L’épicier de Ramallah rappelait récemment, entre la pesée de courgettes locales et celle de feuilles d’hysopes, que sa famille était propriétaire de la terre sur laquelle avait été construite la station d’essence à l’ancienne entrée de la colonie de Beit El. Il ne serait pas surpris, lui, par les données que le mouvement « La Paix Maintenant » est parvenu à soutirer officiellement de l’establishment de la Défense, après plus d’un an de combat en faveur de la liberté de l’information : un tiers environ des colonies de Cisjordanie (44 sur 120) ont été construites sur une terre palestinienne privée qui a été saisie par le biais d’ordonnances militaires « pour raisons de sécurité ».
Les données montrent qu’au moins 19 des 44 colonies ont été construites sur une terre privée, même après que le gouvernement de Menahem Begin eût décidé, en 1979, que la construction et l’extension des colonies ne se feraient que sur des terres propriété de l’Etat.
La Paix Maintenant révélait ainsi encore un autre fait d’hypocrisie institutionnelle. Bien que la Cour suprême [israélienne] ne se laisse plus impressionner par cela non plus : elle a donné son approbation à la construction, dans la colonie de Matityahou, sur des terres privées appartenant à des habitants de Bil’in.
L’insistance mise de manière répétée sur le fait que des colonies sont construites aussi sur une terre palestinienne privée, ne s’intègre que trop bien à la conception israélienne générale, tant au niveau des institutions qu’au niveau des citoyens, selon laquelle des terres palestiniennes qui ne sont pas propriété privée sont la propriété du peuple juif d’Israël et de la Diaspora.
Selon l’approche israélienne, qui s’est répandue davantage encore depuis les accords d’Oslo, toute terre qui n’est pas privée convient au développement israélien – au profit des citoyens de l’Etat des Juifs et de ceux qui ont le droit d’immigrer en Israël par application de la Loi du Retour. Tel est précisément le cas des terres qui constituent une part considérable du Territoire C (placé sous responsabilité militaire et administrative israélienne – 60% du territoire de la Cisjordanie) et qui sont interdites à tout développement palestinien. C’est sur de telles terres, dénommées « terres d’Etat », que sont construites les deux tiers des colonies. Pas moins illégalement.
Ce n’est pas la faute de La Paix Maintenant si la discussion sur le statut de propriété privée, ou non, de terres situées en Cisjordanie a une beaucoup plus grande résonance que celle portant sur le contrôle par Israël de l’espace palestinien par le biais de la politique de bouclage. Par exemple, depuis le 5 février, l’armée israélienne a de nouveau coupé les villes du nord de la Cisjordanie du reste du territoire, à l’aide de barrages, et a interdit le déplacement, hors de leurs villes, des hommes âgés entre 16 et 35 ans. Les médias n’ont rien rapporté à ce propos.
La discussion sur les terres privées trouve un parfait écho dans les médias israéliens (et américains) du fait de l’excessive sacralisation de la propriété privée. Et voilà le mouvement de La Paix Maintenant contraint de corriger son rapport initial, d’octobre 2006, où il était dit qu’environ 86% du territoire de Maale Adoumim sont une terre privée palestinienne. Il apparaît que seul un demi pourcent du territoire de Maale Adoumim est une terre privée.
Mais cette colonie non idéologique est une des plus préjudiciables aux Palestiniens et elle renforce le régime des routes de l’apartheid, coupant le nord de la Cisjordanie de sa partie sud et empêchant une continuité territoriale palestinienne. La route qui mène à Maale Adoumim sera prochainement interdite aux voitures palestiniennes. Celles-ci seront déviées sur une route séparée, étroite et sinueuse. La colonie de Maale Adoumim a conduit à l’expulsion de nombreux Bédouins de leur terre et de leur mode de vie. Elle a fait main basse, avec les colonies voisines et avec la barrière de séparation, sur une terre qui servait de réserve naturelle de développement et d’expansion aux villes et villages palestiniens des alentours.
Qu’est-ce que cela peut faire qu’il s’agisse d’une terre qui n’était pas enregistrée comme terre privée ? Du fait de ce vol, ces villages et ces villes ont été transformés en quartiers surpeuplés, étranglés et coupés de leur espace environnant.
Le travail important que La Paix Maintenant investit dans la divulgation du statut de propriété privée de terres est l’image en miroir des efforts considérables et méthodiques consentis par les experts de l’Administration civile pour empêcher les villageois de travailler leurs terres situées de l’autre côté de la barrière de séparation. Ces experts mesurent pour chaque individu sa part d’héritage et à partir de là, lui octroient les heures pendant lesquelles il lui sera permis de passer la porte [de la clôture de séparation] pour aller récolter des olives ou labourer la terre. Ils interdisent le travail en commun sur une terre, prennent en considération qui parmi les frères, dans la famille, se trouve à l’étranger, afin que – le ciel nous préserve – sa part ne soit pas labourée par d’autres.
Tout ceci comme processus préliminaire à la confiscation de la terre restée « sans propriétaire » et à sa transformation future en terre d’Etat, autrement dit en terre des Juifs.
La focalisation exagérée sur la propriété privée alimente le déni israélien du fait que le droit des Palestiniens porte sur l’ensemble du territoire qui a été occupé. Non pas en tant qu’individus, mais parce qu’ils sont un groupe national autochtone sur cette terre.