En Palestine occupée, la nourriture
quotidienne est la première
préoccupation des familles. Le chômage vient après, ainsi que les problèmes
financiers. Tel est le constat d’une
récente enquête du bureau central palestinien
de statistiques [1]. Les salaires n’étant
de toutes façons pas suffisants la plupart
du temps, les familles empruntent
... et réduisent leurs dépenses essentielles,
au premier chef la nourriture et
les vêtements. Nombre d’entre elles estiment,
toujours selon cette étude, ne pas
savoir comment faire pour les réduire
encore, la situation étant déjà très grave.
On le sait, une majorité de Palestiniens
ne font plus qu’un repas par jour. Dov
Weisglass, conseiller du gouvernement
israélien, ose pourtant : il entend mettre
les Palestiniens à la diète.
L’insécurité alimentaire s’est accrue de 14%
La crise alimentaire était prévisible,
d’autant plus que l’ouverture au comptegoutte
du passage de Karni par l’armée
israélienne a pour conséquence une grave
pénurie alimentaire : la farine, l’huile,
le sucre, la viande ou le riz se font rares
dans les étalages des épiceries et leur
prix a encore augmenté.
La situation est encore plus dramatique
pour les réfugiés vivant à Gaza, pauvres
parmi les pauvres, actuellement dépendants
de l’aide alimentaire, à telle enseigne
que l’UNRWA vient de procéder à une
distribution de vivres à quelque 90 000
réfugiés supplémentaires [2], essentiellement
des fonctionnaires qui n’ont pas
perçu de salaires depuis le mois de mars.
« L’UNRWA a élargi son programme
d’aide d’urgence pour les réfugiés de la
Bande de Gaza en raison de la détérioration
de leurs conditions de vie », a
déclaré à la presse John Ging, responsable
de l’agence dans la Bande de Gaza.
Selon une récente étude du Programme
alimentaire mondial (PAM) et de l’Organisation
des Nations unies pour l’alimentation
et l’agriculture (FAO), l’insécurité
alimentaire s’est accrue de 14%
depuis l’année dernière. Cela signifie
que près de deux millions de Palestiniens,
soit 51% de la population, ne sont
pas en mesure de subvenir à leurs propres
besoins sans assistance. « De nombreuses
personnes ne se nourrissent que de pain
et de légumes bon marché, en général les
invendus à la fin de la journée. Nous
sommes aussi préoccupés par le nombre
croissant de gens, souvent des enfants,
qui fouillent dans les poubelles », a dit
Arnold Vercken, directeur du PAM dans
les Territoires palestiniens.
D’après Jean Ziegler, rapporteur spécial
des Nations unies pour le droit à l’alimentation,
la malnutrition sévère constatée
dans la Bande de Gaza est au même
niveau que celle des pays sahéliens les
plus pauvres. Quand on songe à la fertilité
de la terre palestinienne, la comparaison
est aberrante. Néammoins, plus
de 22% des enfants de moins de cinq
ans souffrent de grave malnutrition, 13%
de malnutrition chronique et plus de 15%
d’anémie sévère. Et on sait déjà que cette situation aura des effets à long terme sur
le développement physique et cognitif
de la plupart de ces enfants.
Le démantèlement programmé du système de santé
L’accès aux médicaments ne peut plus être
assuré de façon continue en raison de la
fermeture des points de passage commerciaux.
Le manque de médicaments
et de matériel médical ne permettent plus
d’assurer normalement les soins aux
patients. Dans certaines unités de soins,
il n’y a même plus de sparadrap médical
pour maintenir les perfusions et on utilise
des bouts de scotch d’écolier...
L’accès aux soins de la population palestinienne
est en outre sérieusement entravé
par le blocage des routes dans les Territoires
palestiniens. La suspension des aides
menace de toutes façons de démanteler le
système de santé : les hôpitaux, la pharmacie
centrale de Ramallah, les médecins, les
personnels soignants, les services de secours
d’urgence du Croissant Rouge... seront très
prochainement dans l’incapacité d’assurer
leur mission de service public. Sur les
quelque 160 000 fonctionnaires dont le
salaires ne sont pas versés, 11 000 travaillent
dans les hôpitaux et gèrent la pénurie.
S’ils baissent les bras, prévient Karen
Koning Abu Zayd, commissaire générale
de l’UNRWA, des milliers de patients
seront renvoyés mourir chez eux et des
milliers d’enfants seront jetés à la rue.
Les raisons d’une asphyxie
Dans un rapport commun, OCHA et des
organisations humanitaires comme Médecins
du monde ou World Vision ont récemment
réaffirmé que la suspension de l’aide
internationale depuis l’arrivée au pouvoir
du Hamas contribue à la détérioration
de la situation économique et sociale
en Palestine. Mais qu’elle n’en est pas
la seule cause.
D’abord, parce que la Palestine souffre
des conséquences d’une occupation ravageuse,
entre confiscations de ressources,
bouclages, et destructions de toutes sortes.
Ensuite, parce que deux années noires
(2001 et 2002) ont marqué la répression
du début de la seconde Intifada avec,
d0éjà, le blocage du tranfert des taxes
douanières, prélevées sur l’importation des
marchandises à destination des Territoires
palestiniens par l’administration
israélienne pour le compte de l’Autorité
palestinienne (les « Clearance revenus »,
suspendus d’octobre 2000 à novembre
2002). L’économie palestinienne avait
ensuite entamé une lente « récupération ».
Le taux de croissance a été de 6,1 % en
2003 et de 6,2 % en 2004. Mais même
durant ces années, la Banque mondiale
remarque que la cause principale de la crise
économique palestinienne est la politique
de bouclages (externes et internes
avec la multiplication des checkpoints).
Au cours du dernier trimestre 2005, la
croissance a été de nouveau fortement
ralentie en raison du renforcement, dès
les premiers jours de novembre, du bouclage
des Territoires occupés et des
entraves plus nombreuses à la circulation
des biens et des personnes, notamment
dans la Bande de Gaza, avec les
fermetures fréquentes du terminal de
Karni - seul point d’entrée et de sortie des
marchandises.
Enfin, parce que la chronique d’une
« catastrophe humanitaire » annoncée par
les agences humanitaires internationales
débute avec le « désengagement » de la
Bande de Gaza en septembre 2005, qui
inaugure une nouvelle série de violations
graves des droits économiques et sociaux
des Palestiniens. En cause : les bouclages,
les fermetures du terminal de
Karni, de nouvelles destructions et confiscations
de terres liées à l’avancée du mur.
Le blocage des aides internationales a
donc coïncidé avec une détérioration
catastrophique de la situation humanitaire
dans les territoires occupés, due en
tout premier lieu à la politique d’occupation,
à l’étranglement inexorable de
l’économie palestinienne. Le chômage
et la pauvreté dans la Bande de Gaza ont
été aggravés par la démolition d’infrastructures
dans les villes et les villages
palestiniens par l’armée israélienne et
par la destruction des équipements publics.
Dans le même temps, l’armée israélienne
arrachait par milliers les arbres fruitiers,
détruisait les exploitations agricoles avec
pour résultat une baisse de 40% de la
production locale brute.Vingt pour cent
de la terre agricole aurait été saccagée
dans la Bande de Gaza selon le Centre
palestinien pour les droits humains
(PCHR). Le taux de chômage est passé
à 34% en Cisjordanie et à 44% dans la
Bande de Gaza (et il atteint couramment
55%, dès lors qu’il y a bouclage.
Irresponsabilité internationale
Cette situation a bien sûr eu un impact
important sur le revenu par habitant, qui
a chuté de 40% en trois ans. Le pourcentage
de personnes en-dessous du seuil
de pauvreté [3] approche désormais les
50% en Cisjordanie et 70% dans la Bande
de Gaza ; soit plus de deux millions de
personnes d’après le Bureau central de
statistiques palestinien (PCBS).
Le PNB et le revenu moyen par habitant
devraient décliner encore de 25%
par rapport au niveau de 2005 si les points
de passage restent fermés au transit des
biens palestiniens et si Israël continue à
ne pas reverser les taxes douanières. Ces
transferts représentent environ les deux
tiers des ressources intérieures de l’Autorité
palestinienne (soit quelque 55 millions
de dollars mensuels).
Pourtant, la Quatrième convention de
Genève, dans son article 55, fait obligation
à Israël, en tant que puissance occupante,
de subvenir dans toute la mesure
de ses moyens, à l’approvisionnment de
la population occupée en vivres et en
produits médicaux ; et d’« importer
notamment les vivres, les fournitures
médicales et tout autre article nécessaire
lorsque les ressources du territoire occupé
seront insuffisantes ». L’article 59 précise
: « Lorsque la population d’un territoire
occupé ou une partie de celle-ci
est insuffisamment approvisionnée, la
puissance occupante acceptera les actions
de secours faites en faveur de cette population
et les facilitera dans toute la mesure
de ses moyens. »
Les décisions des Etats-Unis, du Canada,
de l’Union européenne, de suspendre leur
aide économique, ne sont dans un tel
contexte que plus irresponsables. La suspension
de l’aide internationale, qui affecte
en premier lieu le paiement des salaires
des fonctionnaires par l’Autorité palestinienne,
aggrave en effet cette situation.
Quelque 160 000 salariés du secteur
public font vivre environ un million de
personnes, soit à peu près un quart de la
population. Ils font fonctionner 62% des
cliniques, la majorité des hopitaux et 75%
des écoles. Sans ces salaires, la Banque
mondiale prévoit un accroissement de la
pauvreté jusqu’à 75%.
Françoise Feugas