Et puis la répétition intrigue.
Il ne s’agit pas d’un incident isolé ici ou là. C’est un phénomène massif et quotidien. Des centaines d’attaques par an. Multipliées par quatre depuis 2007. Comme a été multiplié par trois le nombre des colons sur les terres de Cisjordanie. Précisément là où devrait être créé le futur état palestinien.
Ce sont ces clips video énigmatiques qui m’ont donné envie de voir ce qui se passait sur le terrain. Comprendre comment des centaines d’incidents avaient pu passer sous silence.
J’ai voyagé le long des colonies de la ligne de front. En territoire palestinien
Nous sommes allés de découverte en découverte.
La plus importante : les colons radicaux ont probablement rendu impossible l’existence d’un état palestinien. Ils ont redessiné les frontières sur le terrain. De plus en plus virtuelle, de plus en plus morcelée, la Palestine est étranglée. Il n’en reste presque rien. Ses dernières enclaves de territoires sont encerclées par des implantations israéliennes et des zones de sécurité.
L’occupation c’est aussi deux réseaux de routes superposés.
Pour accéder à leurs colonies, les israéliens ont construit de larges routes. Celles-ci sont librement accessibles aux voitures palestiniennes.
En revanche, les palestiniens n’ont pas le contrôle de leurs propres routes.
Elles peuvent être bloquées, voir supprimées, par l’armée israélienne.
Les avant-postes des colons occupent toutes les collines. Ce n’est pas un hasard. Un document du mouvement politique des colons, Yesha, décrit l’occupation des hauteurs comme une stratégie.
« Sur ces collines, nous déclare Danny Dayan, c’est soit moi et ma famille, soit un régime palestinien, islamiste et radical qui les utilisera pour bombarder Tel Aviv… »
Le but des colons est clairement explicité dans ce document : il s’agit de faire accepter à l’opinion publique internationale l’idée qu’un « autre état n’est pas viable ».
Les colons ne sont plus ces extrémistes un peu folkloriques, barbus à sandales, une bible dans une main, un fusil-mitrailleur en bandoulière, qui sillonnaient les collines de Cisjordanie dans des voitures hors d’âge. Ils sont 350 000 et ils sont devenus une force politique qui est en train de changer le visage de la politique d’Israël. Ils ont trois ministres au gouvernement. Notamment Uri Ariel, ministre de la construction et du logement, qui nous déclare tout de go que son projet est d’annexer toute la Palestine : « Tout est à nous et c’est écrit depuis 3000 ans ».
Nous sommes rentrés dans des dizaines de colonies. Certaines refusent de s’exprimer. Mais d’autres ont nommé des porte paroles, prêts à défendre leur projet national-religieux.
A Otniel, le chef de la colonie nous avoue mener une guerre quotidienne pour faire reculer les villageois palestiniens, les inciter à quitter leurs maisons.
Voici la réalité : une guerre, pied à pied, mètre par mètre pour le contrôle du terrain. Les colons s’appuient sur une réglementation extrêmement complexe pour accroître leur zone d’influence. C’est une guerre des nerfs, une guerre des pierres et du feu. Les pertes humaines existent mais elles sont rares.
Une guerre de harcèlement psychologique massif où les soldats de l’état israélien sont là pour garantir la sécurité des colons même quand ils se livrent à des exactions devant eux.
Yehuda Shaul est un ancien militaire israélien devenu un militant pacifiste. Il explique : « Dans la gauche israélienne tout le monde hurle en disant que l’armée est une milice au service des colons. Ils se trompent. C’est le contraire. C’est les colons qui sont en train d’occuper militairement les territoires palestiniens. Ce sont eux, les vrais supplétifs. Ils réalisent ce que le gouvernement n’a pas le courage politique d’assumer. »
Un élément est toutefois en train de changer les règles du jeu. La guerre de l’image. Israël est en train de la perdre.
Nous avons découvert l’existence de dizaines de video-activistes palestiniens. Dans un pays où les « narratives », les interprétations langagières des faits, réussissent à tordre la réalité, les cameras ont un effet déflagrateur.
Une organisation pacifiste israélienne, B’tselem, en a distribué des centaines dans les territoires occupés.
La video, alliée à internet, a fait apparaitre une nouvelle génération de militants palestiniens. Sur les murs des villes du nord de la Cisjordanie, on ne voit plus ces terribles images de jeunes terroristes qui posaient avec fusil d’assaut et ceinture d’explosif devant des fleurs en plastique, avant d’aller se faire sauter au milieu de civils israéliens.
La violence peut elle revenir ? C’est en tous cas ce que croient de hauts officiers du renseignement israéliens. Yuval Diskin a été chef du Shin Bet jusqu’en 2011. Il a déclaré à la presse israélienne : « L’immense frustration des palestiniens est en train d’augmenter encore à mesure qu’ils réalisent qu’on leur a volé leur terre et que la possibilité d’un état palestinien se dissipe. Les conditions sont réunies pour une explosion de violence. »
Pour l’instant les palestiniens ont renoncé à la lutte armée mais partout en Cisjordanie, les émeutes se multiplient. Nous avons été les témoins d’une série de manifestations violentes et régulières. Pour l’instant, des deux côtés, on veut éviter l’irrémédiable. Les soldats israéliens ne tirent pas à balles réelles. Les palestiniens s’en tiennent aux pierres. Mais pour combien de temps encore ?
Paul Moreira