C’était un jour de 2005 ... Bil’in, un village palestinien comme beaucoup d’autres. Un village situé à l’ouest de Ramallah et habité juste par un peu plus de 3 000 personnes. Jusqu’à ce jour, il n’était qu’inconnu. Depuis, il représente un problème pour la colossale entreprise coloniale israélienne, voire un emblématique centre de résistance pacifique contre le mur de l’apartheid.
Bien que la colonisation juive ait englouti la majorité de la Palestine historique et se soit étendue pour comprendre les territoires occupés en juin 1967 et notamment Jérusalem-Est, ses banlieues Hébron et Bethléem, Bil’in est autre.
Depuis l’arrivée des premières pelleteuses sionistes dans ce village venues sur décision israélienne pour s’emparer de 75 % de sa superficie pour la joindre à une colonie voisine et construire une partie du mur de séparation, la résistance s’est déclenchée et sans le moindre coup de feu. Ce territoire qui ne dépasse pas les 1 000 feddans (un feddan : 0,42 ha) a organisé sa première campagne contre les tentatives sionistes, et depuis cet instant, il a joui d’une célébrité mondiale. Tous les vendredis se déroule une campagne de résistance pour attirer l’attention du monde sur son drame. La participation à la marche du vendredi est devenue une partie intégrante de la visite de tout responsable international neutre. Ainsi, pendant plus de trois ans et demi, ce village, pôle des activistes des droits de l’homme de Palestine voire du monde entier, dérange les forces d’occupation israéliennes.
A Tel-Aviv, l’annonce se faisait : « Nous allons construire 121 logements à Har Homa, et 763 autres à Pisgat Zeev, des quartiers de colonisation érigés à Jérusalem-Est », a indiqué le porte-parole du ministère de l’Habitat, Eran Sidis. De plus, le ministre de l’Habitat, Zeev Boïm, a annoncé au gouvernement la publication la semaine d’après d’appels d’offres en ce sens. Il a précisé que cette annonce a été faite à l’occasion de la célébration du « 41e anniversaire de la réunification de la ville » ... C’est-à-dire la conquête et l’annexion de sa partie orientale par Israël en juin 1967. Le 30 juillet 1980, une « loi fondamentale » votée par le Parlement israélien a proclamé Jérusalem « réunifiée et capitale éternelle d’Israël ».
A Bil’in, le symbole, la participation du vice-président du Parlement européen Luisa Morgantini et d’un juge italien de renommée, Guilio Toscano, et le Nobel de paix Mairread Corrigan, en plus des dizaines d’activistes palestiniens n’a pas empêché les Israéliens de tirer des gaz lacrymogènes contre cette marche opposée à la colonisation. Des blessés tombent, mais sans annuler pourtant pas un match de football entre activistes palestiniens et autres européens.
Ce vendredi se tenait la troisième conférence internationale de la résistance populaire ... Occasion d’afficher la détermination des Palestiniens de rester attachés à leurs terres en dépit de toutes les mesures israéliennes de colonisation, de judaïsation et de changement de la géographie.
Jebril Rajoub, ancien chef de la sécurité préventive, tire le premier ballon, à côté de lui la parlementaire européenne ... le jour même a été lancé l’Euro 2008. Le message est clair : il y a ici un peuple qui est privé de jouer sur son propre terrain, qui lui est sans cesse confisqué. Quelques minutes après le sifflet de l’arbitre annonçant le début du match, le terrain est inondé de bombes lacrymogènes et le match est finalement suspendu.
Le lendemain, la parade a défilé jusqu’au mur. C’était l’occasion pour Salam Fayad, chef du gouvernement palestinien, de lancer aux Israéliens : « La politique de colonisation et du fait accompli ne réalisera pas la sécurité d’Israël ». D’autre part, le chef du cabinet de la présidence palestinienne Rafic Al-Hosseini a mis l’accent sur l’importance de l’action populaire et de la mise au point de nouvelles méthodes pour faire face à la politique de colonisation. « La libération de Jérusalem, la destruction du mur, le démantèlement de la colonisation, la libération des Palestiniens retenus dans les prisons israéliennes, la réalisation des droits du peuple palestinien garantis par la légitimité internationale passe par Bel’in ». Dans un message adressé par l’ancien président Jimmy Carter qui a provoqué l’ire d’Israël et de l’establishment américain, pour ses récentes rencontres avec le Hamas, il a souligné : « Vous êtes l’expression du fait que le rêve palestinien ne pourra être détruit ... la poursuite de la politique de saisie des terres palestiniennes est l’un des plus dangereux obstacles face à la paix ». Un autre message de soutien, celui de l’ancien directeur général de l’Unesco, Frederico Mayor, sans oublier des interventions d’activistes israéliens et d’autres pays du monde. Pour eux, la résistance populaire doit être adoptée comme dans le cas de la première Intifada.
Malgré un jugement de la Cour suprême israélienne en septembre 2007 demandant au ministère israélien de la Défense de modifier le tracé du mur parce qu’il passe au milieu des terres de Bil’in, rien dans ce contexte n’a avancé. En fait, le mur sépare les colonies de Metityahu Mizrah, Modi’in Elite et Hashmonaim des villages palestiniens de Bil’in, Deir Qedis et N’ilin occupant ainsi environ 260 donèmes (un donème=1 000 mètres carrés) des territoires palestiniens outre un terrain de 1 600 donèmes entre le mur et ladite zone verte. Le tracé du mur dévoile sans équivoque que l’objectif est d’assurer la sécurité d’une colonie qui n’est pas encore construite, il permet en autre d’élargir les colonies en place.
Ce jugement avalisait cependant de facto le vol de la moitié des terres de Bil’in, puisqu’il a rejeté la demande du conseil du village et du mouvement « la paix maintenant » demandant de suspendre le projet du « quartier colonial » qui prend place sur les terres palestiniennes. Ce qui signifie concrètement que les colons qui ont fait maison dans le village palestinien ne seront pas sommés d’abandonner les terres à leurs propriétaires. Du coup, la première phase de la colonie Metityahu Mizrah restera inchangée, seule la seconde phase sera suspendue. L’armée n’a pas jugé bon de modifier jusqu’aujourd’hui le tracé du mur ni le départ des colons. La prétendue démocratie israélienne se soumet au bon vouloir de l’armée d’occupation.
Un exemple de courage
Une situation qui n’a fait que motiver plus les résistants ; tel ce récit qui nous provient de l’héroïque village. Achraf Abou-Rahme prend une initiative personnelle. Il vit dans un « avant-poste » du village, une petite cabane sur la terre des villageois, derrière le mur, près de la colonie. Il se tient prêt, là, pour tenter d’empêcher toute construction sur la terre confisquée, pour prouver que cette terre n’est pas « disponible » ni « abandonnée ». La colonie de Modi’in Elite est actuellement en expansion, en violation de tous les accords et de toutes les promesses du gouvernement israélien à Annapolis pour arrêter ces champignons illégaux. Les colons apportent des mobil-homes chargés sur des camions et utilisent une énorme grue pour les mettre en place. Achraf voit là une occasion unique et il n’hésite pas une seconde, il se précipite et escalade la grue, placée en plein milieu du chantier des colons : « Quand j’arrive à trois heures avec Neta Golan, co-fondateur d’ISM (International Solidarity Movement), 4 militants israéliens d’anarchistes contre le mur sont sur les lieux depuis une demi-heure ». Achraf a déjà passé trois heures sur la grue, perché au plus haut qu’il a pu grimper. Son drapeau palestinien flotte au vent, on le voit de loin, message on ne peut plus clair : « Arrêtez d’étendre les colonies sur notre terre palestinienne ».
Des colons furieux arrivent de la colonie voisine Matiyahu East, ils n’arrêtent pas de pousser des cris, de hurler, d’écumer, cherchant à se saisir des appareils photo et nous attaquant à jets de pierres. Après un moment, la police israélienne écarte les colons bagarreurs sur le côté et nous laisse entrer sur le chantier où policiers, soldats, ouvriers et colons sont en pleine discussion. Achraf est plus que content de voir Neta et d’autres amis au milieu de cette foule hostile. Donc, nous sommes là, vilipendés par les colons, mais exprimant physiquement notre solidarité, soit directement en étant proches de la grue, soit à quelques mètres derrière une fois que les soldats nous aient obligés à nous écarter. Seul, un rabbin réussit à convaincre les colons juifs de quitter le chantier … Quelques mots lui ont suffi.
Mohamad Khatib, militant bien connu et habitant Bil’in, rejoint Neta, et ensemble, ils exigent un traitement juste pour Achraf, le négocient avec la police. Quand la police assure qu’un professionnel de l’équipe de négociations va venir et qu’Achraf sera protégé de la violence des colons, celui-ci accepte finalement de descendre de la grue, plus de 4 heures après l’avoir escaladée. Durant tout ce temps, il n’a eu que son drapeau ; pas de nourriture, pas d’eau.
Quand la grue est baissée, les colons s’approchent, tapent des mains et se mettent à railler. Je ressens une profonde colère et une grande déception. Evidemment, il n’y a pas de place pour la compréhension. Mais, comme le dit Neta, pour son action symbolique, Achraf « mérite d’être considéré comme un héros ».
Qu’il s’agisse des colonies en tant que telles ou du mur de la honte, de l’apartheid, les violations israéliennes s’inscrivent dans le cadre d’une même logique, voire d’une véritable croyance. Cette idée de retour vers une terre « biblique » rend aléatoire tout dessein politique, c’est-à-dire la négociation pour parvenir à une solution conforme aux différents accords. Résister, c’est ce qui reste aux Palestiniens.