité électrifiée, couvre-feux et déportations — sinistres annonciateurs des pratiques iniques des gouvernements israéliens un demi-siècle plus tard — viennent museler les Palestiniens.
Israël
La Seconde Guerre mondiale semble inévitable. La Grande-Bretagne mandataire, en quête d’alliance supplémentaire contre l’Allemagne nazie, prend des positions prudentes en Palestine. Pour s’attirer un soutien arabe, elle propose un État palestinien à court terme, une immigration juive limitée et une protection du droit des Palestiniens sur leurs terres. Les Palestiniens sont affaiblis, divisés depuis 1939 et restent sur une ligne attentiste. L’Agence juive s’oppose au Livre Blanc de Londres. Certains Israéliens veulent déjà se lancer dans la lutte armée contre la puissance mandataire. Dans le même temps, l’immigration illégale de juifs prend d’autant plus d’ampleur que la situation se dégrade gravement en Europe.
La guerre de 1939-45 éclate, et quand elle se clôt après cinq ans de massacres en Europe, les victimes se comptent par millions : résistants, communistes ou autres, et surtout des millions de juifs. Le génocide, l’innommable de la barbarie nazie alimentent la demande d’un État juif par le mouvement sioniste, soutenu par les Britanniques pendant ces cinq années.
Sur fond d’hégémonie naissante des États-Unis, dans un contexte de guerre froide annoncée, la Grande-Bretagne mandataire est soumise au terrorisme sioniste. Elle finit par accéder aux demandes de Washington qui entame une relation privilégiée avec les dirigeants sionistes. Un rapport est fourni, sur la base de rencontres organisées par l’Agence juive, qui amène les envoyés à interroger surtout des immigrants. Bien que la moitié des rescapés juifs du génocide déclare par ailleurs préférer se rendre aux États-Unis, les Nations unies ignorent les voix pacifiques, juives et palestiniennes, qui prônent la coexistence. Les Nations unies décident de la création d’un plan de partage en 1947.
La Nakba
Le partage est inégal. Les Palestiniens deviennent des réfugiés chez eux et les sionistes se préparent à la conquête du pays. Dès avril 1948, alors que les Nations unies annoncent une pause de leur plan, la Hagana (branche militaire du mouvement sioniste) attaque et défait des forces palestiniennes réduites dans un combat disproportionné. C’est pour reconquérir le territoire dévolu aux Palestiniens par le plan de partage, que les armées arabes entrent en guerre en mai 1948. Ben Gourion déclare alors unilatéralement la création de l’État d’Israël, immédiatement reconnu par les États-Unis.
La défaite arabe est consommée, la Nakba commence. Dans une ambiance de fin du monde, chassés, terrorisés, massacrés, avec comme seul choix le départ ou la mort, les Palestiniens doivent se résoudre à partir.
C’est alors que se manifeste à nouveau une résistance non-violente, récurrente dans la société palestinienne. Fermant la porte de la maison sur leurs vies, leurs espoirs, ils en emportent la clé, toujours conservée. Ils sont jetés par milliers sur le chemin de l’exode et de l’exil mais ils ne vont jamais renoncer à faire vivre leur histoire, leur culture, leur avenir.
Par la tradition maintenue, les familles dispersées ou reconstituées au fil des errances font vivre la Palestine. Dans les camps de réfugiés — qui sont devenus depuis si longtemps le foyer temporaire des Palestiniens dépossédés de tout —, les quartiers se sont constitués sur la base des villages d’avant l’expulsion, dont plus de quatre cents ont été rasés depuis. Les petits-enfants se disent toujours du village dont les grands-parents ont été violemment chassés. Cette détermination à faire vivre l’histoire et la tradition familiale, villageoise et nationale, s’accompagne de la volonté des nouvelles générations de développer l’éducation et de s’ouvrir sur le monde, de se construire un avenir sans rien oublier du passé. Le nombre de diplômés palestiniens dans la diaspora et en Palestine en atteste.
Ce refus du renoncement et cette capacité à faire face à la volonté coloniale affirmée d’éradiquer la culture palestinienne sont des formes de la résistance qui défait depuis cinquante-cinq ans le rouleau compresseur israélien. L’exigence du retour, ou tout du moins de la reconnaissance de ce droit qui, de Beyrouth à Toronto ou d’Amman à Balata, anime des centaines de milliers de réfugiés, est une réalité. Inaliénable, comme l’identité palestinienne.
Les années fedayin
Assujettis, démunis, les Palestiniens reconstituent dans les camps, les villes, et hors du pays, un semblant de tissu national. C’est des étudiants que viendra le mouvement de libération, d’abord nationaliste ou panarabe, révolutionnaire ou anticolonial sur fond de « rapports mouvementés avec les régimes arabes » (Sanbar). La lutte armée se prépare sur une ligne claire : le retour. Elle commence à l’aube du 1er janvier 1964, dont l’anniversaire était encore célébré en 2003 par une fresque éclatante sur les lambeaux de murs de la Muqata’a à Ramallah, actuel quartier général du président Yasser Arafat. Celui-ci, en 1964, est déjà indissociable de la résistance, lui dont la ténacité, la longévité personnelle et politique à travers cinquante ans de cette lutte meurtrière, se calque sur la capacité des Palestiniens à toujours se relever. Au-delà du symbole indétrônable de la légitimité de la lutte palestinienne, il représente la Palestine qui, quelles que soient les formes de lutte choisies, ne renonce jamais à ses droits et à son avenir.
Ces années seront celles des fedayin avec comme points d’orgue la guerre israélo-arabe de 1967. La victoire palestinienne à Karamé, en 1968, confirme le choix de la lutte armée. Cependant des manifestations non-violentes, des grèves, des boycotts, toute une série d’actions de désobéissance civile apparaissent aussi. Le mouvement des travailleurs volontaires soutenu par les municipalités palestiniennes crée des clubs, des bibliothèques, et même des écoles. Le Front national palestinien, avec des représentants de toute la Palestine, tente en 1973 de s’opposer par des moyens non-violents à l’occupation. Mais Israël réagit par une répression exacerbée : dissolution des conseils municipaux, assassinats ou expulsion des dirigeants. Parallèlement les actions de guérilla se développent de l’extérieur, et culminent dans les attaques spectaculaires des années 1970. Elles imposent la mise en veilleuse pour un temps des stratégies non-violentes en Palestine, tandis que l’occupation israélienne s’installe et envahit tous les aspects de la vie des Palestiniens.
L’Intifada
1987 ! Après vingt ans d’occupation par l’État d’Israël de ce territoire restreint qu’il avait été contraint par les Nations unies de concéder aux Palestiniens, l’explosion qui couvait se produit. De jeunes Palestiniens se lèvent, c’est la révolte des pierres. Les chars israéliens se dressent tout de suite devant les barricades enflammées dans les rues de Gaza et de Cisjordanie. Des jeunes courageux, des gamins souvent, arborent le keffieh et le drapeau que l’occupant leur dénie dans un défi qui paraît dérisoire. Sans armes, ils vont changer l’histoire de leur lutte nationale.
La non-violence va être systématique dans le soulèvement palestinien de 1987 à 1992. Ainsi, à Beit Sahour, près de Bethléem, un groupe de pacifistes palestiniens crée, dès le début de l’Intifada, le mouvement « Rapprochement ». Ils prônent la résistance à l’occupation et à la répression de l’État israélien par la désobéissance civile. Ils organisent une révolte des impôts, et mettent en place de nombreuses activités non-violentes, notamment des écoles clandestines, des jardins pour la paix, des comités de quartiers. Puis dans la période intérimaire, après la signature des accords d’Oslo, alors que la colonisation est officiellement arrêtée, ils s’opposent pacifiquement à la construction de Har Homa, cette colonie qui dépossède les Palestiniens de la colline alors boisée de Abou Ghoneim. Elle est en fait prévue sur la ligne de front de la colonisation qui vise à encercler Jérusalem-est, à la couper de la partie orientale de la Cisjordanie et à en empêcher le développement. Les Palestiniens et « Rapprochement » ne s’y trompent pas, et les pacifistes organisent un camp de la paix pour tenter de résister à cette nouvelle dépossession de leurs terres. Quatre mois de résistance non-violente s’articulent autour de manifestations, d’interposition devant les bulldozers, de travail d’explication à l’intention de l’opinion internationale.
Autre exemple, Mubarak Awad, un autre militant palestinien de la non-violence, crée également un mouvement à la fin des années 1980, basé essentiellement à Jérusalem. Le « Centre palestinien pour l’étude de la non-violence » vise surtout à l’éducation à la résistance non-violente, en incitant, dans les écoles et les clubs qu’il visite, les jeunes à refuser l’autorité de l’occupant, à « remplacer la peur par le courage ». Mubarak Awad réussit, avec des villageois dépossédés, à reprendre la terre aux colons en abattant la clôture autour de la terre volée et en refusant de quitter les lieux, sans qu’une pierre soit jetée. Il en appelle au boycott des produits des colonies, aux pressions diplomatiques, aux manifestations pacifiques, à refuser de reconnaître l’existence des occupants en Palestine. Ce message est suffisamment entendu et repris par les Palestiniens pour que les autorités israéliennes décident d’expulser Mubarak Awad.
Pendant ces années, les jeunes Palestiniens n’en finissent pas de se dresser, et de tomber seuls et sans armes devant les soldats d’Israël. Cette stratégie de soulèvement non armé perturbe l’armée israélienne, habituée à un ennemi militarisé et qui « ne sait pas comment traiter une résistance non violente de masse » (Awad). Les chars et les hélicoptères ultra-modernes de l’État d’Israël sont démunis devant les pierres et les frondes des enfants des camps et des villes de Palestine.
Les femmes
Pendant que des jeunes Palestiniens désarmés sont abattus sur les barricades de l’Intifada, la force de la désobéissance civile est portée par les femmes de Palestine. Comme elles ont su le faire courageusement pendant la guerre de 1967 elles reprennent les manifestations et rassemblements non-violents pour en appeler à la conscience du monde, pour mettre fin à l’occupation. Âmes de la famille et de la maison, elles sont aussi des organisatrices de la résistance non-violente. Que ce soit en faisant face à l’horreur de l’occupation quotidienne, en gérant l’absence, la mort ou l’emprisonnement des hommes de la maison, en maintenant l’identité familiale et collective, les Palestiniennes se lèvent pacifiquement contre la répression et l’occupation. De même, quand elles organisent des comités populaires pour aider les prisonniers, ou pour l’éducation des femmes, elle affirment le refus de l’injustice. Leur implication non-violente dans cette organisation de la société palestinienne sous occupation est « une forme d’affirmation de soi et de libération qui permet aux personnes de rester debout même quand elles sont confrontées à une violence implacable, et de garder leur humanité » (Lucy).
L’Intifada, qui affirme dans la douleur et la lutte la vie et l’identité palestiniennes, accouchera des négociations qui, la guerre du Golfe terminée, mèneront à Oslo.
Les années Oslo
Entre espoir et désillusion, entre exigences et répression, les Palestiniens ne voient aucune amélioration de leur situation. Certes, Yasser Arafat est rentré d’un trop long exil et le drapeau palestinien flotte enfin sur Jericho ou Gaza. Certes les grandes villes autonomes commencent à respirer et prospérer. À Naplouse, les Israéliens viennent visiter les Samaritains sur le Mont Gerizim, puis vont faire tranquillement leurs courses dans la vieille ville. Cependant la colonisation s’accentue, la pression militaire continue à se manifester par des assassinats ciblés ou des bouclages. La répression perdure, comme en 1996, quand des Palestiniens manifestent pacifiquement contre le creusement du tunnel sous l’Esplanade des mosquées à Jérusalem, ce qui va déchaîner une violence meurtrière.
Parallèlement l’asphyxie économique de l’ensemble de la Palestine se met en place. Ce sont « des années hybrides de mi-indépendance mi-occupation…une période de tous les dangers » (Sanbar). Découpage de la Palestine en zones hermétiques, colonisation accrue, maisons palestiniennes détruites, « retards » israéliens à se retirer contrairement à ce qui est conclu dans les accords intérimaires, humiliations quotidiennes, « pour la majorité des Palestiniens, la vie quotidienne s’est dégradée depuis la signature des accords d’Oslo » (Gresh). Aussi quand le 28 septembre 2001 Ariel Sharon impose sa présence et celle de ses centaines de soldats sur l’Esplanade des mosquées, la réaction exaspérée des Palestiniens, reprenant leurs pierres, n’étonne aucun observateur, aucun visiteur des Territoires palestiniens occupés.
L’Intifada Al Aqsa
Le soulèvement populaire de 2001 prend assez rapidement des formes organisées de résistance armée à l’occupation. « Le mépris total et la violation par Israël de toutes les normes et réglementations internationales sous un régime d’occupation prolongé ont été les catalyseurs de l’effondrement du mouvement de résistance non-violente » (Abdel Jawad). Cette stratégie prévaut pendant plusieurs mois, créée et alimentée par les provocations incessantes de l’armée israélienne, par les brutalités criminelles de soldats assurés de l’impunité.
Cependant, dans le même temps, la population palestinienne fait montre encore une fois de sa capacité à résister par sa détermination à continuer à vivre. On s’organise, les campagnes et les villes solidaires en complémentarité, les camps en première ligne de résistance. Les premières cibles aussi. Quand, à la lisière de Naplouse, des tirs de chars, ou des salves provenant des positions militaires israéliennes surplombant Balata, terrifient et assassinent la population civile du camp palestinien, visent les écoles de l’Unwra, amenant des combattants palestiniens à défendre les leurs, c’est tout Naplouse qui proteste. Quand des militants sont assassinés en pleine ville, à coups de missiles tirés des hélicoptères, qui empêchent pour longtemps les petits de dormir, c’est la grève générale en ville.
Quand, la défaite consommée, au printemps 2002, les combattants doivent se replier, c’est la Vieille Ville qui les accueille et en paiera un prix terrible, défigurée à jamais par la barbarie des attaques israéliennes répétées. Mais solidaires, tous les Naboulsis, comme ailleurs en Palestine, se relèvent.
Printemps 2002
L’attaque en règle du gouvernement Sharon, en avril 2002, est si intense qu’elle ne permet pas à la population palestinienne de manifester la moindre résistance organisée. Bien sûr, la solidarité se met en place, par maisons, rues ou quartiers. Dans les rues des villes autonomes réinvesties, où seuls les chars israéliens rôdent, des volontaires courageux d’ONG comme le Secours médical, tentent d’accéder aux blessés, d’évacuer les morts, d’apporter aide ou médicaments aux personnes malades ou démunies. Malgré le couvre-feu imposé vingt-quatre heures sur vingt-quatre les ONG organisent, avec les Internationaux, qui viennent depuis un an déjà manifester pacifiquement leur solidarité avec les Palestiniens de l’Intifada, des manifestations aux check points qui empêchent tout accès aux villes palestiniennes ou à Jérusalem.
De la même manière, c’est avec ces ONG que s’organise sur place la solidarité internationale pour aller protéger, sans arme, la Muqata’a à Ramallah. Oubliant les divergences politiques qui sont l’apanage de toute société démocratique, la société civile palestinienne, par l’intermédiaire du GIPP (Grassroots International Protection for the Palestinians), fait face sans violence. Elle fait front derrière son représentant élu, Yasser Arafat, le président palestinien assiégé dans son QG, avec environ trois cent cinquante civils et militaires. Les Internationaux entrent, restent et partagent avec les Palestiniens encerclés trente trois jours d’un siège très dur, soutenus par les contacts permanents et l’aide logistique de héros anonymes qui, dehors, dans les ambulances criblées de balles, bravent les tirs israéliens pour porter secours aux leurs.
Ramallah, Naplouse, Jénine, Hébron…, aux actes barbares des occupants répond une capacité à tenir qui fait la force de la société palestinienne. Les chars à peine partis du centre de Naplouse, on voit les enfants courir dans les rues défoncées et leur ballon voler dans les ruines où l’odeur de la mort est omniprésente. La poussière n’est pas encore retombée sur le centre éventré de Ramallah que les étudiants et d’autres jeunes s’affairent à nettoyer, à enlever les monceaux de carcasses de voitures écrasées par les chars. Quand les jeeps quittent les check points qui asphyxient les villages, les monticules de terre qui empêchent le passage sont dégagés et la vie reprend.
Jusqu’à la guerre
Cette émergence d’une réponse structurée non-violente à l’occupation prend de l’ampleur en été 2002. Naplouse, encerclée et envahie, est investie pendant près de cent jours par l’armée israélienne. Les couvre-feux, qu’on ne peut braver sans risquer de se faire tuer, empêchent toute vie normale. La rentrée scolaire n’a pas lieu. Pendant plusieurs semaines, les Palestiniens vont alors organiser des écoles clandestines, comme à Ramallah, Jénine ou Hébron… De la même manière les secours médicaux vont s’organiser, toujours avec ces volontaires discrets et héroïques, parfois accompagnés d’Internationaux, qui sont le seul lien souvent des populations séquestrées ou affamées par les occupants.
C’est en septembre 2002, quand le gouvernement Sharon s’attaque encore une fois directement au président palestinien, toujours reclus à la Muqata’a, que va s’afficher la non-violence organisée de la résistance unie, toutes tendances confondues, la population de Ramallah descend dans la rue et paie le prix de son refus de l’occupation par des morts. Les jeunes lancent les pierres dérisoires que les chars font taire. Quand des jeunes, qui n’ont que des pierres dans les mains, sont tués par des chars, d’autres se lèvent à leur place. Alors s’instaure une nouvelle tactique, décidée collectivement par les partis et les ONG, et reprise immédiatement par les manifestants. Pas une pierre n’est lancée, les jeunes gens forment des cordons qui contiennent les plus jeunes qui ne connaissent que la fronde. Cela marche, et assis par terre, des dizaines de manifestants font face aux chars israéliens embusqués ou qui barrent l’accès vers la Muqata’a. Pour la première fois les soldats, perplexes, ne tirent pas. Il n’y a pas de morts, pas de blessés, pas d’asphyxiés par les gaz incapacitants. Les Palestiniens sont alors conscients d’avoir gagné une victoire.
Cette dynamique se confirme quand, sous couvre-feu total, Ramallah est encore dans la rue, devant les chars israéliens ou aux fenêtres pour dénoncer le siège de la Muqata’a et l’occupation, dans un tintamarre assourdissant qui rappelle la résistance aux dictatures sud-américaines des années 1970. Les chars n’avancent pas, les Palestiniens réinvestissent pacifiquement leur ville, comme à Naplouse un peu plus tard.
Cette unité dans l’action non-violente s’affiche à nouveau quand la guerre américano-britannique contre l’Irak se précise. En Palestine, on craint le pire. Dans l’hypothèse d’une attaque frontale des troupes du gouvernement Sharon, les Palestiniens organisent la résistance, des comités sont créés, les partis et ONG se répartissent les tâches. Les vieilles habitudes ont parfois la vie dure, mais on arrive à une organisation solide qui assurera les besoins élémentaires de la population, des villes vers la campagne ou inversement selon le dispositif que l’occupation mettrait en place.
Il s’avère que les États-Unis ont retenu le bras d’Ariel Sharon, le pire n’a pas lieu. Mais la leçon apprise dans les moments les plus noirs reste dans la conscience collective. On l’a observé à nouveau, quand le cabinet de sécurité israélien a décidé de se défaire du président Yasser Arafat, et que des milliers de Palestiniens ont afflué vers la Muqata’a pour, à l’instar des Internationaux dix-huit mois plus tôt, lui apporter la protection pacifique de leur présence.
Conclusion
Dans le climat délétère extrêmement dangereux que l’occupation israélienne impose, parallèlement à la lutte armée qui se poursuit et aux stratégies d’attaques ou d’attentats par des groupes radicaux, cette résistance non-violente a retrouvé une force presque oubliée. Elle a prouvé son efficacité au fil des luttes. Elle demeure une des options de la résistance palestinienne, mise en forme par la société civile qui prend d’autant plus d’importance que l’Autorité Palestinienne est très affaiblie par les attaques systématiques contre toutes ses infrastructures.
Quoi qu’il en soit, dans l’exigence de la fin de l’occupation israélienne et de la reconnaissance de leurs droits nationaux, c’est aux Palestiniens qu’il appartient de déterminer les formes de leur lutte.