Il y a exactement seize ans aujourd’hui, le 25 février 1994, un colon israélien, Baruch Goldstein entrait, armé de son fusil d’assaut de réserviste dans l’aile du Caveau des Patriarches à Hébron réservée aux musulmans et ouvrait le feu sur les fidèles en prière, tuant 29 d’entre eux avant d’être tué à son tour par les survivants.
Benjamin Netanyahou pouvait-il avoir oublié ce sanglant anniversaire, ses collaborateurs et conseillers étaient-ils incapables - ou n’avaient-ils pas jugé bon - de lui rafraîchir la mémoire, lorsqu’il a annoncé dimanche sa décision d’inscrire le Caveau des Patriarches et le Tombeau de Rachel, à Bethleem au patrimoine de l’Etat d’Israël ?
Car cette décision, en apparence d’ordre strictement culturel, est en réalité lourdement politique. Et quasi provocatrice sur le plan religieux. Mosquée d’Ibrahim pour les musulmans, Tombeau d’Abraham et des Patriarches bibliques pour les juifs, le Caveau des Patriarches est l’un des hauts lieux historiques de Cisjordanie. Il se trouve en plein centre de Hébron où vivent 160 000 palestiniens, mais aussi, 600 colons juifs, rassemblés à proximité du Caveau qu’ils tiennent pour un lieu saint.
La présence de cette enclave au cœur de la ville et d’une autre colonie, à la périphérie - Kyriat Arba, où vivent 6500 Israéliens - explique que l’armée israélienne n’ait évacué qu’une partie de Hébron en 1998, et qu’elle soit présente en force aujourd’hui encore, dans la ville alors qu’elle a quitté les autres villes palestiniennes. Elle explique aussi la permanence des tensions entre Israéliens et Palestiniens. Tensions aggravées par l’extrémisme des colons locaux, pour lesquels Baruch Goldstein est un héros. Sa tombe, sur une colline en lisière de Kyriat Arba est devenue un lieu de pélerinage pour les colons ultra-nationalistes et messianiques.
Des sites historiques pour les juifs, les chrétiens, les musulmans
Encerclé par une boucle du mur qui l’annexe de fait à Israël, la Tombe de Rachel, où selon la tradition est enterrée la matriarche biblique, à la sortie nord de Bethléem, le long de la route de Jérusalem, est aussi aux yeux des Israéliens un lieu sacré du Judaïsme. Aux yeux des Palestiniens, musulmans et chrétiens, la Tombe de Rachel, comme le Caveau des Patriarches, qui appartiennent au patrimoine religieux et culturel de la Cisjordanie - donc du futur Etat de Palestine - sont des sites de signification historique pour les juifs, les chrétiens et les musulmans.
Ancienne ministre - chrétienne - du gouvernement palestinien, Hanan Ashrawi, membre du Comité exécutif de l’OLP, a estimé mercredi que la décision israélienne était « discriminatoire » et qu’elle « menaçait l’héritage historique et les sites sacrés palestiniens ». Pour elle, l’initiative du premier ministre israélien est une « attaque directe et un crime contre la culture palestinienne ». « Le gouvernement d’extrême droite d’Israël est en train d’empoisonner le climat des négociations à venir et de détruire les avancées qui pouvaient nous conduire vers la relance du processus de paix », estime de son côté Yasser Abed Rabbo, membre lui aussi du Comité exécutif de l’OLP. « Nous rejetons, dans ces conditions toute forme de négociation, a-t-il ajouté. Même des conversations indirectes ».
Cette décision de Benjamin Netanyahou, qui n’a fait l’objet d’aucun commentaire de Nicolas Sarkozy, dimanche soir, alors que le président palestinien se trouvait à Paris, a provoqué aux Etats-Unis une visible irritation. Annoncée au moment où Hillary Clinton estimait être proche de la reprise des négociations, alors que plusieurs hauts-fonctionnaires du département d’Etat étaient au Proche-Orient et que le ministre israélien de la défense, Ehoud Barak était attendu à Washington, où il doit rencontrer Hillary Clinton demain vendredi, cette décision a provoqué une mise au point très ferme du Porte parole du Département d’Etat, Mark Toner. « Nous considérons cette initiative comme une provocation qui n’aide en rien à atteindre notre objectif : réunir les deux parties autour de la table des négociations.
Comme on pouvait le craindre, la décision de Netanyahou a provoqué, depuis dimanche, des heurts, dans plusieurs quartiers de Hébron entre manifestants et soldats israéliens. Aux pierres et bouteills incendiaires des jeunes palestiniens ont répondu les grenades lacrymogènes et les balles caoutchoutées des soldats [2]
. Dans ce climat très instable, la déclaration, ce jeudi, de Benjamin Netanyahou assurant qu’il « n’y aura pas de changements du statu quo, ni au caveau des Patriarches, ni à la Tombe de Rachel » n’a rassuré personne. A quoi joue alors le premier ministre israélien ? Fait-il une concession à l’aile la plus extrémiste de son éléctorat avant l’ouverture des "négociations indirectes" en préparation, ou entend-il invoquer la tension du moment pour retarder encore l’heure de répondre à l’invitation à négocier avancée par Washington ?
Alors qu’une réunion du Quartette (Etats-Unis, Union européenne, Nations Unies, Russie) est en chantier, peut être pour la mi-mars à Moscou, et que les navettes de l’émissaire américain George Mitchell et de ses collaborateurs s’efforçaient - sans succès spectaculaire pour le moment - de rétablir un minimum de confiance entre les deux parties, Benjamin Netanyahou qui avait déjà provoqué deux journées d’émeutes meurtrières, en septembre 1996, en autorisant le creusement d’un « tunnel archéologique » à Jérusalem, n’avait-il pas d’autre choix que de jouer, une fois encore, aussi imprudemment avec le feu ?