Dans ce texte, l’historien Zeev Sternhell répond au journaliste israélien Ben-Dror Yemini, auteur d’une tribune parue dans « Le Monde », elle-même en réponse à un point de vue du premier, paru également dans les colonnes du Monde.
Tribune. Dans sa tentative de réponse à ma tribune du 18 février le journaliste Ben-Dror Yemini, depuis longtemps cheville ouvrière d’une propagande droitière naïve et grossière bien connue en Israël, a quand même raison sur un point important : voilà plus de quarante ans que je crains pour le sort de la démocratie israélienne et que je mets en garde mes compatriotes contre le pourrissement de notre société qu’engendrent nécessairement l’occupation, la colonisation et l’apartheid dans les territoires conquis en 1967.
La démocratie peut mourir lentement, en silence, sans tomber nécessairement dans un fracas de fin du monde
Il faut être aveugle pour ne pas voir la réalité : cette perception d’un avenir sombre me préoccupait dès avant la guerre du Kippour de 1973, mais l’accession de la droite au pouvoir en 1977 et les débuts de la colonisation à outrance qui, aujourd’hui, avec plus de 300 000 colons, est parvenue à découper la Cisjordanie en peau de léopard m’ont convaincu que j’assistais à un processus que je craignais plus que tout : la lente agonie du sionisme des fondateurs.
J’avoue être assez fier de mes articles des années 1970 et 1980 : je voyais alors se dessiner un processus long, lent et continu de détérioration de la démocratie israélienne, je voyais venir le début de la fin d’un nationalisme juif qui pouvait avoir été de droite mais à facette libérale ou de gauche avec une vague coloration socialisante.
C’est ce nationalisme-là qui fut le fondement d’Israël à sa naissance et qui permit, en dépit de ses imperfections et de ses faiblesses, d’édifier la démocratie libérale et d’assurer l’égalité juridique et politique de tous les citoyens, et donc de la minorité arabe. C’est ce...