Consacré cette année à la littérature israélienne, le Salon du livre de Paris a aussi été l’occasion d’une plongée dans l’histoire. Mais une autre histoire que celle, politiquement correcte, qui veut que les « pionniers d’un monde nouveau » aient, en créant Israël, « fait fleurir le désert » dans cette « terre sans peuple » qu’aurait été la Palestine. En occultant la réalité dérangeante d’un autre peuple qui était là depuis des siècles : les Arabes de Palestine. Un peuple qu’il a fallu chasser pour prendre sa place, ses terres, ses maisons, et qui, soixante ans après, réclame toujours que l’on reconnaisse au moins la spoliation dont il fut victime.
L’historiographie officielle israélienne refuse de le faire. Mais les nouveaux historiens israéliens, depuis qu’ils ont accès aux archives de cette fameuse année 1948, ont entrepris de mettre à jour cette autre réalité, de rétablir la vérité historique. Cela fait maintenant vingt ans qu’ils y travaillent. Un recul suffisant pour tenter un bilan. C’est ce que proposait le débat organisé à la fin du salon par Dominique Vidal, auteur de plusieurs livres sur les nouveaux historiens israéliens (Éditions de l’Atelier), avec quelques-uns des éditeurs courageux qui publient leurs travaux iconoclastes.
Des trois pionniers de la nouvelle histoire - Ilan Pappé, Benny Morris, et Avi Schlaim - seul le dernier était présent. « Les premières réactions à nos travaux, dit-il, ont été très hostiles. Parce que nous remettions en question la " vieille histoire ", un récit nationaliste d’autojustification, nous avons été accusés de vouloir délégitimer Israël. Mais la nouvelle histoire a eu des conséquences politiques importantes : elle a entraîné une révolution dans l’enseignement, obligé le public israélien à regarder les Palestiniens et encouragé les historiens palestiniens à regarder leur propre histoire d’une manière plus critique. »
« Malheureusement, ajoute Avi Schlaim, les Israéliens, qui, à quelques exceptions près, ne se considèrent pas comme les agresseurs mais comme les victimes de la violence palestinienne, se montrent de plus en plus intolérants à l’égard des voix dissonantes. » Au point que lui-même et Ilan Pappé ont finalement dû s’exiler en Angleterre pour continuer leurs travaux. C’est aussi le cas d’Idith Zertal, auteur de la Nation et la Mort : la Shoah dans le discours d’Israël, qui enseigne en Suisse : « On m’a traitée de tous les noms, dit elle, parce que j’ai dit - après Tom Seguev qui avait ouvert la voie - qu’Israël a abandonné les victimes de la Shoah, alors qu’il s’était servi des rescapés comme d’une arme politique pour construire un État - ce que j’estimais légitime. L’abus qui en a été fait plus tard a mené à la dévaluation de la Shoah, qui est aujourd’hui quotidiennement banalisée par les politiciens. »
Pour l’historien français Alain Dieckof, « la portée des travaux des nouveaux historiens est considérable, et même les historiens traditionnels sont obligés de la reconnaître ».
Michel Warchawski, journaliste et écrivain, fait remarquer que cette façon de voir l’autre face de la naissance d’Israël, celle de la Nakba, n’était nouvelle ni pour les Palestiniens ni pour les antisionistes. La journaliste d’Haaretz Amira Hass, fille de militants communistes - donc non sionistes - qui vit au milieu des Palestiniens à Ramallah confirme : « La nouvelle histoire est très ancienne pour certains groupes, et c’est grâce à eux, grâce à leurs luttes, que cette histoire invisible est devenue visible. » Elle confirme aussi que cette histoire a toujours autant de mal à passer la rampe. « En Israël, dit-elle, c’est la vieille histoire qui est à la une tandis que la nouvelle est reléguée en page huit, voire mise au placard. »