Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
C’est un sentiment de colère absolue qui m’habite en prenant la parole devant vous aujourd’hui.
Nous voici, en effet, rassemblés en ce jour non pas pour fêter un anniversaire heureux. Nous sommes là pour exiger ce qui devrait exister depuis 40 ans : l’existence d’un Etat palestinien vivant côte à côte, en paix et en sécurité, avec son voisin Israël.
40 ans que cette guerre dure.
40 ans que tout le monde connaît les bases de la résolution de ce conflit.
40 ans que les résolutions de l’ONU et les Conventions internationales sont bafouées, foulées aux pieds, et ceci en toute impunité.
40 ans d’occupation et de colonisation.
40 ans où le droit de la force s’est substitué à la force du droit.
40 ans que le Conseil de sécurité de l’ONU contemple mais ne fait rien.
40 ans qu’il s’exonère de son devoir premier qui est de rétablir et d’imposer la paix au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies.
40 ans qu’il n’applique pas ses propres résolutions.
40 ans que les prétextes les plus divers sont avancés pour ne rien faire ou plus exactement pour laisser faire Israël.
40 ans de lâcheté. 40 ans d’injustice. 40 ans d’indignité.
40 ans d’insulte à la conscience humaine universelle.
Et ces 40 ans, combien de temps encore vont-ils durer ?
Le conflit israélo-palestinien est un cas unique au monde.
Jamais dans l’histoire contemporaine on n’avait vu un peuple - le peuple Palestinien - être ainsi, sous le regard placide du Conseil de sécurité, 40 ans durant l’objet d’une telle privation absolue de ses droits légitimes et consacrés. Privé de son droit d’avoir un Etat dans les frontières dites de 1967. Privé du droit d’avoir pour capitale Jérusalem-Est. Privé de droit de voir son peuple expulsé et chassé de sa terre originelle bénéficier d’un juste règlement.
Et voici que non seulement ce peuple est occupé, colonisé, martyrisé - voilà qu’en plus ce peuple est aujourd’hui sanctionné !
Quand, où, dans quelle partie du monde avons vu cela : un peuple occupé et en plus sanctionné !
C’est une abomination totale. Nous sommes donc légitimes à dire aujourd’hui, nous qui défendons ici le droit et la justice : nous vous accusons, « Grands » de ce monde, de crime contre le peuple palestinien.
Vous avez signé, au nom des peuples du monde, la Charte des Nations unies. Vous avez pris l’engagement solennel de « préserver les générations futures du fléau de la guerre ».
Vous avez proclamé votre « foi dans les droits fondamentaux de l’homme (...) dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites ».
Vous vous êtes engagés à « créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international ».
Vous êtes en charge de ces engagements solennels. Mais ces engagements vous estimez qu’ils sont valables partout, partout sauf au Proche-Orient !
Nous sommes en droit, je le répète, de vous accuser car vous portez une lourde et terrible responsabilité dans le fait qu’au Proche-Orient, c’est un peuple qu’on assassine et c’est aussi un autre qu’on pousse dans une terrible impasse.
C’est pourquoi je suis dans une colère absolue aujourd’hui. Je suis un homme en colère.
Une colère d’autant plus forte que, sans être le seul, je fais partie de ces hommes politiques qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour que soient appliqués les mots prononcés ou le droit rappelé.
Jamais vous n’avez donné suite. Jamais...
Et aujourd’hui, nous voici dans cette situation où l’ONU, dans son tout dernier rapport, s’interroge sur le fait de savoir si la politique israélienne de colonisation continue pourra permettre la création d’un Etat palestinien !
Chacun sait bien pourtant que l’Etat d’Israël a pratiqué, dès l’origine de la question, la politique du fait accompli comme s’il avait tous les droits et même celui d’édicter le droit à lui tout seul.
Mais rien n’a été fait contrairement aux résolutions internationales. Cet Etat a toujours joui et il jouit encore d’une totale impunité.
Et aujourd’hui on voudrait nous appeler au renoncement ? Nous dire qu’un Etat palestinien ce n’est plus possible désormais.
Eh bien, qu’on ne compte pas sur nous pour accepter l’inacceptable. Ce qui n’est plus acceptable c’est l’occupation et la colonisation. C’est à eux, source de tous les maux, qu’il faut s’attaquer !
Il y a donc urgence, 40 ans après, car nous sommes à un moment crucial. Qui ne le voit ? L’Union européenne et la France pourraient être à la pointe d’initiatives politiques significatives pour s’opposer à un impossible statu quo et pour, enfin, être clairement du côté de la paix et du droit à la différence de « Bush le diabolique ». Pour travailler à un accord de paix qui soit, cette fois, global et non pas intérimaire, partiel ou je ne sais quoi d’autre encore, type « Feuille de route ».
Alors, cette demande est fondée mais cette exigence est-elle réaliste ?
La France dispose en effet depuis le 16 mai dernier d’un nouveau Président de la République dont les penchants atlantistes sont connus, tout comme ceux de son ministre des Affaires étrangères. Et on aura tous remarqué que la question du Proche-Orient a été totalement absente du débat présidentiel. Incroyablement absente.
Le nouveau Président s’est cependant prononcé sur cette question en réponse à un questionnaire envoyé par la plateforme des ONG françaises pour la Palestine.
Il y parle bien du droit à l’existence de deux Etats, il y parle bien des frontières de 1967 mais il n’évoque aucune des résolutions de l’ONU. En Israël, il s’est félicite de la construction du tramway de Jérusalem par deux entreprises françaises. Il a précisé que la question de « la sécurité d’Israël n’est pas négociable » mais il s’est gardé bien de dire que le droit des palestiniens à disposer d’un Etat souverain ne devrait pas être négociable non plus.
Inutile de préciser que mettre en œuvre l’article 2 de l’Accord d’association Union européenne -Israël, et donc de suspendre cet accord, est une idée qui ne lui effleure même pas l’esprit !
Nous exigeons quant à nous qu’une telle décision soit prise. Et nous rappelons le nouveau Président ses paroles prononcées après l’élection d’Abou Mazen à la tête de l’Autorité palestinienne, en décembre 2004. En Israël, il s’exclamait à ce propos, je cite : « Le peuple a toujours raison lorsqu’il s’exprime par la voie des urnes » ! Dont acte, Monsieur le nouveau Président de la république ! Mais alors : reconnaissez le gouvernement palestinien d’Union nationale issu des urnes et dîtes « Stop » aux sanctions !
La question aujourd’hui posée, en vérité, 40 ans après 1967, et alors que perdure l’insupportable, c’est de parler juste sur ce sujet - ce qui n’est pas acquis. Mais c’est aussi et surtout d’agir juste. Et là, il nous faut nous mobiliser. Car les penchants atlantistes évoqués peuvent se manifester clairement ou non. L’inaction, par exemple, est une manière de laisser faire d’autres, les USA et Israël, et donc de les soutenir de manière oblique.
Il est frappant de constater, à cet égard, que le G8, qui vient de se réunir à Rostock, n’a pas eu un mot pour évoquer le conflit du Proche-Orient. Pas un seul mot.
Par contre la France, à sa demande, a été chargée par tous les autres participants de prendre en charge le terrible dossier du Darfour. La France peut donc agir. Et commentant les décisions prises sur cette douloureuse question, le nouveau Président a déclaré, je le cite : « Si tel ou tel gouvernement (...) devait s’opposer à un règlement politique, il va de soi que la communauté serait fondée à proposer à l’endroit de ce gouvernement des sanctions ». Des sanctions fondées... Le mot « sanction » est lâché dans ce cas-là.
Alors, Monsieur le nouveau Président, ce qui est vrai dans un cas doit l’être pour tous les autres cas, Israël inclus dès lors que ce pays maintient une occupation étrangère, que rien n’arrête, depuis 40 ans !
La paix au Proche-Orient, Monsieur le Président, et contrairement à ce que vous dîtes vous aussi, ne peut pas venir des deux seules parties en présence. Il y faut de l’ONU dont c’est le devoir suprême. C’est nécessaire et possible : le blocage ou veto US au Conseil de sécurité peut être levé si la volonté politique existe.
Il faut une solution politique et donc une Conférence internationale dans les meilleurs délais. La France peut en être le moteur. Ce serait, pour le coup, une bonne « rupture ». C’est en tout cas une exigence pour nous.
Chers amis,
L’heure est à l’action alors que tout plaide pour la résignation - une résignation souhaitée : et si on pouvait réduire la Palestine à un simple fait divers, incompréhensible de surcroît, ou à un problème humanitaire... Mais, nous, plus que jamais, nous sommes avec la Palestine pour la reconnaissance de ses justes droits.
Nous sommes tous des Palestiniens !
Du fond de sa cellule, mon ami Marwan Barghouti nous a envoyé récemment un beau message qu’il conclut en disant : « Nous n’oublierons jamais les amis qui ont été aux côtés du peuple palestinien dans sa lutte pour sortir de ces temps difficiles et la noblesse de leur engagement restera dans nos mémoires. »
Il poursuit : « Je suis porté par l’espoir que nous, peuple palestinien et tous nos amis, pourrons célébrer un jour dans les rues et sur les places de Jérusalem l’avènement de la liberté et de la paix sur notre terre de Palestine, terre de paix. »
Oui, il a raison ! Par notre action qu’il nous faut clairement amplifier, viendra ce jour d’allégresse dont nous parle Marwan. Ce jour viendra pour tous les peuples de cette région, en particulier pour les peuples palestinien et israélien, débarrassés à jamais de ce cancer effroyable d’une guerre de 40 ans qui n’en finit pas.
C’est plus qu’un vœu, c’est un serment que nous devons prendre ensemble aujourd’hui, chers amis, en ce jour de triste anniversaire !
Je vous en conjure !