Entretien ave René Backmann, Nouvel Observateur :
Condoleezza Rice a réitéré un engagement commun pour une solution à deux Etats, à l’issue de sa rencontre avec Mahmoud Abbas et Ehoud Olmert. Est-ce une avancée ?
René Backmann : Pas du tout. Le principe d’une paix fondée sur l’existence de deux Etats -Israël et un Etat palestinien comprenant la bande de Gaza et la Cisjordanie telle qu’elle est géographiquement définie par la Ligne verte, c’est à dire la ligne d’armistice de 1949- est à la base des accords d’Oslo, signés à Washington en 1993. Autrement dit, il y a déjà quatorze ans qu’Israéliens et Palestiniens se sont entendus sur ce point. Et tous les autres accords conclus depuis cette date sont fondés sur la coexistence de deux Etats. Présenter cela comme une avancée aujourd’hui, c’est admettre un constat d’échec.
Où est le blocage ? Du point de vue des Américains et des Israéliens, il réside dans le fait que le Hamas refuse de reconnaître de façon claire et explicite, l’existence de l’Etat d’Israël. Les dirigeants du Hamas admettent implicitement l’existence d’Israël en acceptant les accords et les engagements conclus depuis 1993, qui ont été signés avec l’Etat d’Israël, mais ils ne veulent pas faire ce que l’OLP, sous la direction de Yasser Arafat a fait en 1993, avant les Accords d’Oslo : reconnaître officiellement l’Etat d’Israël. Ils exigent d’autre part que tout gouvernement de l’Autorité palestinienne s’engage à ne pas recourir à la violence.
Mais ils n’ont pas fait un pas dans le sens de ce que les Palestiniens, de leur côté, attendent et qui figure également dans les accords signés : le gel de la colonisation, l’interdiction de créer sur le terrain des "faits accomplis" ( comme le mur ), la libération des prisonniers, le transfert à l’Autorité palestinienne ou à la Présidence palestinienne des taxes collectées par Israël pour l’Autorité et gelées en Israël. (leur montant avoisine le milliard de dollars...).
Quel est le poids de Mahmoud Abbas ? Quel crédit accorder à sa déclaration : "soit c’est l’accord de La Mecque, soit c’est la guerre civile" ?
RB : Le poids de Mahmoud Abbas dans le système palestinien est une question essentielle. Après l’accord de la Mecque, on pouvait imaginer que sa position allait s’améliorer. Ce texte prévoit la création d’un gouvernement d’union nationale, composé de ministres du Hamas et du Fatah et peut-être d’indépendant acceptés par les deux autres composantes. Pour l’instant, on ne sait pas de quoi ce gouvernement sera fait, puisqu’il n’est pas encore formé. On ne sait même pas en fait s’il verra le jour. Mais, s’il finit par naître, il est évident que le statut de Mahmoud Abbas en sera conforté. En revanche, si les conversations en cours entre Palestiniens n’aboutissent pas, la situation penchera de nouveau, on peut le craindre, vers la guerre civile. Et à terme, vers une véritable décomposition de la société palestinienne.
Et pour la suite... Quels éléments sont indispensables à un compromis ?
RB : Du côté palestinien, le Hamas devra exprimer explicitement sa reconnaissance de l’Etat d’Israël, et accepter la coexistence de deux Etats côte-à-côte. Il devra aussi affirmer clairement qu’il accepte les accords conclus à ce jour, depuis Oslo jusqu’à la Feuille de route et se déclarer disposé à renoncer à la violence.
De leur côté, les Américains devront notamment convaincre les Israéliens de geler la colonisation. Il n’est pas inutile de rappeler que le nombre de colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est est passé entre 1993 et aujourd’hui de 220.000 à 440.000. C’est à dire doublé, alors que la colonisation devait être gelée.
Les Israéliens devront aussi expliquer comment ils comptent transférer les territoires occupés aux Palestiniens et sous quel calendrier. Ils devront également indiquer ce qu’ils entendent faire du mur. Tel qu’il est aujourd’hui et tel qu’il sera une fois achevé, dans quelques mois, cet édifice risque fort de rendre très difficile la mise sur pied d’une solution à deux Etats : il ne respecte pas du tout la Ligne verte et annexe, de fait, à Israël de larges régions de la Cisjordanie, notamment celles où se trouvent les principales colonies, ce qui rend toute reprise du processus de paix très difficile.