Le Marianne a quitté la Suède à la mi-mai. Depuis, ce bateau de pêche avait un horizon ultime : le rivage de la bande de Gaza. Conduisant la « Flottille de la Liberté III » décidée à briser le blocus maritime imposé par Israël au territoire palestinien, le Marianne n’est pas parvenu à destination. La marine israélienne, qui surveillait chaque mètre de sa progression depuis son départ de Crète le 26 juin, a fini par l’intercepter, dans la nuit du dimanche 28 au lundi 29 juin. Aucun incident n’a été rapporté, selon l’armée, qui a procédé à une fouille du navire, avant de rediriger les passagers à son bord vers le port d’Ashdod, en vue de leur expulsion d’Israël.
Cette issue n’est guère une surprise. Les participants à la flottille, parmi lesquels se trouvait l’ancien président tunisien Moncef Marzouki, savaient que l’Etat hébreu n’avait aucune intention de tolérer une brèche dans son dispositif. Il s’agissait pour eux d’attirer l’attention internationale sur le blocus dont est victime le territoire palestinien. Dans une démarche inhabituelle, le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a fait remettre une lettre aux passagers, stipulant qu’il « n’y a pas de blocus de Gaza » et les invitant à transférer par voie terrestre tout équipement ou aide humanitaire. « Si vous étiez réellement intéressés par les droits de l’homme, vous ne navigueriez pas en solidarité avec un régime de terreur qui exécute des résidents de Gaza sans procès, et utilise les enfants de Gaza comme bouclier humain », dit le courrier. M. Nétanyahou s’est félicité par ailleurs de l’interception de la flottille, « en accord avec le droit international », et a dénoncé une « démonstration d’hypocrisie et de mensonges ». Il a aussi eu cette remarque : « Israël est la seule démocratie qui se défend conformément au droit international. »
Le précédent du « Mavi-Marmara »
Les Israéliens tenaient à éviter un incident en haute mer, tant le précédent du Mavi-Marmara a entamé son image sur le plan international. Le 31 mai 2010, un commando israélien avait donné l’assaut contre une flottille composée de huit bateaux, affrétée par l’ONG turque IHH (La Fondation pour l’aide humanitaire), une organisation islamique proche du gouvernement turc et du Hamas palestinien. L’opération avait causé la mort de neuf activistes turcs, un dixième décédant par la suite de ses blessures. Les relations entre Israël et la Turquie s’en trouvèrent très dégradées.
En novembre 2014, la Cour pénale internationale a décidé de ne pas lancer de poursuites contre Israël pour cet assaut. La procureure Fatou Bensouda avait souligné « que l’on pouvait raisonnablement penser que des crimes de guerre relevant de la compétence de la Cour pénale internationale avaient été commis sur l’un des navires en cause, le Mavi-Marmara ». Mais ces crimes ne sont pas « suffisamment graves pour que la Cour y donne suite », avait-elle ajouté.
Israël impose un blocus sur la bande de Gaza depuis que le Hamas a pris le pouvoir, en 2007. Derrière les justifications sécuritaires, cette arme économique devait servir à exercer une pression sur la population afin de rendre le mouvement islamiste impopulaire. Elle n’a guère été efficace de ce point de vue. Au cours des dernières années, lorsque la situation sécuritaire s’améliorait entre-deux-guerres, les Israéliens permettaient davantage de flux de marchandises et de personnes par voie terrestre. Mais les pêcheurs de Gaza n’ont jamais pu s’aventurer loin des côtes, au-delà de six milles nautiques, soit environ 10 kilomètres. Les accords d’Oslo, signés en 1993, prévoyaient 20 milles.
« Nous avons moins besoin d’aides que de liberté »
Cette limitation à six milles ne serait elle-même que fictive, affirme Zakaria Bakir, 42 ans. Pêcheur pendant seize ans, il est devenu le représentant du syndicat professionnel. Sa principale activité consiste à répertorier toutes les attaques israéliennes contre les bateaux gazaouis. « Depuis le cessez-le-feu de la fin août 2014, on a eu des centaines d’incidents. Ce sont parfois des tirs, des destructions de bateaux. Depuis 2000, on a compté 16 morts, plus entre 30 et 40 blessés par an. Le dernier mort, c’était en mai. Un pêcheur qui se trouvait à trois milles. Ils lui ont tiré dessus avant de confisquer son bateau. Il est mort à l’hôpital. » Zakaria Bakir dresse un tableau terrible du secteur. Il se dit reconnaissant envers les participants à la flottille, mais ne se fait pas d’illusion : « Nous avons moins besoin d’aides que de liberté. Nous voulons travailler en mer sans avoir peur. Depuis dix ans, les Israéliens essaient de détruire notre activité. » Le nombre de pêcheurs a fondu à environ 3 500, alors qu’il s’agit d’un pan crucial de la misérable économie locale.
En Israël, la nouvelle flottille a fait, naturellement, l’unanimité contre elle. La présence à bord d’un député arabe a provoqué une agitation à la Knesset, parmi ses collègues. Basel Ghattas, élu sur la Liste arabe commune, a adressé une lettre au premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et au ministre de la défense, Moshe Yaalon. Le député y expliquait que le but de cette flottille civile pacifique était d’« attirer l’attention de l’opinion publique mondiale sur la condition du 1,8 million de Palestiniens vivant des conditions carcérales, en conséquence du blocus imposé par Israël, qui est une forme de punition collective et constitue une violation des lois humanitaires ». Une autre députée arabe, Hanin Zoabi, connue pour ses provocations sur la scène israélienne, avait participé à la flottille de 2010.
Le comité d’éthique de la Knesset a été saisi pour priver Basel Ghattas de son mandat. L’Union sioniste (opposition de centre gauche) a estimé que la flottille représentait un « acte politique qui légitimera le régime du Hamas et accroîtra le terrorisme contre Israël ». Le chef du parti centriste Yesh Atid, Yaïr Lapid, qui ne fait plus partie du gouvernement, a qualifié la flottille d’« attaque navale contre Israël ». Selon le leader d’extrême droite Naftali Bennett, ministre de l’éducation, cette flottille prouverait que le retrait unilatéral israélien de la bande de Gaza, en 2005, était une erreur.